« La mer, supposée être un don, est devenue une malédiction à Sayada », peut-on entendre dans les conversations des habitants de cette petite ville côtière, située à 200 km de Tunis. En effet, depuis les années 90, la baie de Monastir, qui s’étend sur 31 km, connait un véritable désastre écologique qui touche principalement les villes de Ksibet El Mediouni, Lamta et Sayada. En cause : les stations d’épurations de l’Office National de l’Assainissement (ONAS) et les usines de textiles installées en masse dans la région. Les conséquences en sont dramatiques.
Connue autrefois pour la beauté de ses plages et l’abondance de sa faune marine, la baie de Monastir n’offre plus qu’un triste spectacle où régulièrement des poissons morts s’échouent au bord de la baie, où les algues vertes envahissent les plages et où l’aspect de l’eau fait fuir les quelques habitants qui s’y aventurent. Aussi, la principale activité de Sayada, à savoir la pêche artisanale, est en train de disparaître. S’il n’y a pas de chiffres pour Sayada, nous pouvons prendre à titre d’exemple ceux de Ksibet El Médiouni où en une vingtaine d’années, le nombre de pêcheur a été divisé par trois, passant de 300 à 100 pêcheurs, selon un rapport du Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES). Aujourd’hui, les rares pêcheurs qui partent en mer sont obligés de s’éloigner des côtes pour une pêche moins importante et de moins bonne qualité qu’autrefois. De quoi les décourager. L’agriculture aussi n’a pas été épargnée : la pollution affecte directement les nappes phréatiques. Mais l’impact n’est pas qu’économique et écologique, il est aussi sanitaire. En effet, pour les habitants de Sayada, l’augmentation conséquente d’un certain nombre de pathologies (maladies respiratoires et dermatologiques, infections urinaires, cancers) est liée à la pollution. Une étude bactériologique menée par le Laboratoire Régional d’Analyse Bactériologique d’Eau en mai 2011 a démontré que l’eau de Ksibet El Médiouni, située à 7km de Sayada, présente d’importantes substances polluantes, mais aussi de bactéries telles que l’Escherichia coli, la Salmonella ou le Vibrio el tor, pouvant provoquer de graves infections.
Des stations d’épurations polluantes
Mais d’où vient cette pollution ? Principalement des stations d’épurations, dont celle de Sayada-Lamta-Bouhjar implantée en 1993. Censées traiter l’eau sale des ménages, mais aussi les eaux industrielles, elles se retrouvent aujourd’hui en surcharge en raison de l’augmentation du nombre d’habitants et de l’installation des usines de textiles. Résultat : une grande partie de l’eau est rejetée, tel quel, en mer. A titre d’exemple, la station d’épuration de Sayada connait un taux de surcharge de 240 % selon la Coordination de la Société Civile de Sayada (CSCS). « On voit souvent de l’eau bleu, couleur jean, passer par le Canal de Sidi Abdessalam », alerte Walid Kerkeni du CSCS. « Cette eau usée est directement responsable de la situation puisqu’elle est composée d’un produit chimique fortement toxique utilisé dans les usines pour le délavage des jeans ». En effet, le canal de Sidi Abdessalam, conçu pour protéger la ville de Ksar Helal des inondations, rassemble désormais l’eau pluviale, l’eau des ménages et l’eau des industries. Par ailleurs, la configuration naturelle de la baie elle-même rend le renouvellement des eaux très difficile et empêche une bonne circulation de l’eau. En effet, la baie comporte des hauts fonds sableux représentant une véritable barrière physique.
« Nous n’avons rien vu de concret »
Depuis plusieurs semaines, la société civile de Sayada est mobilisée afin que les autorités trouvent des solutions durables à cette catastrophe écologique, dont l’impact social et sanitaire ne cesse d’augmenter. A sa tête, la CSCS, créée en décembre 2016. « Depuis début août nous mettons tout en œuvre pour alerter les pouvoirs publics : marche citoyenne, sit-in, réunions populaires », informe le coordinateur de la CSCS, Walid Kerkeni. « Nous observons les premiers résultats de cette mobilisation puisque le gouverneur de Monastir qui n’avait jamais mis les pieds à Sayada a enfin daigné nous rendre visite, ainsi que le PDG de l’ONAS », poursuit-il. En effet, une visite de terrain a été organisée, le 18 août, avec les différents acteurs et plusieurs points ont été identifiés pour répondre aux attentes des habitants : nettoyage des canalisations, augmentation du taux de branchement au réseau d’assainissement dans deux quartiers (Sidi Abdesslam et Karraia 2), rénovation de la station de pompage de Sayada, protection du lycée et de la salle omnisports de Sayada contre des inondations rendant inaccessible ces lieux lors des fortes pluies (points bleus), inspection des unités industrielles branchés clandestinement sur le canal, déviation du canal de l’oued Sakli (dont l’eau est directement acheminé dans le bassin du port de pêche de Sayada) vers l’extérieur du port, transformation de la station d’épuration de Sayada-Lamta-Bouhjar en station de pompage et transfert des eaux usées vers le pôle technologique de Monastir, et enfin, maintenance des canalisations et mise en place de tampons de regard neufs.
Autant de chantiers qui redonnent doucement espoir aux habitants de Sayada. Mais pour Walid Kerkeni, il ne faut pas crier victoire trop vite. « Tout cela n’est que théorique pour l’instant. La mobilisation doit se poursuivre tant que nous n’avons rien vu de concret. Nous avons mis en place un échéancier et nous suivons de près chaque dossier afin de nous assurer de la mise en œuvre des travaux », affirme-t-il. Plusieurs réunions ont d’ores et déjà été planifiées avec des représentants du gouvernorat de Monastir, ainsi qu’avec le Ministre de l’Agriculture, Samir Taieb, qui a confirmé une visite à Sayada courant septembre.
Vouz avez oublié Khniss aussi
Moi c juste un mot: merci pour cette article.. Merci pour Sayada…
Et puis comme d’habitude, un deuxième mot. Depuis un peu plus de 30 je me pose la question suivante: comment un maire pourra accepter qu’un tel canal ”sidi abdessalem” pourra être fait… Sachant que dès le premier jour les habitants ont été contre?
Je ne dirai pas plus.