« Le dénommé Jawhar Ben Mbarek m’a accusé de corruption en direct sur Hannibal Tv. J’ai donc décidé de le poursuivre en justice. J’ai également demandé un droit de réponse à la chaîne hôte. Celui qui n’a rien fait n’a pas à avoir peur », a écrit Asma Abou El Hana sur sa page Facebook, dimanche 23 avril. Elue sur la liste de Nida Tounes à la circonscription de Gafsa, elle a été accusée de népotisme par Jaouhar Ben Mbarek, président du réseau associatif Doustourna , vendredi 21 avril sur Hannibal TV. Ben Mbarek a également dénoncé l’intervention de deux autres députés de Nida Tounes en faveur de membres de leurs familles pour des recrutements ou des promotions à l’Office de la Marine Marchande et des Ports (OMMP), essentiellement au port de la Goulette. Il s’agit de Sofien Toubel, chef du groupe parlementaire du parti et Hela Omrane, élue de la circonscription de Monastir et membre de la Commission droits, libertés et relations extérieures. En recoupant ces déclarations avec des documents qui nous sont parvenus de lanceurs d’alerte et dont un a été fuité par AttayarNews, les suspicions de népotisme sont renforcées, documents à l’appui.

Bénéficiaires et signataires, tous de la famille Nida

Momtez Bellah Abou El Hana, frère de l’élue Asma Abou El Hana, a signé un contrat à durée déterminée (CDD) le 15 juin 2016. Sa demande adressée le 15 mars 2016 a bénéficié d’un délai de traitement et d’approbation très rapide. Idem pour Rania Toubel, sœur de Sofien Toubel qui a signé son CDD le 08 juin 2016 après une demande déposée le 16 mai. Quant à Mohamed Omrane, frère de l’élue Hela Omrane, il a bénéficié d’une mutation du port de Radès, le 14 septembre 2016, où il travaillait comme chef de division d’exploitation pour occuper les mêmes fonctions en plus d’être chargé de la mission de « gérer les affaires de l’administration du port ». La décision lui accorde également  « les primes et avantages attribués au directeur d’une administration ». Le 28 février 2017, soit cinq mois et demi plus tard, Mohamed Omrane a été nommé directeur du port de la Goulette par intérim. Des fonctions qu’il a commencé à exercer le 21 février 2017 d’après le même document (sic).

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Cependant, les recrutements de Toubel et Abou El Hana ainsi que le transfert et la promotion d’Omrane ont tous été approuvé par Sami Battikh, président directeur général de l’Office de la Marine Marchande et des Ports (OMMP) depuis septembre 2015. Or, il n’est autre que le frère de Tahar Battikh, un autre député de Nida Tounes élu de la circonscription de Ben Arous. Toutes ces décisions ont également dû passer par l’aval d’Anis Ghedira, ministre des Transports, issu des rangs de Nida Tounes, comme l’attestent les documents ci-dessus.

Tahar Battikh (à droite) et Sofien Toubel, frères du PDG de l’OMMP et une de ses recrues

Réactions des concernés

Quatres députés, un président directeur général d’un office public et un ministre sont donc concernés. Simple coïncidence ? Reconnaissent-ils une intervention de leur part en faveur de membres de leurs familles ? « Ma sœur est majeure et vaccinée. Elle est responsable de ses actes. Les institutions publiques recrutent selon des concours ou en fonction de leurs besoins. La question est plutôt : Etait-ce légal ou pas ? S’il y un abus de pouvoir quelconque, ils peuvent s’adresser à l’Instance Nationale de Lutte Contre la Corruption », répond Sofien Toubel, chef du groupe parlementaire de Nida Tounes. « Mon frère est une compétence nationale. Il n’a pas besoin de moi pour être nommé. Ça fait 20 ans qu’il travaille à l’OMMP. Et même si je serais intervenue en sa faveur, c’est une fierté. Au moins, nous nommons des gens qualifiés et non pas d’anciens prisonniers libérés suite à l’amnistie générale », réagit Hela Omrane. Liée par alliance à la famille Ghedira, elle a catégoriquement nié quelconque lien familial entre son époux et le ministre des Transports mais reconnait qu’elle est « une amie proche d’Anis Ghedira ». « Nous avons milité ensemble dans la même région », ajoute-t-elle.

Anis Ghedira et Hela Omrane en compagnie de Majdouline Cherni ( au centre) dans l’une des activités de l’Association sportive de l’OMMP. Mohamed Omrane est le SG de ce club.

Pour sa part, Asma Abou El Hana a affirmé que son frère est au chômage et qu’il n’a jamais mis les pieds au port de la Goulette. A-t-il travaillé au port de Djerba ? Elle s’abstient de répondre et préfère évoquer des problèmes de voisinage avec Jaouhar Ben Mbarek, président de Doustourna. « C’est aussi à cause de mes propos lorsque ma langue a fourché au sujet des juifs et à cause de mon opposition à l’association Shams qu’il soutient » affirme Asma Abou El Hana, élue de Gafsa sur la même liste que Sofien Toubel. Confrontée à l’existence d’un contrat à durée déterminée au nom de son frère, Asma Abou El Hana a affirmé qu’il s’agit simplement d’ « un stage » qu’il a déjà passé. Contacté par nos soins, le service de presse du ministère des Transports nous a référé à Sami Battikh, président directeur général de l’OMMP. Actuellement en mission à l’étranger, il nous a répondu par sms où il affirme : « Tout a été fait en règle. Rien n’est douteux », tout en exprimant sa prédisposition à donner plus de détails à son retour en Tunisie la semaine prochaine.

L’Etat-parti que les Tunisiens ont vomi est-t-il de retour ? Les faveurs aux familles des élus à travers des avantages accordés par les institutions publiques, se pérennisent-ils ? Si c’est le cas, comment le gouvernement peut-il confronter les dizaines de mouvements sociaux revendiquant l’emploi dans les quatre coins de la Tunisie ? Selon, les chiffres de l’Institut National des Statistiques, le taux de chômage en Tunisie a atteint 15,5% en 2016.