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La 22ème COP se déroule actuellement à Marrakech, jusqu’au 18 novembre. Ce sommet du climat, qui rassemble des cohortes de négociateurs internationaux, de représentants de firmes multinationales, d’ONG, est l’occasion pour le Makhzen marocain de verdir son image, dans un contexte social tendu. Il confirme aussi la mainmise des intérêts privés sur la question du climat, réfrénant le débat démocratique et la remise en cause du modèle de développement obsolète et destructeur qui est à l’origine du changement climatique. Et la Tunisie suit la même tendance.

Les COP, deux décennies d’impuissance à contrer les changements climatiques

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Les COP, Conférences des parties, sont les rendez-vous annuels de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), créée lors du Sommet de la terre de Rio en 1992 pour encadrer les négociations sur les responsabilités et les politiques climatiques des 195 états qui l’ont ratifiée. C’est dans ce cadre qu’avait été décidé, par exemple, le protocole de Kyoto, qui imposait à certains états des réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Jamais signé par les Etats-Unis, effectif seulement sur une très courte période (2008-2012), le protocole de Kyoto a, malgré tout, fait entrer les mécanismes de marché dans les réponses privilégiées des COP au changement climatique. Les marchés carbone, permettant d’acheter et de vendre des quotas d’émissions de gaz à effet de serre, aussi surnommés « permis de polluer », ainsi que les gros projets, réalisés par des entreprises du Nord dans les pays du Sud dans le cadre du « mécanisme de développement propre », sont très contestés par les mouvements pour la justice climatique pour leur inefficacité, leur inclinaison néolibérale et les rapports de pouvoir néocoloniaux qu’ils renforcent.

L’an dernier, en plein état d’urgence, la France avait mis le paquet pour accueillir la COP21 sur le site du Bourget en région parisienne, expulsant au préalable les indésirables et déployant des cohortes de forces sécuritaires dans toute la capitale. L’évènement, présenté comme le sommet de la dernière chance, a effectivement donné naissance à un « accord historique » entre les Etats, qui prévoit que ceux-ci agissent pour contenir le réchauffement global en deçà de 2°C, ou même, idéalement, en deçà de 1,5°C, d’ici 2100, par rapport à l’ère préindustrielle. Bien qu’il ait été qualifié par le président de la République française, François Hollande, de « plus belle et plus pacifique des révolutions », l’accord ne contient aucun objectif contraignant. Signé par 192 Etats, ratifié par 100, il se contente d’inviter les Etats à proposer leurs contributions pour des politiques climatiques nationales, appelées INDCs (« Intended nationally determined contributions »). Or, sur la base de ces INDC, on s’oriente vers un scénario d’élévation globale de la température supérieur à 3°C d’ici 2100.

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Source : United Nations, Framework Convention of Climate Change
 
Malgré près de trente ans de négociations internationales, malgré les pressions citoyennes, les émissions annuelles de gaz à effet de serre dans le monde ne diminuent pas. Depuis 1990, elles ont même augmenté de 60%. Les processus mis en place au niveau international ne sont visiblement pas à la hauteur des enjeux : ils ne permettent pas de remettre en question le modèle de développement non soutenable, ni de faire face à la pression des lobbies industriels. Ils amplifient également des rapports de pouvoir asymétriques entre riches et pauvres, pays du Nord et du Sud.

La COP de l’Afrique ?

La COP22 doit être « la COP de l’Afrique », entend-on régulièrement. Chute des ressources hydriques, sécheresse, baisse de la fertilité des sols… Le continent africain sera très sévèrement touché par les changements climatiques, alors qu’il n’émet que 3% des émissions mondiales. Tout le monde s’accorde à le rappeler, avant d’ajouter que la COP22 doit être axée sur la mobilisation des financements et les transferts de technologie à destination des états africains. Lors de la cérémonie d’ouverture à Marrakech lundi 7 novembre, Ségolène Royal, ministre française de l’Environnement, qui passait le relai à Salaheddine Mezouar, ministre marocain des Affaires étrangères, pour la présidence de la COP, a ainsi présenté l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables (IAER) comme un moyen « d’engager concrètement les 10 milliards de dollars promis aux pays africains à la COP21 ».
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Cette initiative rassemble les grands projets de barrages, de géothermie et aussi, par exemple, de centrales solaires, qui ont été recensés dans les contributions nationales des Etats africains. Elle est présentée comme un moyen de répondre à « l’urgence de ce problème de justice climatique », une affirmation qui suscite la perplexité : difficile de voir en quoi ces méga-projets, plutôt lucratifs pour ceux qui les financent, dont le seul vernis « vert » est d’être étiquetés « énergies renouvelables », vont pouvoir répondre aux besoins des communautés affectées par le changement climatique, qui vont avoir plus de mal à accéder aux ressources en eau, en sols cultivables, être contraints de migrer, être exposés à de nouvelles maladies, etc.

Le slogan de « justice climatique », utilisé par les mouvements de lutte, pointe du doigt les injustices endurées par ceux qui ne sont pas responsables du changement climatique mais subissent ses effets de plein fouet, et est mobilisé pour appeler à sortir d’un modèle de « développement » extractiviste et capitaliste. Assez curieusement, il se fait maintenant récupérer par les promoteurs et bénéficiaires de ce même modèle. Du reste, le fait que cette enveloppe de 10 milliards de dollars à partager entre toute l’Afrique soit ainsi célébrée en grande pompe montre bien le peu de cas qui est fait des réalités vécues par le continent.

Début octobre, le Maroc avait également lancé l’initiative « Triple A » : « Adaptation, Agriculture, Afrique », avec une vingtaine de ministres africains de l’agriculture. Celle-ci est censée répondre à la menace accrue d’une insécurité alimentaire sur le continent. Elle vise à lever des fonds pour des projets « d’agriculture intelligente ». « Une Afrique encore largement vierge est le terrain idéal de cette agriculture nouvelle », plaide Joël Ruet, un « expert » qui a conseillé les gouvernements de l’Inde et du Sénégal, arguant aussi qu’ « une agriculture diversifiée, optimisée dans ses intrants (semences, engrais…) peut éviter la culture extensive, stopper la déforestation ». L’objectif de doubler la production agricole africaine d’ici à 2030 a été annoncé, et même de la tripler d’ici à 2050. Pour ce faire, il est prévu par exemple de favoriser l’accès aux engrais pour les pays africains. Ce qui s’associe plutôt bien avec les intérêts du pouvoir marocain et de l’Office chérifien des phosphates…

Pourtant, d’un point de vue climatique, écologique et social, l’industrie du phosphate pose problème. Non seulement l’agriculture industrielle qui carbure aux engrais phosphatés est la principale source d’émissions de gaz à effet de serre, mais elle perturbe gravement le cycle du phosphore et provoque l’eutrophisation des cours d’eau. Les réserves de phosphate ne sont pas inépuisables et, dans un horizon de 50 ans, l’accès relativement bon marché aux engrais phosphaté que nous connaissons aujourd’hui sera révolu, laissant prévoir de graves crises alimentaires.
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« Ne nous y trompons pas : cette Initiative Triple A qui vise selon les promoteurs à l’adaptation de l’agriculture africaine aux changements climatiques, n’est en fait qu’une nouvelle illusion à servir aux paysans et paysannes d’Afrique et dont déjà 27 Pays Africains se font complices. La cible de toutes ces initiatives aux noms ronflants, c’est la destruction de l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire », ont déclaré l’association ATTAC CADTM Maroc et l’organisation GRAIN dans un communiqué intitulé COP22 à Marrakech : Le royaume du business. Elles dénoncent aussi la mainmise du secteur privé sur la COP, la capture du débat sur le changement climatique par les multinationales et les banques, et leurs opérations marketing. ATTAC CADTM Maroc a organisé deux journées de rencontres et de mobilisations sur le thème « Changeons le système, pas le climat », à Safi, une ville de la façade atlantique du Maroc qui, comme Gabès en Tunisie, est affectée par la pollution due à l’industrie du phosphate et qui devrait accueillir en plus une nouvelle station thermique.

Des mobilisations qui craquellent le vernis « vert » marocain ?

La COP22, qui doit être une vitrine pour le régime du Makhzen, s’est ouverte dans un contexte assez tendu. Le 28 octobre, Mouhcine Fikri, vendeur de poissons, mourrait, broyé par une benne à ordures Pizzorno, à Al Hoceima dans le Rif. Il était monté sur la benne pour tenter de s’opposer à la destruction de sa marchandise saisie par la police, et le mécanisme de broyage s’était soudain enclenché. La vidéo de l’incident, propagée sur internet, avait poussé des milliers de personnes à manifester dans plusieurs villes du Maroc, faisant craindre au roi un scénario à la Mohamed Bouazizi. Si le souffle des mobilisations est un peu retombé ces derniers jours, il émerge d’un vécu profond d’injustice.

Les tensions imprègnent la société civile, qui est divisée. La Coalition marocaine pour la justice climatique (CMJC) s’est formée début 2016. Elle rassemble des centaines d’organisations, associations, syndicats marocains et s’inscrit dans la dynamique officielle. Elle a organisé, par exemple, les « Pré COP22 », quatre rencontres régionales en amont de la COP, avec le soutien du comité de pilotage national de la COP 22, en impliquant des acteurs issus du tissu associatif, du secteur privé, des collectivités territoriales, ainsi que des « experts ».

En parallèle, le Réseau démocratique pour accompagner la COP22 (REDACOP22), au discours plus vindicatif, regroupe des associations pour les droits humains, des syndicats et ATTAC CADTM Maroc, qui a claqué la porte de la CMJC en juin. Il cherche à s’appuyer sur les « mobilisations des vraies victimes des dommages environnementaux : la classe ouvrière, les paysans pauvres, les petits pêcheurs, les habitants des oasis, les populations autochtones, etc. »

Des appels au boycott se font entendre, notamment à cause de la présence d’Israël. Le spectacle du drapeau israélien flottant dans le ciel de Marrakech a provoqué de vives réactions, mais aussi pour protester contre le double discours du Makhzen. Des militants internationaux ont ainsi boudé les espaces de Marrakech pour se rassembler à Imider, un village à 300km au Sud de Marrakech, théâtre d’une lutte qui a opposé les villageois et les travailleurs de la mine d’argent à Managem, la holding royale. De même, des actions de protestation ont eu lieu dans le Sahara occidental, où la construction de centrales éoliennes et solaires, tant vantées dans les salons de la COP22, sert à alimenter en énergie l’activité minière et l’occupation marocaine.

La Tunisie n’est pas en reste

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Le 18 octobre, l’Assemblée des représentants du peuple a ratifié l’Accord de Paris à l’unanimité. Une délégation tunisienne est présente à la COP22, incluant le Premier ministre Youssef Chahed. Un stand Tunisie est réservé dans la « zone bleue » dédiée aux pays membres de la CCNUCC. Il accueillera le 15 novembre un atelier « de haut niveau », nous dit-on, sur les orientations nationales en matière de « développement durable » et les investissements publics et privés à réaliser.

Le gouvernement tunisien cherche ainsi à se positionner comme un bon élève du climat. Sa contribution volontaire aux efforts de réduction d’émissions (INDC), préparée pour l’Accord de Paris, et qu’il devra maintenant mettre en œuvre, est relativement ambitieuse, et surtout coûteuse. Dans le document, la Tunisie annonce qu’elle compte réduire son intensité carbone (le total des émissions de gaz à effet de serre rapporté au PIB) de 41% en 2030 par rapport à celle de 2010, en agissant dans les secteurs de l’énergie, de l’agriculture, du traitement des déchets, etc. Pour mettre en œuvre cette stratégie d’atténuation, 18 milliards de dollars sont requis sur la période 2015-2030. La Tunisie s’engage à en fournir 10% : près de 2 milliards, donc, dont la source n’est pas précisée… Le reste devra provenir de dons, mais surtout de prêts, d’investissements sous forme de partenariats public privé (PPP), et d’un accès aux marchés carbone. En clair, la Tunisie, qui n’est responsable que de 0,07% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, va s’endetter pour tenter de réduire ses émissions.

La stratégie inclut également un volet dédié à « l’adaptation » : la Tunisie subit déjà les impacts du changement climatique. Des prévisions officielles, avec un scénario considéré comme le plus probable, font état d’une élévation de plus de 2°C à l’horizon 2100 en Tunisie, encore plus forte dans les régions du sud et de l’intérieur, et d’une baisse des précipitations de 10 à 35%, là encore plus forte dans ces régions. Derrière ces chiffres, il faut envisager la baisse des réserves en eau, leur salinisation, la perte de terres agricoles, de bandes littorales, l’appauvrissement des cultures, la perte de biodiversité, la perte d’emplois, la perte de revenus, des migrations plus importantes, etc. Pour tous ces bouleversements attendus, la stratégie de l’INDC prévoit seulement 2 milliards de dollars, faisant appel au soutien international…

La rédaction de cette contribution volontaire (INDC) tunisienne s’inscrit dans une politique climatique nationale de plus longue haleine. Dès 2012, la Tunisie publiait un rapport de stratégie nationale sur le changement climatique. Dans ces démarches de mise en œuvre des objectifs de la CCNUCC, le gouvernement tunisien est « accompagné » par la GIZ, l’agence de coopération allemande. D’autres acteurs interviennent, comme l’Union européenne, l’Agence française de développement, la Banque mondiale, etc., dans le cadre de programmes touchant à l’énergie ou à l’agriculture, donc en rapport avec le changement climatique. Le rapport de stratégie nationale sur le changement climatique a été, lui, rédigé par le groupement de cabinets ALCOR-TEC « en mobilisant un certain nombre d’experts nationaux et internationaux » habitués à collaborer avec la GIZ. Les mesures d’adaptation préconisées par cette stratégie sont empreintes d’une logique de marché : une tarification de l’eau qui doit « traduire la rareté relative de l’eau », une assurance contre les aléas climatiques, l’introduction d’un mécanisme de « payement de services environnementaux »…

L’approche « innovante et participative  » adoptée laisse songeur : un groupe de consultants, rejoints dans des ateliers par des « experts aux profils extrêmement diversifiés et complémentaires », décide de ce que doit être les nouvelles orientations du développement, un sujet éminemment politique où la question de la souveraineté est cruciale. Tout cela sans qu’il y ait de débat démocratique. Ici comme ailleurs, la question climatique est accaparée par des intérêts privés, évitant la remise en cause profonde d’un modèle de « développement » injuste et destructeur, qui serait pourtant la seule réponse sérieuse au « défi » du changement climatique.