Il ne devrait pas avoir du poil dans la main, Hichem Ben Ammar. Sa pratique documentaire ne cesse de s’épaissir depuis une bonne quinzaine d’année. Dans son nouveau long-métrage Bourguiba de retour, projeté en avant-première le jeudi 1er juin 2017, la caméra se montre sensible autant à une statue déboulonnée par terre qu’aux assiettes aux orties idéologiques. C’est qu’il s’agit d’y prendre le pouls d’une Tunisie en pleine psychanalyse, en documentant le retour, un tantinet polémique, de la statue équestre de Bourguiba à l’entrée de la capitale en juin 2016, après avoir été démontée au lendemain du coup d’État en 1987. Si l’idée se veut payante, son aboutissement dans le film l’est-il autant ?

Bien qu’il doive cette idée au politologue Mohamed Kerrou, rien n’empêche de reconnaître à notre cinéaste l’indépendance d’esprit qu’il mérite. En revanche, on pourrait croire que Bourguiba de retour, soutenu entre autres par la Fondation Habib Bourguiba, coche les cases d’un formulaire de commande sans forcément retirer les mêmes tiroirs de l’histoire. Ou encore, s’attendre à ce qu’il fasse vibrer deux ou trois cordes du présent sur la même note d’un récit national lève-cœur, où tout doit revenir à la niche. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas lui faire injure que de dire qu’il est un documentaire bien modeste. S’il n’ouvre pas, pendant les 50 minutes qu’il dure, toutes les pièces du dossier que charrie le retour du « combattant suprême » sur la scène publique, il est permis de se demande si l’on n’a pas affaire à un feuilleté de déjà-vu rembobiné sur grand écran.

Entre le démontage de la statue, sa rénovation et sa réinstallation, Bourguiba fait ici l’objet de trois regards. Le premier est celui de Hechmi Marzouk, le sculpteur qui a réalisé la statue en 1978 et dont le film dresse une sorte de portrait en creux. Le deuxième point de vue, rechargeant les comptes du symbolique, appartient aux adeptes du bourguibisme. Le troisième, c’est le regard de ceux qui, refusant de s’en remettre à cet idéaltype, le recrachent et inscrivent son retour au nombre des sauvetages rétroactifs du despotisme. Sans être réductible à la prise de parole, la politique du point de vue dans Bourguiba de retour conjugue le choix de ce qui est montré, l’ordre dans lequel il est montré, le rapport entre ce qui est montré et dit. Hichem Ben Ammar évite la corvée de l’histoire à raconter, par un montage en contrepoints qui rappelle les grandes lignes du récit national, tout en conservant ses détails à la remise en état de la statue.

Néanmoins, si la première partie du film dit, images d’archives entre autres à l’appui, ce qu’il y a à savoir sur le sujet, elle s’avère mieux corsetée que la deuxième qui, malgré quelques prises d’élans, n’apporte rien de particulièrement neuf. Bien qu’en surchauffe, celle-ci entraîne peu de choses dans ses bagages. Car une chose est de dire, une autre de filmer, et une troisième de donner le change.

C’est en tentant la balançoire entre les deux camps que Bourguiba de retour s’affaiblit là où il est censé être fort, qu’il éteint plus qu’il n’éclaire. Il suffit pour le cinéaste, de tendre aux passants quelques filets pour qu’il s’assure de son butin de mini-émotions plutôt que de la grosse lourdeur du bronze. Et si la pièce tombe du mauvais côté pour le sculpteur Hechmi Marzouk, humilié et mis hors-jeu lors de la cérémonie d’inauguration, c’est au contraire l’occasion pour les autres d’enlever la pommade pour voir la plaie nue, ou d’enfoncer davantage le clou, le tout dans un tricotage de surenchères et de tirs croisés. Et le spectateur, que lui reste-t-il alors à faire ? Compter peut-être les coups des deux côtés, dans un montage bien enclin à ramener le vu au déjà-vu.