Depuis l’avènement de la coalition néolibérale au pouvoir (Nida Tounes, Ennahdha, Afek et UPL) et la présence du patronat à l’Assemblée Représentative du Peuple (25 hommes d’affaires sur les 217 députés), jamais les entreprises n’ont si peu contribué aux recettes fiscales. L’impôt sur les sociétés a perdu presque 60% de sa valeur entre 2014 et 2016, passant de 4.320 millions DT à 1.765 millions DT. Sa contribution dans les impôts directs perçus par l’Etat est passée de 51,1% à 22,6% entre 2014 et 2016, autant dire que « l’effort national » demandé vise certaines catégories au détriment d’autres.

Si cette tendance trouve son explication dans la chute du cours du pétrole et du recul de la croissance économique en 2015 (chute du taux de croissance de 2,3% à 0,8%), elle demeure néanmoins illogique au regard de la reprise économique enregistrée en 2016 (le taux de croissance a presque doublé, passant de 0,8% à 1,5%). Autrement dit, les sociétés ont payé encore moins d’impôts, alors que le volume de leurs activités est reparti à la hausse. Ceci ne peut être expliqué que par la fraude et l’évasion fiscale !

Avec la Loi de Finances 2017, le gouvernement a tenté d’inverser cette tendance en instaurant une « contribution conjoncturelle exceptionnelle » de 7,5%. Cette taxe touchera à la fois les sociétés et les personnes physiques. Elle devrait rapporter à l’Etat près de 960 millions DT. Une mesure qui pourrait  ramener la contribution des sociétés à 30 % au lieu des 22,6% actuels.

Mais d’un autre côté, les mesures de « promotion de l’investissement » prévues dans cette nouvelle loi des finances vont forcément réduire ce flux de trésorerie, car les entreprises vont bénéficier de diverses mesures d’encouragement. Pour Abdeljalil Bedoui, « le secteur privé va reprendre de la main droite ce qu’il aura donné de la main gauche, à travers les différentes mesures fiscales adoptées dans le cadre du projet de Loi de Finances 2017, au nom de la promotion de l’investissement ». Parmi ces mesures, l’économiste pointe :

  • Une baisse de 10% sur les taxes des Sociétés Exportatrices
  • Une suppression de 50% de la partie imposable sur les salaires des diplômés de l’enseignement supérieur.
  • Une exonération des taxes sur la Formation Professionnelle
  • Une baisse de la taxation de 25% à 15% pour les sociétés cotées en bourse, pendant 5 ans
  • D’autres incitations concernant les contributions sociales, etc…

Dans un contexte économique handicapé par «  l’évasion fiscale, l’inefficacité des moyens de contrôle et la collusion entre l’argent et la politique », les revenus escomptés de ces mesures  « ne sont ni réguliers ni garantis » conclut Abdeljalil Bedoui.

Ce sont toujours les mêmes qui subissent la pression fiscale

Comme le démontre le graphique, ce sont les classes populaire et moyenne qui subissent le poids de la pression fiscale, quel que soit la croissance économique réalisée par notre pays. En effet, la contribution de l’Impôt sur le Revenu n’a cessé de progresser, passant de 49% en 2014,  à 64% en 2015, jusqu’à culminer à plus 77% en 2016. Il est à noter qu’en 2015, la régression de l’activité économique a causé une baisse des Impôts Directs, mais l’impôt sur le revenu a malgré tout augmenté de 839 millions DT (plus 20,3% par rapport à 2014).

La nécessité d’alléger la charge fiscale sur les faibles revenus paraissait comme une évidence pour le gouvernement, car celles-ci ont largement rempli leurs obligations. La nouvelle loi de finances a prévu à cet effet de réviser le barème fiscal, pour instaurer d’avantage d’équité. Certes, le bonus fiscal qui sera distribué aux salariés qui touchent moins de 1.400 DT (mensuels en net) et le malus qui sera retranché à ceux touchent plus de 1.400 DT (concerne principalement les hauts cadres) vont dans le sens de plus de justice entre salariés, mais in fine, on aboutit inexorablement au même résultat : globalement, ce sont les salariés qui trinquent par rapport aux professions libérales ! Bien que les impôts perçus de la part des professions libérales a plus que doublé entre 2014 et 2016 (passant de 816 millions DT à 1.920 millions DT), leur contribution dans les impôts directs reste de toute évidence beaucoup moins importante que celle des salariés.

D’ailleurs, les pressions exercées sur le gouvernement (grèves, manifestations, interventions virulentes dans les medias, etc…) par les avocats, les médecins, les pharmaciens, et les dentistes ont finalement réussi à faire abroger bon nombre de mesures prévues dans la nouvelle loi de finances (le timbre fiscal, l’inscription de l’identifiant fiscal, la TVA de 6% sur les médicaments importés, etc…). Ces évènements ont illustré la victoire cinglante du corporatisme, et de la défaite inéluctable de la justice fiscale !

En ces temps de crise économique, la notion de « sacrifice » a beaucoup influencé le débat sur les priorités de la nouvelle loi de finances, mais le texte voté par les députés manque cruellement d’équilibre sur cette notion. Ce sont les classes populaire et moyenne qui vont encore en subir le poids, d’autant plus que leur pouvoir d’achat va parallèlement être affecté par les nouvelles mesures sur les impôts indirects (TVA, taxe sur la consommation, etc…).