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S’il fallait désigner la personnalité du mois de mars dans les médias mainstream tunisiens, Samir Majoul serait probablement choisi. Élu en janvier à la tête de l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA), il a fait le tour des plateaux politiques. Les tensions entre les signataires du Document de Carthage l’ont poussé à expliciter sa vision du pouvoir. Une vision pour le moins inquiétante. Dans cet article, je me réfère à l’interview du 15 mars 2018 dans l’émission Midi Show sur Mosaïque FM avec Boubaker Ben Akacha, sachant que le président de l’UTICA a tenu le même discours sur les autres plateaux.

Monsieur Majoul est ce que l’on appelle un bon client pour une certaine presse. Il est francophone, parle « à la bourguibienne», tient un discours d’autorité avec une pointe d’humour. Le dernier qui s’est essayé à cet exercice a décroché un bail à Carthage pour, au moins, cinq ans ! Mais au-delà de la forme, que dit le successeur de Wided Bouchamaoui ? Il nous sort l’antienne des « compétences » censées gouverner le pays au mépris de toute considération démocratique ! Ses connaissances bancales en droit constitutionnel lui font dire que le gouvernement n’est pas élu (sic) et que par conséquent, les ministres n’ont pas à être politisés. Quand l’animateur lui oppose, très gentiment, la légitimité des urnes, il s’empresse de rappeler le taux élevé d’abstention des dernières élections générales. Les gens ont certainement boudé les élections car ils voulaient un gouvernement de technocrates choisi par benchmarking ! Il en profitera pour dénoncer l’actuel système de gouvernance, qui n’est que formellement appliqué, la réalité du pouvoir revenant au président de la République.

Il enchaîne, en invitant Youssef Chahed à outrepasser ses prérogatives si la loi le bloquait dans sa volonté de réforme ! Et pour cocher toutes les cases du parfait bourguibiste, il nous sert le discours classique du « Combattant suprême » qui a investi dans la matière grise. Il rend un hommage appuyé à feu Hédi Nouira ne voyant que du positif dans son bilan (les évènements de 1978 en font sans doute partie) et en profitant pour régler ses comptes avec Ahmed Ben Salah et Mohamed Mzali, sans toutefois les nommer. Ce discours pourrait prêter à sourire s’il n’était pas tenu par le chef d’une organisation incontournable dans le pays. La rhétorique autoritaire et antiparlementariste peut être dévastatrice et fatale pour la transition démocratique. L’expérience postsocialiste des républiques d’Europe centrale et orientale est en cela très éclairante.

Devant les troubles inhérents à tout changement brusque des rapports sociaux, la demande d’autorité est normale. Les discours faisant l’apologie de l’homme providentiel qui ferait primer la stabilité sur l’Etat de droit, associés à une nostalgie d’un passé où l’Etat était fort, peuvent mener au pouvoir des groupes peu regardants sur les principes démocratiques. Le parti Droit et Justice (Pis) en Pologne, Viktor Orban, promoteur de la « démocratie illibérale » en Hongrie ou Vladimir Poutine en Russie, sont autant d’exemples qui viennent nous rappeler qu’une restauration autoritaire n’est pas exclue en Tunisie et qu’une partie non négligeable de la classe gouvernante s’emploie à dégouter les Tunisiens de la démocratie et à leur faire regretter « le temps béni de la dictature ». Les différentes initiatives pour museler l’opposition via un nouveau mode de scrutin et les attaques répétées contre la justice transitionnelle ne sont pas de nature à nous rassurer.