Le Théâtre National Tunisien (TNT) a reçu, jeudi 16 février, une sommation par exploit d’un huissier mandaté par le conseil national syndical des imams et cadres des mosquées, relevant de l’Organisation Tunisienne du Travail (islamiste). Son objet : Le retrait de l’affiche d’Alhakom Al-Takathor, la création chorégraphique de Nejib Ben Khalfallah produite par le TNT dont le titre représente « une atteinte au sacré ». Dès le lendemain matin, l’imam fondamentaliste Ridha Jaouadi a contesté le titre de la même œuvre et a lancé un appel à la mobilisation via sa page Facebook.
Samedi, vers 13h45, le chorégraphe Nejib Ben Khalfallah a annoncé, dans l’émission Noujoum sur Mosaique Fm, que le nom de son œuvre a changé. Il a ensuite invité l’audience à voir le spectacle. « Si j’aurai à m’excuser, je m‘excuserai », s’est-il engagé. Largement contesté par des défenseurs de la liberté de création sur les réseaux sociaux, effet amplifié par un titre approximatif publié par le site de la même radio, Ben Khalfallah a fait une deuxième sortie médiatique sur Nessma en fin d’après-midi. Il y a précisé ne pas s’être excusé. « J’ai gardé Fausse couche [le titre en français] et je me suis préservé de l’opportunisme », a-t-il déclaré.
Dimanche 19 février, un communiqué du directeur du TNT Fadhel Jaïbi a confirmé la renonciation au titre en arabe, tout en évoquant « la menace d’une contestation, voire d’une attaque, contre la salle du Quatrième art ». Il a également annoncé que le TNT a intenté un procès en référé. Par ailleurs, l’acte de l’huissier, reçu par le TNT jeudi dernier, n’est qu’une sorte d’avertissement, une formalité qui pourrait servir d’appui dans un dossier de plainte. Il s’agit donc d’une déclaration d’intention qui n’a aucun caractère obligatoire. Interpréter cette procédure comme symptomatique de « conditions difficiles », telle que décrite par Jaïbi dans son communiqué, relève de l’exagération.
S’engouffrant dans une logique conspirationniste, le directeur du TNT a qualifié la contestation des uns et des autres comme « une campagne programmée et simultanée de la part des forces takfiristes et de certains intellectuels et artistes ». Toutefois, il a exprimé son respect de la décision de l’auteur « bien que moi et ceux qui m’accompagnent n’étions pas convaincu », a écrit Jaïbi. Des propos axés sur les positions individuelles omettant le caractère institutionnel du TNT, un organisme public relevant du ministère de la Culture.
Pourtant, dans le cas présent, la Constitution est très claire. Son article 31 énonce : « Les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication sont garanties. Aucun contrôle préalable ne peut être exercé sur ces libertés ». Le fait qu’une institution publique abandonne des libertés garanties par la constitution et se réfugie dans des rhétoriques individualistes constitue un tournant dangereux pour la liberté d’expression en Tunisie. La position du TNT exprime aussi une politique culturelle qui perçoit la liberté comme un accessoire qui peut être sacrifié en fonction des circonstances.
Nolens volens, dans une telle situation, la capitulation n’est pas qu’un simple choix individuel qui n’a de conséquences que sur soi. Le fait que le TNT concède que les fondamentalistes lui tracent une ligne rouge constitue un précédent. Il ouvre la porte aux conservateurs de tout bord de se poser en censeurs et leur donne une légitimité. Une nébuleuse qui a jusqu’ici perdu toutes ses batailles menées pour rétrécir le champ du possible depuis 2011.
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