Campagne de diabolisation préméditée contre I Watch, mainmise du propriétaire de la chaîne sur les contenus éditoriaux, intention de violation de la vie privée, complicité des membres de la rédaction et instrumentalisation politique, les révélations de la fuite audio de Nabil Karoui, mise en ligne dimanche soir, sont extrêmement graves. La réaction du patron de Nessma à l’enquête d’I Watch, publié le 10 juillet 2016 le suspectant d’évasion fiscale, n’a pas été la publication de ses comptes. Le chef s’est dépêché à s’armer de son rouleau à pâtisserie : Nessma, un instrument aux usages multiples.

Ces méthodes, spécialité de la maison Nessma

Toutefois, ces révélations ne font que confirmer ce qu’on peut déjà sentir en se penchant sur les casseroles de Nessma. D’ailleurs, tout ce que Nabil Karoui concocte dans la vidéo a été fait : la bande annonce diffamatoire aux suggestions conspirationnistes, les photos des responsables d’I Watch et de leurs proches, les « journalistes invités qui ont bien appris leur leçon ». Il n’y a qu’Amine Mtiraoui qui n’a pas été « envoyé » dans les domiciles des responsables d’I Watch. Nabil Karoui aurait peut-être trouvé le procédé assez consommé, un plat banal. En effet, il a été employé en novembre 2015 contre le directeur de Mosaique Fm Noureddine Boutar quand les manœuvres politico-médiatiques du patron de Nessma ont été dénoncés dans l’émission Midi Show. Bref, les carottes sont cuites. En témoigne cette émission du 13 juillet 2016 où le menu annoncé par le chef à ses assistants est servi. Et les mets se sont succédés pendant des mois à l’instar de ces indigestes tranches datées du 29 juillet et du 06 septembre. Cette recette a été servie par Nessma à plusieurs reprises. Y ont déjà goûté les adversaires politiques de Nabil Karoui, l’automobiliste-ami de son fils décédé dans un accident, les journalistes qui critiquent ses magouilles et autres menaces de toutes natures contre les intérêts économiques et politiques du chef de la cuisine, comme la HAICA.

A table ou vers l’abattoir ?

D’ailleurs, depuis mercredi 12 avril, Nessma ne fait que bouillir les marmites contre la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) suite à sa décision de mettre un terme à la retransmission des émissions de Nessma sur les radios régionales. Plus d’une douzaine d’heures et des dizaines de publications en ligne ont été consacrées à faire avaler des couleuvres aux membres du conseil de l’instance de régulation et à intoxiquer les téléspectateurs. Toujours des émissions à sens unique en l’absence des représentants de la HAICA et de ceux qui approuvent sa décision. Des politiques et des journalistes, acquis à la cause de Karoui comme il les aime, sont invités à se mettre à table. Le défilé compte une grande liste de convives issus d’une large palette de partis politiques, de la gauche à la droite. Et ils ne viennent pas les mains vides. Ils offrent le grand cru de la langue de bois dans leurs communiqués d’indignation contre la décision de la HAICA. Ceux qui n’y arrivent pas à temps en envoient après leur passage. Nidaa Tounes, Afek Tounes, Ennahdha, le Front Populaire, la nouvelle coalition du Front du Salut, le Mouvement Echaab et autres partis ont tous répondu présent à l’appel du chef et de ses assistants. Certains gourmands, en manque de visibilité, veulent se délecter de minutes de temps d’antenne. D’autres naïfs suivent le troupeau et se retrouvent menés à l’abattoir de leur crédibilité. Sur le chemin, les brebis galeuses ne manquent pas. Les couteaux du chef sont bien aiguisés. Il finira aussitôt par se payer leurs têtes. Nolens volens, ils sont tous les dindons de la farce.

La gourmandise, un pêché capital

Malgré le communiqué austère du régulateur, une observation de la situation et ses évolutions révèle les motivations de cette décision tardive. D’abord, les fréquences des radios régionales sont une ressource naturelle. Sa gestion revient à l’Etat notamment via la HAICA. La transmission des programmes de Nessma sur ces ondes est une déviation de l’objet de leur attribution, à savoir l’information régionale. D’autant plus que l’échange entre ces radios et Nessma est inéquitable au niveau du temps imparti à chacun.  Ensuite, l’ambiguïté sur le rôle de Nabil Karoui qui a déjà prétendu avoir démissionné de la direction générale de Nessma. Un autre aspect entre en jeu : Le risque d’une instrumentalisation politique de ces fréquences pour impacter sur les résultats des élections municipales. C’est aussi une spécialité maison de Nessma. En atteste le rapport de monitoring de la HAICA des élections législatives et présidentielles de 2014. C’était l’objet des éclats de rires historiques de l’organisateur des dîners de cons, surtout que durant les mois passés, les politiques ont afflué en grand nombre autour de sa table pour fustiger la HAICA. Les mêmes politiques qui se sont retrouvés désavantagés par le déséquilibre du temps de parole entre les candidats en période de campagne.

#NessmaLeaks, un dessert amer

Nabil Karoui est bien conscient de cet impact comme il l’explique dans un autre extrait audio fuité mi-mars 2017. Il y affirme d’ailleurs avoir « supprimé » Nejib Chebbi, Maya Jribi et Yassine Brahim en les blacklistant sur sa chaîne. Et pour cause, ils ont exprimé des réticences à le soutenir lors de l’affaire Persepolis. Dans une séquence audio fuitée le 20 février 2017, il reconnait avoir « fait monter » Béji Caid Essebsi quand il raconte une conversation avec Hafedh Caid Essebsi tout en le ridiculisant. Les dizaines de politiques, de journalistes et de prétendus experts qui se sont empiffrés autour de la table de Karoui depuis mercredi dernier pour s’attaquer à la HAICA ne savaient pas ce que le chef leur préservait en guise de dessert. Lui-même ne le savait pas. Mais à force de mélanger les épices et de s’aventurer à combiner sucré et salé, le chef s’est retrouvé amené à voir des vertes et des pas mûres. Jusqu’ici, il a bien joué ses coups de dîner de cons. Et les convives ont déjà avalé des desserts périmés mais sans s’apercevoir.

Aveuglés par la délicieuse posture du défenseur de la liberté d’expression, attirés par les onctueuses minutes d’antenne libre, les politiques ont foncé droit vers la table. Ils ne se sont pas contentés de manger dans le râtelier mais ils ont rapidement plongé dans le plat, sans même tenter de s’informer sur les motivations de la décision de la HAICA. Les digestifs les plus forts ne peuvent rien y faire. Voilà que les précipitations intempestives de la diarrhée politico-médiatique coulent à flot au risque de submerger médias mainstream et partis politiques.