Alors qu’en Tunisie le coût de la répression atteint 38 millions DT par an, l’Etat du Colorado a récolté plus de 50 millions de dollars (près de 116 millions DT) de taxes sur le commerce légal de cannabis. A l’instar de la Hollande, de l’Uruguay ou plus récemment des Etats-Unis, la légalisation du cannabis montre une dynamique de création d’emplois et d’augmentation des recettes fiscales, couplée à une baisse de la criminalité.

Source de l’image : Your North County.

Au-delà du débat sur l’aspect moral de la dépénalisation, il serait intéressant de se pencher sur son aspect économique : les retombées économiques d’une régulation de la consommation légale du cannabis pourraient constituer une alternative à l’endettement. Au même titre que la taxation sur les drogues « conventionnelles » (alcool et tabac) ou sur les jeux de hasard (paris hippiques, Promo-sport, etc.), la consommation de cannabis pourrait à son tour renflouer les caisses de l’Etat.

En ces temps de crise, beaucoup de medias ont vanté la hausse de la consommation d’alcool et les performances de la SFBT, alors pourquoi ne pas envisager une « SFBT du cannabis » ? Aux Etats-Unis, le Colorado est devenu le premier Etat à générer plus de revenus par le cannabis que par l’alcool. Il est évident que l’idée peut choquer, mais elle mérite réflexion.

L’expérience des pays engagés dans la voie de la dépénalisation

Trente Etats américains ont autorisé leurs résidents à consommer de la marijuana pour un « usage médical / thérapeutique » (sous ordonnance ou après confirmation du diagnostic médical) ou pour « usage récréatif », bien que la vente de cannabis soit interdite au niveau fédéral.

L’usage médical ou thérapeutique est le plus répandu aux USA. Le cannabis y est prescrit par les médecins pour les traitements liés au cancer, à la sclérose en plaque ou à l’épilepsie, car sa plante possède des vertus pour soulager la douleur, agir contre la nausée et stimuler l’appétit. Il est également prescrit par les psychiatres pour traiter les patients atteints de dépression, d’angoisse ou de dépendance à la cocaïne.

Ces dernières années, le marché du cannabis légal a connu un véritable essor économique ; une étude, publiée en février 2016, a révélé que le chiffre d’affaires a doublé entre 2013 et 2015, passant de 2,7 à 5,4 milliards de dollars. A titre de comparaison, le géant du fast-food McDonalds a réalisé un chiffre d’affaires de 6,26 milliards de dollars en 2015. Selon les prévisions de l’étude, le marché est doté d’un potentiel de croissance de l’ordre de 30% par an sur la période 2016-2020, et pourrait atteindre 21,8 milliards de dollars à la fin de cette échéance si le processus de légalisation se généralise. Troy Dayton, PDG de ArcView Group, considère même que le commerce de cannabis légal représente actuellement « l’industrie qui croît le plus vite en Amérique [ Etats-Unis ] ».

Le commerce de cannabis récréatif contribue fortement dans cet essor économique. Ses ventes représentent 18% du marché légal de cannabis (998 millions de dollars), alors qu’il est limité à seulement quatre Etats (Oregon, Colorado, Washington et Alaska). En effet, les ventes ne se cantonnent plus à la commercialisation du produit basique, elles y associent désormais un large éventail de produits dérivés : huiles, cigarettes électroniques, infusions, boissons, bonbons, chewing-gum, barres de chocolat, gâteaux, céréales… L’industrie a su adapter le cannabis à la consommation courante des américains en investissant dans ses propres laboratoires de Recherche & Développement.

Le tourisme cannabique au Colorado, Denver Marijuana Project.

Recettes fiscales, création d’emplois… : l’eldorado au Colorado

L’exemple du Colorado est moins anecdotique anecdotique qu’il n’y parait. Grâce au boom économique de la légalisation, l’Etat a tellement perçu de taxes qu’il s’est vu être contraint de rembourser à chacun de ses contribuables la somme de 7,63 dollars !

Depuis la légalisation du cannabis à usage récréatif en janvier 2014, plus de 700 entreprises ont fleuri au Colorado. Entre le tourisme cannabique, les serres de culture, les coffee-shops, les commerces de produits dérivés ou les laboratoires de R&D, l’Etat a vu ses comptes publics augmenter de plus de 50 millions de dollars, avec un excèdent de 30 millions de dollars par rapport aux recettes prévues. C’est une situation qui a mis l’administration fiscale du Colorado dans l’embarras, car la Constitution l’oblige à reverser le surplus de recettes fiscales à ses citoyens.

La vente de produits dérivés au Colorado, Green Essentials..

Au niveau de la création d’emplois, l’industrie a pu générer près de 20.000 postes. Ils ont été créés directement par les activités de production, de transformation et de commerce, et indirectement par les activités connexes (sécurité, construction et ventes immobilières, conseils juridiques, etc.) et l’intégration de l’économie illégale.

La dépénalisation a également eu des effets bénéfiques sur le budget de la justice de l’Etat. Les arrestations pour possession de marijuana ont chuté de 95% depuis 2010, ce qui s’est traduit par une réduction radicale des dépenses liées au traitement administratif, aux procédures judiciaires et à la détention.

Cette manne économique a fortement influencé la perception du commerce légal de cannabis aux Etats-Unis, à tel point que plusieurs Etats ont été obligés de passer par un referendum, en novembre dernier, afin de délibérer sur la question. Résultat : la Californie, le Nevada et le Massachussetts viennent s’ajouter à la liste des Etats où la vente de cannabis à usage récréatif est désormais légale. Au-delà de la frontière, le Canada s’apprête également à leur emboiter le pas.

Le débat sur la dépénalisation est relancé en Europe

En France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), une structure officielle dotée d’une autorité administrative indépendante, a récemment recommandé la décriminalisation la consommation de cannabis.

Face à l’échec de la répression, les débats sur la dépénalisation et sur la régulation de la consommation de cannabis gagnent du terrain au sein des parlements et des autorités législatives, de la France à la Suisse. Le Pr. Pierre-Yves Geoffard précise :

Les pays qui, comme la France, en restent encore à une ligne répressive feraient bien de tirer les leçons de ce qui se passe ailleurs. Car si on connaît déjà les coûts de la prohibition, si son échec tant du point de vue de la santé publique que de la lutte contre le crime organisé sont bien établis et documentés, la mise en œuvre pratique de la légalisation fournit maintenant plusieurs expériences en grandeur réelle, permettant d’affiner l’évaluation de telles politiques.

Aborder la question de la légalisation en Tunisie, suscite de vives polémiques. On tolère plus facilement la consommation des drogues conventionnelles (alcool et tabac). Mais quand il s’agit de cannabis, les Tunisiens font preuve d’intolérance. Peu importe si dans notre pays 5.200 détenus, soit 1 sur 5, sont emprisonnés pour consommation de cannabis.