« Tous les jours, les municipalités du grand Tunis collectent et transportent 3000 tonnes de déchets ménagers. Les trois centres de transfert du district (relevant de l’Agence nationale de la gestion des déchets du ministère de l’Environnement) n’en traitent que deux tiers et un mille de tonnes finit dans des décharges anarchiques », a révélé Youssef Chahed, lors de son discours d’investiture, vendredi dernier sous coupole du parlement.

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Le chef du gouvernement explique la fusion entre le ministère des Affaires locales et celui de l’Environnement par la volonté de résoudre le « dysfonctionnement structurel » dans la gestion des déchets. Joindre le premier, encore en train de se former, au second, bien établi depuis des années, (avec plusieurs agences spécialisées) ne semble toutefois pas évident.

Moins de pouvoir aux agences

Neila Akrimi, directrice générale du Centre de développement international pour la gouvernance locale innovante (CILG/VNG) à Tunis estime que « le nouveau dispositif prendra au minimum deux ans pour devenir fonctionnel ». La spécialiste internationale de la gouvernance locale, dont l’organisation accompagne la décentralisation en Tunisie depuis 2013, assigne toutefois à ce délai un ensemble de conditions sine qua non.

Le premier impératif serait « un travail d’identification, de vérification et de spécification pour que le nouvel organigramme du nouveau ministère soit pertinent, sans duplicatas, ni empiétements inutiles ». Le réagencement concerne toutes les structures traitant de la question environnementale. Et elles sont multiples. En 1974, la Tunisie a formé le noyau du dispositif institutionnel environnemental avec la création de l’Office national d’assainissement (ONAS), qui a été restructuré par la loi n°93-41 du 19 avril 1993. En 1988, l’Agence nationale de la protection de l’environnement (ANPE) ; premier établissement public chargé de la protection de l’environnent, a été créée, préparant ainsi la création en 1991, d’un département ministériel chargé de l’environnement.

Au fil des années, plusieurs autres agences et offices ont été successivement mis en place : l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL) créée par la loi n° 95-72 du 24 juillet 1995, le Centre international des technologies de l’environnement de Tunis (CITET) régi par loi n° 96-25 du 25 mars 1996, la Banque nationale de gènes (BNG), créée par le décret n°2003-1748 du 11 août 2003 et enfin l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED), créée par le décret n° 2005-2317 du 22 août 2005.

En 1993, la Direction générale de l’environnement et de la qualité de la vie (DGEQV) a été mise en place. Relevant du ministère de l’Environnement, ce département se compose de trois autres sous-directions : la direction de la conservation de la nature et du milieu rural, la direction de l’environnement industriel et la direction de l’environnement urbain, lesquelles sont scindées, chacune, en plusieurs autres départements.

Selon Neila Akrimi, la réussite de la fusion serait tributaire de la motivation de toutes ces agences et directions. Bien qu’elle prévoie une résistance de leur part, elle estime qu’une approche inclusive et participative parviendrait à convaincre les agences environnementales de la pertinence de la fusion. « Il faut les convaincre que la fusion ne met pas en péril leur mandats », souligne-t-elle.

Plus de compétences aux collectivités locales

Morched Garbouj, président de l’association SOS Biaa, estime que la création d’un même ministère des collectivités locales et de l’environnement est pertinente à plusieurs égards. D’après lui, cette fusion permettrait de responsabiliser les acteurs locaux, mais surtout de « contenir l’ampleur démesurée qu’ont prise les agences ». « La municipalité fait la collecte, l’ANGed procède au transfert et au traitement. Le citoyen se dirige vers la municipalité, mais ce sont les agences qui détiennent le pouvoir et l’argent. Les offices ont des fonds faramineux et des projets de centaines de millions de dinars, tandis que la municipalité n’a presque rien », explique-t-il, tout en dressant les contrastes qui séparent les communes et les acteurs environnementaux.

Morched Garbouj considère que la gestion des déchets, le stationnement, les parcs ou encore la conservation des plages sont des questions locales par excellence. « Il faut les transférer aux collectivités locales afin que celles –ci soient responsables de toute la chaîne, tout en gardant une supervision permanente du centre » recommande le militant.

Morched Garbouj et Neila Akrimi prônent une répartition réfléchie et bien mesurée des compétences et des prérogatives. Les jalons de cette entreprise de décentralisation se trouvent dans le chapitre VII de la Constitution de 2014. En mars 2014, la Direction générale des collectivités locales, à l’époque sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, a entamé «  le chantier de la mise en place du pouvoir local et propose un nouveau code des collectivités locales ». Ce projet du code présente une nouvelle conception de redistribution de tâches entre le centre, avec ses divers ministères, offices et agences, et les collectivités locales, qu’elles soient des communes, des régions ou des districts.

Porte ouverte aux PPP

Si l’osmose entre le local et l’environnemental demande un remodelage de la relation entre les pouvoirs central et local, elle ouvre surtout la porte au secteur privé. L’environnement est un champ propice aux Partenariats Publics Privés (PPP) tels que les décharges privées pour les déchets ménagers, les conteneurs enterrés pour évacuer les déchets des hôpitaux, les unités de tris de déchets, ou encore les concessions de gestion des plages ou des parcs.

Mustapha Ben Letaief, juriste spécialisé en gouvernance locale appelle toutefois à la vigilance. Le 27 juillet, dans le cadre d’un atelier organisé par CILG/VNG, le juriste procède à une analyse du projet du CCL. Il estime que le projet du code est « insuffisamment clair quant aux distinctions et spécificités des contrats de délégation par rapport à la concession [les deux catégories principales des PPP, ndlr] ». Mustapha Ben Letaief relève certaines discordances avec les récentes lois relatives aux concessions et aux PPP. Selon lui, la prudence est de mise quant à l’évaluation et au partage des risques, lors de l’élaboration du contrat PPP. « Ceci éviterait de réduire ces accords à de simples procédés de privatisation. Une privatisation qui serait déguisée et engendrerait des bénéfices individuels et des déficits publics », explique-t-il.

Quelle que soit l’évolution du ministère des Affaires locales et de l’environnement, la clé de son efficacité dépendrait des politiques publiques en termes d’investissement et de lutte contre la corruption. La nouvelle structure serait imprégnée des choix et de l’approche de son chef ; le ministre Riadh Mouakher, dont le parti néo-libéral Afek Tounes est l’un des principaux promoteurs des PPP dans le pays.