Hormis les mesures d’urgence, l’Etat ne semble pas miser sur une approche à long terme. Sur les 13 mesures, 10 concernent le long terme et les trois restants sont consacrés aux réunions de crise au sein du gouvernement, du conseil de sécurité nationale et entre les partis politiques. Retour sur les mesures annoncées par Habib Essid le 27 juin 2015.

  1. Ouverture d’une enquête immédiate pour déterminer les responsabilités et prendre les mesures nécessaires

Le 23 juin 2016 , Sofiene Selliti, porte-parole du tribunal de première instance de Tunis, annonce que le juge en charge de l’affaire est sur le point de clore l’enquête sur l’attaque de Sousse et de transférer l’affaire devant la Cour d’appel de Tunis. Sur les 46 accusés, 16 sont en état d’arrestation et 5 en fuite. les 25 restants comparaitront en état de liberté.

Sous la pression des autorités britanniques, la Tunisie a concédé qu’une vingtaine d’agents sécuritaires présents aux alentours de l’hôtel au moment de l’attaque avaient pris la fuite ou manqué à leur devoir.  Le 11 janvier 2016, un mandat de dépôt a été émis à l’encontre du chef de la police touristique de Sousse dont 5 agents de son unité sont toujours en détention. Quelques jours après  l’attaque, 15 responsables politiques et sécuritaires avaient été limogés.

  1. Fermeture des mosquées illégales

Cette mesure devait concerner les mosquées contrôlées par des extrémistes mais aussi celles ne disposant pas d’autorisation administrative. en 2013, 400 à 500 lieux de culte étaient hors contrôle de l’Etat. En juillet 2015, Kamel Jendoubi avait évoqué un ” reliquat de 80 mosquées qui posent problème“. Contacté par Nawaat, Khaled Ben Slam du ministère des Affaires religieuses affirme que depuis la vague de fermetures de juillet 2015, 30 lieux de culte ont rouverts, après régularisation de leur situation administrative.

  1. Prise des mesures nécessaires contre tous les partis et associations œuvrant contrairement aux principes de la Constitution

Le 24 avril 2016, Kamel Jendoubi, ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les organisations des droits de l’Homme, déclare que 157 associations  sont soupçonnées d’être en relation avec des organisations terroristes. Le ministre affirme que des poursuites judiciaires ont été lancées en attendant un nouveau texte de loi relatif au financement des associations. Le 30 mai 2016 Le gouvernement a également interdit la tenue du congrès de Hizb Ettahrir  ayant cette année pour thème : « le futur califat sauvera le monde ».

  1. Révision du décret relatif aux associations, notamment en ce qui concerne la nature et les moyens de leurs financements

Un nouveau texte de loi est en cours de préparation sous la tutelle du ministère chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les organisations des droits de l’Homme. Selon le ministre Kamel Jendoubi, ce projet de loi sera bientôt déposé au conseil ministériel  et devrait permettre de se prémunir contre les malversations et le financement occulte de plusieurs associations caritatives.

  1. Appel de l’armée de réserve afin de renforcer la présence sécuritaire dans les zones à risque.

Impossible de vérifier cette mesure

  1. Déclaration des monts de Semmema, Mghila, Lella Aicha, Ouergha comme zones militaires fermées afin de faciliter les interventions militaires et sécuritaires

Un décret publié au JORT le 7 juillet 2015 établit l’élargissement des zones militaires fermées sur décision du président de la République, Béji Caïd Essebsi. Ces zones recoupent deux gouvernorats, celui de Kasserine et celui du Kef, outre le Sahara et les zones frontalières déjà déclarés zones militaires fermées par l’ex-président provisoire, Moncef Marzouki.

Les zones militaires fermées sont les monts Châambi, Semmama, Salloum et Mghila,  Khecham El Kalb, Eddouleb, Abdeladhim, Tam Smida, Dirnaya, Tioucha, Lajred (gouvernorat de Kasserine) et les monts Ouergha et Kassar El Kallel (gouvernorat du Kef) ainsi que toutes les zones limitrophes.

Le 13 novembre 2015, au mont Mghila, des terroristes ont décapité Mabrouk Soltani, jeune berger de 16 ans, originaire de Slatniya. Le drame a encore une fois soulevé les failles  sécuritaires pour protéger les habitants dans ces régions montagneuses. Pour ces deniers, la montagne reste en effet le principal moyen de subsistance.

Le 30 mai 2016, l’explosion d’une mine a causé la mort de deux femmes et blessé une troisième dans la région d’El Menchar, à Ouled Hellal, proche du Jbel Samama.

  1. Renforcement des campagnes de vérification contre toute personne suspecte de terrorisme, en collaboration avec le ministère Public.

Le 21 septembre 2015, l’ex-ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Aïssa, a déclaré qu’environ 1000 personnes étaient détenues dans le cadre d’affaires terroristes. Le 16 mars 2016, soit 9 mois après l’attaque de Sousse, le nombre est multiplié par deux, (2000 détenus) d’après Saber Khelifi, directeur général de l’administration carcérale et de la réhabilitation. L’augmentation du nombre des prisonniers serait, selon  Halim Meddeb, conseiller juridique à l’Ogranisation mondiale contre la torture, une conséquence directe de la nouvelle loi de lutte contre le terrorisme promulguée le 25 juillet 2015 qui donne plus de pouvoir à l’exécutif.

Bien qu’elle soit justifiée par l’impératif de protection de la population contre le terrorisme, cette mesure n’est pas étrangère à la multiplication des bavures policières. Détention, illégale, décentes nocturnes, destruction de bien , ont émaillés les enquêtes sur l’attentat de Sousse et celui de Mohamed V.

  1. Mise en place d’une unité de sécurité touristique armée le long des côtes et au sein des hôtels.

Kamel Haj Ali, directeur de la sécurité touristique, a annoncé à la TAP, lundi 4 juillet 2016, que « toutes les zones touristiques sont sécurisés » ajoutant que près de 1500 agents de sécurité le long des côtes et plus de 70 unités mobiles dans les zones touristiques et les aéroports étaient déployées.

Cependant, la réforme de l’appareil sécuritaire tarde à venir malgré les différentes failles relevées avant et après l’attentat de Sousse, où la police était à quelques mètres du carnage sans pouvoir intervenir faute de compétences et de coordination au sein du ministère de l’Intérieur.

  1. Octroi d’une prime pour toute personne fournissant des renseignements aux autorités de tutelle

Une mesure qui a soulevé une polémique par rapport à son efficacité. En effet, si la prime pourrait encourager les citoyens à fournir des renseignements sur les terroristes, elle pourrait induire en erreur les autorités par des fausses informations ou alertes. Pire, cette mesure peut tourner à la délation gratuite voir le règlement de compte comme ce fut le cas pour Yassine Chedly. Ce jeune militant du Front populaire, de Hammam Sousse qui   a subi une descente de police durant le mois de ramadan 2015. Pour des raisons inconnues, son voisin qui le soupçonnant d’être un terroriste, l’avait dénoncé à la police. Après près quelques heures d’interrogatoire, Yassine a été relâché.

  1. Un congrès national retardé à l’infini ?

Prévu en septembre 2015, le gouvernement annonce un premier report pour le 2 et 3 octobre avant de le reporter une nouvelle fois au 24 et 25 octobre 2015. A ce jour, le congrès n’a toujours pas eu lieu et le gouvernement explique que les préparatifs sont compliqués et prennent du temps.

Sous la forme d’une consultation nationale, ce congrès était censé réunir tous les partis politiques, et associations ainsi que des experts et certaines organisations de jeunesse. Annulé en 2013 pour les mêmes raisons logistiques, le dialogue national sur la lutte anti-terroriste a été réclamé par la société civile le 24 octobre 2015. Dix associations, y compris la Ligue tunisienne des droits de l’homme, l’Association tunisienne des Femmes démocrates, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, ont proposé au gouvernement de participer à « la préparation de cet espace de dialogue et à apporter leur contribution à la mise en place d’une stratégie globale ». Un an après, aucune démarche officielle n’a été entreprise dans ce sens.

11- Tenue du conseil national de sécurité pour prendre des mesures complémentaires

Présidé par Béji Caid Essebssi, le conseil national de sécurité s’est réuni, le 28 juin 2015, au palais de Carthage. Parmi ses 14 décisions, le conseil décide de proclamer l’État d’urgence ( levé le 2 octobre puis restauré le 24 novembre suite à l’attentat suicide contre la garde présidentielle). Le conseil appelle le parlement à accélérer l’adoption de la nouvelle loi anti-terroriste. Sous la pression du conseil national de sécurité, la loi a été votée à la hâte malgré les protestations des de plusieurs organisations de la société civile qui ont soulevé plusieurs manquements de la loi aux droits de l’Homme et à la constitution. Sur les pas de Mehdi Jomaa, le conseil ordonne de fermer “tous les sites électroniques et les comptes sur les réseaux sociaux, reliés à des organisations terroristes”.

Alors que le nombre de victimes du terrorisme et des lois antiterroristes s’accroît, l’État s’entête à tourner en rond. Entre répression policière et dispositifs sécuritaires, aucune réforme sérieuse n’est envisagée pour mettre fin à l’improvisation et aux décisions de dernières minutes. Malgré le succès de l’opération de Ben Guerdane, une stratégie nationale reste indispensable pour éradiquer le terrorisme.