Samedi 25 décembre 2016, 11h du matin, Chris, 26 ans, étudiant congolais en électronique, attend le métro à l’arrêt Habib Thameur à Tunis. Les mains dans les poches, ses écouteurs aux oreilles, comme tous les jours. « Mais c’était la pire journée de ma vie ! » regrette Chris. Il est la première des trois victimes d’une agression au couteau perpétrée par un forcené qui s’est aussi attaqué à deux femmes africaines noires ; l’une d’entre elles est toujours dans le coma.

« J’ai senti qu’il y avait quelqu’un derrière moi. Je me tourne et un inconnu me poignarde au bras droit avec un couteau. J’ai reculé de deux pas. Je pensais qu’il allait me poignarder à nouveau. J’ai commencé à enlever ma ceinture pour me défendre. À ce moment là, mon agresseur a pris la fuite. Je ne savais pas où aller. Un homme m’a aidé à appeler la police mais ils parlaient tous en arabe. C’était impossible de communiquer avec eux ». Chris n’oubliera jamais le visage de l’inconnu qui « voulait me tuer ».

À 200 mètres du lieu du premier crime, au niveau de l’arrêt de bus Le Passage, l’agresseur s’attaque à Jemima, 22 ans, étudiante d’une école d’ingénieurs. Selon plusieurs témoins, elle se débat et réussit à lui échapper mais il lui assène plusieurs coups qui l’amènent au service de réanimation de l’hôpital Charles Nicole où elle est toujours prise en charge. Le forcené poursuit sa course, vers Bab El Khadra où il s’attaque à Sarah, 21 ans, étudiante dans une université privée. Il balafre son visage et manque de l’égorger. Sortie de l’hôpital ce mardi 27 décembre, Sarah est en état de choc.

Le bras ensanglanté, Chris appelle ses amis et tente d’alerter les policiers, nombreux entre Le Passage et avenue Habib Bourguiba. « Un groupe était devant une voiture, à fumer et à siroter leurs cafés tranquillement. Je saignais et j’étais terrorisé en leur disant qu’un inconnu m’a poignardé … Ils étaient là à rigoler en me parlant en arabe. J’ai insisté, ils m’ont poussé en me disant que je dois aller au poste de police derrière le ministère de l’Intérieur [ le fameux septième ]. Là bas, on me renvoi vers le poste de Bab Souika » Essoufflé, titubant mais accompagné d’un ami, Chris arrive à déposer plainte avant de se rendre aux urgences de l’hôpital Charles Nicole.

Quelques dizaines d’étudiants africains noirs se sont rassemblés devant le poste de police de Bab Souika pour soutenir les victimes et exprimer leur inquiétude. Ils n’ont quitté les lieux qu’en début de soirée. « Les médias ont relayé une rumeur disant que l’agresseur avait une ex-copine congolaise en France qui serait à l’origine de son expulsion en Tunisie. En réalité, ce sont les policiers qui ont inventé cette histoire quand ils se sont aperçus que nous étions tous les trois congolais. Mais comment aurait- il pu nous identifier ? Je pense qu’ils disent ça pour lui trouver des excuses» s’insurge Chris qui a la ferme conviction que les crimes racistes restent impunis en Tunisie. « D’ailleurs la police est raciste et la loi n’incrimine pas le racisme. Les autorités sont ici pour protéger les Tunisiens et pas les étrangers noirs. Parfois nous sommes agressés par la police elle-même » dénonce t-il.

En 2014, quand Chris est venu en Tunisie pour la première fois, il pensait trouver « une Tunisie plus conviviale et sécurisée ». « Certes je savais que le racisme anti-noir était répandu en Afrique du Nord mais je ne pensais pas que la situation allait être aussi dangereuse. Maintenant, je pense quitter la Tunisie. D’ailleurs, plusieurs membres de la communauté subsaharienne pensent abandonner leurs études et chercher des opportunités en Europe » explique t-il. « Des enfants qui nous crient Guira Guira et Kahlouch. Des vieux qui nous crient rentrez chez-vous. Des voisins qui nous accusent à tort de mauvaise conduite. Et même des amis tunisiens qui se moquent de nous en parlant entre eux en arabe. Nous sommes tous les jours confrontés à la discrimination » renchérit Chris.

Selon Christian Bukasa, président de l’association des étudiants congolais, 8000 étudiants africains sont actuellement en Tunisie. « Mais ce nombre risque de décroître et c’est un marché que la Tunisie risque de perdre si le gouvernement n’assure pas la sécurité et l’égalité. Sans oublier l’augmentation constante des frais de carte de séjour qui sont passés de 10 dinars en 2011 à 75 dinars en 2014, puis à 300 dinars à partir de 2017 ». L’Association des étudiants et des stagiaires africains en Tunisie ( AESAT ) a enchaîné les réunions avec les ministres de l’Enseignement supérieur, celle de la Santé et celui de la Société civile et des Instances constitutionnelles pour « concrétiser nos demandes qui traînent depuis des années » affirme Christian Bukasa.

Dès samedi, l’AESAT a lancé une campagne « Je ne veux pas mourir en Tunisie parce que je suis un étranger noir » avec comme image d’arrière-plan le portrait de Trayvon Martin, jeune américain de 17 ans abattu en Floride en 2012, devenu un symbole de la campagne « Black lives matter ». Dimanche, 25 décembre, l’AESAT et des associations tunisiennes se sont rassemblées devant le Théâtre municipal à Tunis pour exiger l’adoption d’une loi contre le racisme. Lundi, le chef du gouvernement, Youssef Chahed appelle L’Asssemblée des représentants du peuple à accélérer l’adoption du projet de loi contre le racisme. Rappelons qu’un projet de loi a été déposé au Parlement par la société civile le 21 mars 2016 à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.