Les Parcs Nationaux sont représentés par des étoiles et les Réserves Naturelles par des triangles (Source : ONAGRI)

Depuis leur création en 1977, l’attention que suscitent les parcs nationaux tunisiens ne cesse de s’accroître. En effet, la conservation de la biodiversité est devenue un des soucis auquel un certain public s’intéresse. De même, de plus en plus de personnes manifestent une volonté de connaître ces sites, qui sont mis en avant par une grande variété d’intervenants comme des associations, des ministères, des agences gouvernementales, des agences de voyage…

Les aires protégées tunisiennes, et les parcs nationaux en particulier, font partie de certains programmes d’enseignement, tant au primaire qu’au secondaire ou dans certaines institutions universitaires. Leur connaissance demeure cependant superficielle et l’état de conservation des ressources qu’elles renferment demeure très en-deçà des attentes du public.

Une simple recherche bibliographique montre l’intérêt suscité par ces sites. Cependant, nous relevons des erreurs qu’il est temps de rectifier, tant du point de vue des ressources vivantes que ces sites abritent que de celui des connaissances relatives aux différentes espèces protégées.

Il est indéniable que la conservation des espèces vivantes qui se trouvent dans les différentes aires protégées soit une des raisons qui ont justifié leur création, mais les textes juridiques n’en font pas mention.

Parcs nationaux ou réserves naturelles ?

L’île de La Galite

En Tunisie se trouvent deux types d’aires protégées : les parcs nationaux et les réserves naturelles. Il est difficile d’un point de vue fonctionnel de distinguer les deux types de structures, en dehors des textes juridiques qui les ont créés.

La Tunisie comprend 27 réserves naturelles. La première, réserve marine intégrale autour de l’îlot du Galiton, a été créée en 1980. En 1993, 14 réserves ont été inaugurées, suivies par une autre en 1996, le jardin des plantes de Tunis. Toutes ces réserves ont été créées par arrêté. Des décrets parus en 2009 et 2010 y ont adjoint respectivement 4 et 6 réserves. La dernière réserve en date est celle de Djebel Hammamet, créée en 2011.

Les premiers parcs nationaux, quant à eux, ont été inaugurés en 1977 ; il s’agit des parcs de Zembra et Zembretta. Et les derniers, une série de neuf parcs nationaux, ont été créés en 2010. Nous n’avons pas réussi à trouver le décret de création du parc national de Sidi Toui malgré de nombreuses recherches sur différents sites qui répertorient ce parc.

Dans la législation tunisienne, rien ne permet de distinguer un parc national d’une réserve naturelle, sinon le mode de gestion. A chaque parc national est affecté un responsable, qui peut avoir d’autres responsabilités et n’est pas uniquement chargé d’un seul site.

Les modes de gestion des parcs nationaux et des réserves naturelles, à savoir, entre autres, l’introduction et le suivi des espèces animales, les plantations, varient d’un site à un autre, même si des plans d’aménagement ont été élaborés dans certains des sites.

Il serait intéressant de procéder à une évaluation de ces plans d’aménagement pour voir si ces mesures sont efficientes en matière de gestion, et si elles ont permis de conserver les espèces que ces parcs nationaux sont sensés contenir. Remarquons que ce type d’évaluation devrait être réalisé par des structures académiques, et non par des bureaux d’étude comme cela a souvent été le cas…

Rectifier les priorités…

La mission primordiale des aires protégées étant la conservation des espèces qui y vivent, la priorité devrait être donnée aux espèces à répartition géographique réduite, c’est-à-dire les endémiques. Or… les espèces endémiques ou à distribution restreinte – aussi bien à l’échelle du pays que celle du globe – ne sont pas considérées dans nos stratégies de conservation. Une des raisons tient à ce que ces espèces ne sont pas très connues ou sont pour la plupart de… petite taille !

L’endémisme touche essentiellement des espèces de petite taille – reptiles, rongeurs, en ne considérant que les Vertébrés – même s’il existe des espèces de plus grande taille à répartition mondiale réduite ou endémiques de la région – gazelle de Cuvier, mouflon à manchettes… Il est largement temps de rectifier le tir et d’orienter les centres d’intérêt des conservateurs vers les espèces endémiques ou à répartition géographique globale réduite.

Une action impérative en rapport avec les aires protégées, quel que soit leur statut : serait de réaliser l’inventaire continu des espèces tant animales que végétales qui y vivent. Les listes qui circulent sont truffées d’erreurs ou d’imprécisions. A titre d’exemple, on parle de présence de grives dans telle ou telle aire protégée sans préciser de quelle espèce il s’agit. Bref, il faudrait idéalement réaliser un inventaire dynamique au niveau de chaque aire protégée, tout en veillant à ce que les espèces signalées soient confirmées par une autorité scientifique ou à ce qu’une preuve formelle de leur existence soit disponible, notamment des photos prises sur le site. Ce genre de base de données pourrait être centralisée, validée puis rendue publique au fur et à mesure que des informations seraient cumulées, simplement parce que les sources des informations disponibles ne sont souvent pas vérifiables ou qu’on peut facilement les mettre en doute.

Les informations publiées dans des revues spécialisées pourraient également être placées dans un site web sur les aires protégées, auxquel les élèves, étudiants ou chercheurs pourraient également accéder sans problème. Ceci ne peut aller que dans le sens de la diffusion d’une information que ce public particulier cherche inlassablement sans pouvoir la trouver facilement…

Certaines espèces décrites en Tunisie et inconnues dans les pays voisins méritent d’être portées en priorité en matière de politique de conservation, d’autant plus qu’elles ne se trouvent dans aucune aire protégée. C’est le cas de la vipère de Böhme, décrite en 2010 au sud-est du pays.

Autres pistes…

Inutile d’insister sur l’avancement des sciences et la nécessité de se mettre au diapason des faits scientifiques. Il y a lieu d’abord de déterminer les critères de choix des aires protégées. Si certains sites ont été sélectionnés parce qu’ils abritent des espèces particulières – le gommier pour le cas de Bou Hedma, le cerf élaphe pour le cas d’El Feidja, le chêne afarès pour Aïn Ezzana, la gazelle de Cuvier pour le cas de Chaambi… –, la création de nombreux autres sites n’est pas forcément justifiée. Les aires protégées devraient être choisies car les espèces qu’elles abritent constituent une priorité pour la conservation, notamment les endémiques, ou car elles abritent une importante diversité biologique, tant animale que végétale ou fongique.

Les changements climatiques en cours devraient orienter les choix des aires protégées vers des sites qui constitueraient des refuges pour des espèces dont l’aire de distribution a tendance à se restreindre. Les outils de modélisation disponibles permettent actuellement de les déterminer avec une précision acceptable.

Une autre piste serait l’introduction de la génétique de conservation dans la gestion des espèces conservées, notamment celles dont les effectifs sont réduits ou encore celles qui présentent des caractéristiques génétiques ou morphologiques particulières : les sous-espèces décrites à ne pas mélanger ou les populations disposant d’haplotypes spécifiques.

Il est inutile de créer des aires protégées si une dynamique autour de ces sites n’est pas initiée, notamment en matière d’études et de recherches. Bref, les dysfonctionnements sont multiples et des efforts conséquents sont fournis pour presque rien.

Il y a lieu d’ajouter que de nombreux sites protégés ont été vandalisés et que l’état de conservation des populations qu’ils abritent n’est pas connu ; c’est le cas du parc de Chaambi par exemple. Il en a été créé de nombreux autres sans qu’aucune mesure réelle de conservation n’ait été entreprise, comme les réserves naturelles créées en 2010. Certains parcs nationaux ne sont pas conservés en entier et l’administration ne peut pas asseoir son autorité sur l’ensemble de leur étendue…

Pour ne pas dire que nous ne savons pas, pour que l’histoire retienne que nous ne nous sommes pas tus. Pour qu’enfin des mesures concrètes soient prises en faveur des espaces protégés en Tunisie. Pour qu’enfin cesse la politique de la fuite en avant. Pour qu’on ne nous dise pas qu’on ne nous avait pas avertis !!!