« Il n’y a pas eu de nouvelles initiatives pour les écoles de la région. Les préparatifs de cette année se sont limités à des travaux routiniers de maintenance et à la distribution de matériels », déclare Mongi Manser, délégué régional de l’éducation dans la région de Médenine. Ces travaux concernent actuellement 50 écoles primaires, et leur état d’avancement est variable, a-t-il précisé. Selon le délégué, pour palier certains retards, il s’agit d’assurer « des solutions alternatives comme la location de propriétés ou l’emprunt d’espaces administratifs non-exploités à l’instar de celle de la solidarité dans le gouvernorat de Médenine ».

Manque de couverture et rôle limité des acteurs locaux

Or dans les faits, la réaction des délégués régionaux de différents gouvernorats s’avère improvisée et insuffisante face aux problèmes qui entravent la bonne marche de plusieurs écoles primaires. Autant de questions mises en évidence lors des protestations continuelles des habitants à chaque rentrée scolaire. La population de Henchir Bichi, dans la région de Kairouan, s’indigne du manque d’eau. Les habitants de Guetaya, au nord de Kebili, ont fait grève à cause de l’état des salles de classes qui menacent de s’effondrer. A Om Fareth, dans le même gouvernorat, les parents d’élèves exigent  une clôture autour de l’école, tandis que ceux de la zone d’el-Dhraâ, à Sidi Bouzid, revendiquent  l’aménagement de la route menant à l’établissement. Quant aux élèves de Kessra au cœur de la montagne de Balouta, ils ne disposent pas de moyen de transport adaptés aux conditions particulières de la région. Autant de préoccupations lancinantes qui restreignent  les activités quotidiennes des parents comme des élèves.

Les délégations régionales de l’Education nationale exécutent et supervisent des travaux d’entretien et d’aménagement au niveau de chaque région. Elles établissent, via l’administration locale des constructions et équipements, les priorités et besoins et les transfèrent au ministère de tutelle. Une commission interne des constructions civiles se charge par la suite de l’étude des projets après désignation d’architectes ou d’ingénieurs sur décision du ministère. La commission régionale des marchés est, quant à elle, présidée par le délégué régional et a des représentants régionaux des ministères de la Finance, de l’Equipement et du Commerce. Elle annonce les appels d’offre et les supervise sous la tutelle du gouverneur. Tous ces travaux et acquisitions se font à travers des marchés publics locaux dont les dépenses ne dépassent pas 3 millions de dinars par marché pour ce qui est des constructions et 200 mille dinars pour ce qui est des équipements. Dans le cas contraire, ils sont renvoyés à la commission centrale des marchés. Le coût et les délais sont précisés pour chacun (voir le document ci-dessous). En ce qui concerne le ministère de l’Education, les dépenses de construction et d’entretien se font en deux temps pour chaque marché dépassant les 700 mille dinars. La délégation régionale a la prérogative de superviser ces travaux, dans le cadre d’un transfert des compétences du ministère de l’Education.

A l’instar d’autres structures décentralisées, les délégations sont liées au pouvoir de tutelle et elles s’y réfèrent dans la mise en œuvre des politiques générales. Les montants leur sont alloués par le pouvoir central. Les 26 délégations régionales de l’Education ont été créées par l’arrêté numéro 2205 du 6 septembre 2010, suite au diagnostic établi pour le secteur en 2009, sous la tutelle du ministère de l’éducation. Celui-ci a révélé des besoins s’élevant à 800 mille dinars pour généraliser une infrastructure de base à toutes les régions. Cependant, tous les indicateurs ont reculé depuis 7 ans et le diagnostic est devenu obsolète, au vu de la dégradation de la situation et la hausse des revendications. Les indicateurs actuels mettent en évidence l’incapacité du pouvoir central à remédier à toutes les lacunes. Le recours aux administrations régionales ne peut qu’être limité en raison du manque de ressources et du déficit du budget public.

Les enjeux liés au secteur éducatif et son infrastructure constituent autant de problématiques locales entravées par la politique centrale et ses contraintes d’équilibres. Au pire, les pouvoirs locaux, situés au bas de la hiérarchie, sans ressources personnelles ni indépendance financière, ne sont pas à même d’être aux côtés des habitants et des élèves, tant leur dépendance au centre est quasi-totale.

Politiques-pansement du gouvernement

Nous avons rencontré Samia Ziani, responsable de l’administration des constructions et de l’équipement au ministère. Elle nous a confié que la situation est exécrable, le ministère « agissant dans les limites des ressources disponibles, loin de suffire aux 700 mille dinars nécessaires ». Ce montant correspond aux besoins urgents de l’infrastructure, dont 430 mille dinars concernent plus de 4580 écoles primaires. Les estimations budgétaires de la loi de finances de 2018 n’ont pourtant pas dépassé 180 mille dinars. Les 3 années précédentes, elles n’avaient pas dépassé 160 mille dinars ». Et d’ajouter « Au vu des pressions actuelles sur le budget et la situation de bon nombre d’écoles, nous sommes obligés d’agir selon des priorités qui concernent surtout la sécurité et la santé des élèves en coordination avec les délégations régionales ». Ziani a appuyé ses dires avec des chiffres, démontrant ainsi que 23 écoles primaires, menaçant de s’effondrer, ont été évacuées cette rentrée. Elles sont momentanément transférées dans des locaux loués temporairement à l’instar de l’école primaire de Menzel Temim.

De manière générale, les choix stratégiques de l’administration centrale  dans la réponse aux différents besoins des établissements n’ont pas eu l’efficacité escomptée. Les interventions n’ont été que partielles. Seules 1100 écoles sur un total de 4580 ont été aménagées depuis 2011. Les politiques gouvernementales, pour remédier à l’incapacité organique du secteur, recourent aux crédits et à l’investissement des bailleurs de fonds. Selon l’accord signé en 2014, la Banque Européenne d’Investissement (BEI) a promis une participation de 700 million de dinars dans la création de 59 établissements éducatifs et l’aménagement de 301 autres. Plusieurs autres accords avec la Banque Mondiale sont en cours d’examen par le gouvernement. La mise en œuvre se fera avec l’Unité de gestion des projets à travers les crédits extérieurs au sein du ministère. Celui-ci s’est quant à lui limité à l’organisation de projets et campagnes symboliques, à l’instar du « Mois des écoles » qui entame sa troisième année consécutive ou « L’institution amie de l’école ». Enième tentative de consolidation de la bureaucratie par des cadres institutionnels parachutés aux travaux d’aménagement, de construction et d’équipement.

Le ministère poursuit sa politique d’austérité que le diagnostic de 2009 n’a pas manqué de remettre en question. Ainsi apparaît un grand déséquilibre dans la distribution des ressources, l’entretien des écoles, la construction de nouvelles et l’achat d’équipements n’en représentant que 3%. Les 97% restants sont consacrés aux salaires. Samia Ziani affirme également que la nature des problèmes croissants liés à l’infrastructure concerne majoritairement les clôtures, l’humidité et l’absence d’eau potable et de centres de soin. Cela découle surtout du non-respect des cahiers de charge ou de problèmes dépassant le ministère, comme c’est le cas pour l’eau. Ziani affirme que « 660 écoles souffrent d’un manque sérieux en eau potable et le ministère ne prévoie que des citernes ». Elle explique « la résolution du problème de l’eau passe obligatoirement par les ministères de l’agriculture et de la santé ». Les dépenses liées à l’approvisionnement des écoles en eau sont estimées à 11 milliards, mais le ministère des finances n’a pas les ressources nécessaires. Le problème est révélateur de l’étendue de la crise des politiques gouvernementales causée par la division sectorielle, le manque de coordination entre les ministères et leur éloignement des préoccupations des citoyens.

La succession des politiques-pansement et des campagnes propagandistes visant à voiler la réalité des écoles ont contribué à compliquer davantage le dossier de l’éducation nationale, et à approfondir la crise de confiance des citoyens à l’égard du pouvoir.