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Simo (un pseudonyme, il préfère rester anonyme) se dit «de gauche radicale». C’est un ancien du Mouvement du 20 février. Il appelle au boycott des élections législatives du 7 octobre 2016. Sur les réseaux sociaux, il partage tout un argumentaire favorable au boycott, comme des dizaines d’autres internautes. Le plus souvent jeunes, n’appartenant visiblement à aucune organisation, ils se retrouvent entre autres grâce à des hashtags comme Ma msawtinch [Nous ne voterons pas]. On trouve ainsi aussi bien des analyses chiffrées ou historiques que des photomontages représentants les principaux candidats comme autant de légumes en solde. Simo partage notamment un texte, non signé «Voter ou devenir ingouvernables». Le texte concède : «le boycott n’est pas porteur d’une alternative politique […] mais il faut commencer par cela. » Les raisons du boycott mises en avant par Simo, comme par d’autres jeunes questionnés, ressemblent à ce que le texte dénonce : « Les partis sont confinés à des fonctions secondaires de sélection des élites… » ou encore «les compétences [du parlement, ndlr] sont réduites au minimum… » Ces personnes qui appellent au boycott semblent confortées dans leur position par les faibles taux de participation aux élections – dont ils ne sont pas pour grand chose. En 2011, pour les élections législatives, il se fixait à environ 45%. Le dernier scrutin -local-, en septembre 2015, enregistrait un taux de participation à quelques 54%. Et ces chiffres ne comptabilisent que les personnes inscrites, une grosse portion des citoyens en âge de voter ne l’étant pas. Une donnée qui fait dire au texte partagé par Simo : « Nous devons transformer la défiance en une volonté de lutte politique ».

Annahj, le boycott, comme toujours

Simo, indépendant de toute organisation, suit avec intérêt la campagne de boycott menée par le parti Annahj Addimocrati [ La Voie démocratique ]. Cette formation communiste, reconnue légalement, se situe à la gauche de la Fédération de la gauche démocratique (FGD). Cette coalition de trois partis, critique et favorable à la monarchie parlementaire participe au scrutin et veut incarner une «troisième voie» entre les islamistes du Parti justice et développement (PJD, aujourd’hui au gouvernement) et ce qu’elle considère comme des partis «d’administrations», proches du régime. De l’aveu des cadres de la FGD, cette dernière vise à drainer des voix parmi les nombreux abstentionnistes. Dans le contexte particulier des élections législatives de 2011, le Parti socialiste unifié, membre de la FGD, avait appelé au boycott. C’est que le débat, à la gauche de la gauche, revient régulièrement. Annahj Addimocrati, elle, a l’habitude de boycotter, une ligne à laquelle elle reste fidèle depuis sa création, en 1997 (l’organisation descend en droite ligne de Ilal Amam, active clandestinement dans les années 1970). Une position qui a un coût : l’organisation ne jouit pas de l’exposition et des financements étatiques auxquels les partis en lice accèdent. Cette année, le parti a décidé de mettre en ligne des vidéos pour expliquer sa démarche. Le boycott est une position qu’un certain nombre de titres de presse et de sites d’informations répercutent mais qui n’a pas droit de citer à la télévision ou à la radio. En revanche, les incitations à la participation sont nombreuses. Dans ces capsules, des militants y donnent leur vision très critique du vote, qu’ils perçoivent comme une «caution» à la «prédation économique» et au contrôle de la vie parlementaire par le régime. Les militants communistes descendent aussi dans la rue, distribuer des tracts incitant les citoyens à déserter les urnes. L’Association de défense des droits de l’homme au Maroc (ASDHOM) a dénoncé en 2011 l’arrestation de personnes appelant au boycott des élections, lors de distribution de tracts notamment. En 2015, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), institution officielle chargée des questions liées aux droits de l’homme réagissait à l’arrestation de militants communistes ayant distribué des tracts favorables au boycott. Dans un courrier adressé aux ministères de la Justice et de l’Intérieur, il rappelait que l’appel au boycott restait légal au Maroc. Mohamed Jaite, militant de Annahj assure que cette année encore, ceux qui ont battu le pavé ont parfois rencontré des soucis «notamment avec des baltajias [barbouzes]», dans différentes villes du pays. Des militants ont fini à l’hôpital. Dans la médina de Casablanca, le 26 septembre, le secrétaire générale de l’organisation, Mustapha Brahma, a pu prendre la tête d’un cortège en toute quiétude, pour faire connaître sa position. Les militants d‘Annahj font aussi passer leur message au sein des associations et des syndicats où ses militants sont implantés. Mais les plus grosses centrales syndicales du pays ont cette année, décidé d’appeler à voter pour différents partis de gauche lancés dans la course électorale.

Des islamistes sur Internet

L’organisation la plus puissante appelant au boycott reste la Jamaâ Al-Adl wal-Ihsan [ Justice et Spiritualité ], islamiste tolérée mais non reconnue par les autorités. Cette année, les militants adlistes ne descendent pas dans la rue. Après avoir émis un long et formel communiqué le 22 juillet, la Jamaâ diffuse de nombreux messages en ligne. Khalid Jamaï, ancien journaliste marocain et fin connaisseur de la politique, si la Jamaâ ne descend pas dans la rue, c’est qu’elle préfère éviter une confrontation trop directe avec les partis et le Makhzen. Le fonds du propos n’est pas très éloigné de celui des anciens du 20 février ou de Annahj. «En effet, les raisons qui nous poussent au boycott sont proches de celles d’Annahj» concède lui-même Omar Iharchane, cadre de l’organisation. Le communiqué de la Jamaâ insiste par exemple sur la fragilité de l’institution parlementaire. Iharchane est sûr de son fait quant à sa position. Il égrène : «Les partis sont peu crédibles, ils peinent à présenter des acquis ou des bilans valables, et nous sur le terrain, n’avons aucune peine à présenter notre position, qui est en fait partagée par de nombreux citoyens, dont presque la moitié ne s’inscrit pas sur les listes. D’ailleurs, la Jamaâ boycotte les élections depuis sa création en 1973 et sa popularité n’en est pas affectée.» Toujours est-il que les militants favorables au boycott, comme ceux des partis en lice, s’activent. Un chercheur en sciences sociales nous explique avoir recueilli, dans le cadre d’une enquête sur les comportements électoraux non publiée, menée par un groupe de recherche conjoint de l’EGE, du CJB et du CM2S, des propos d’adlistes suivant la consigne de s’inscrire et de ne pas voter afin de s’assurer que les taux de participation communiqués soient faibles. Les cadres de la Jamaâ ne commentent pas. Simo, le «vingt-févrieriste.», lui, assume totalement : il est inscrit sur les listes pour mieux montrer son rejet du scrutin.