Intelligent et bien construit, Best Day Ever d’Anissa Daoud et Aboozar Amini profite du petit format mordant pour louvoyer sans prendre la marge. Ce film fait plus que mettre à l’image quatre points de vue. Le temps d’un après-midi, il s’empare d’une cellule familiale pour y jeter ses membres comme des pions sur un échiquier intime, en faisant se rencontrer doutes et quiproquos sur un fil ténu. L’ouvrant aux principes d’une relativité généralisée, la fiction y cherche la tension, moins pour dégonfler la baudruche familiale que pour en tester la solidité. Et ce n’est pas sans porter ses fruits.
C’est parce qu’il a l’intelligence de ses fins que Best Day Ever a aussi celle de ses moyens. Suite mesurée de malentendus qui se passent le relais comme les ricochets d’un événement qu’on croyait sans retombées, le film met les points de vue de ses personnages à l’épreuve d’une fausse causalité. Passées les prémisses apparentes du décollage, tout bascule à la renverse : l’accrochage du fils cadet avec un voyeur qu’il a surpris entrain de mater sa sœur ; la mère qui prend son fils pour ce voyeur, et le père qui prête oreille à son fils pour aller fouiner dans les affaires de sa fille, la soupçonnant sur une mauvaise pente. Après la méprise, viennent les sursauts du soupçon.
En distribuant ces angles morts tout au long de l’histoire, Anissa Daoud et Aboozar Amini explorent ce qu’il y a de périphérique dans la trame. Le négociant ici par ellipses et le prenant là de vitesse, le film gravite autour du non-dit comme bombe à retardement, pour nous laisser, nous spectateurs, assis entre deux chaises. Entre d’autres mains, ce rapport de cause à effet s’établirait les yeux fermés. Mais dans Best Day Ever, la remontée du temps est un gage d’efficacité narrative, offrant l’avantage du suspens sans l’inconvénient du forceps chronologique. En plus d’éclairer les contretemps par leurs conséquences autant que par leurs causes – moments habituellement éludés dans l’action ou temps de latence rendus enfin visibles –, le montage inversé orchestre pertinemment les montées de tension pour déboucher sur une violence qu’ont laissé deviner les entrées et sorties du cadre. Mais il permet surtout de spécifier chaque point de vue, par la restitution de l’arbitraire qui a présidé aux quiproquos, que le récit parviendra à conserver jusqu’au silence significatif de la dernière scène, réunissant sur la table du dîner des âmes trop honteuses d’elles-mêmes pour se parler.
Si le portrait de ce foyer ne manque pas de subtilité, dans sa rapidité d’exécution, Best Day Ever dessine par indices les contours d’un film à message, autour de la méprise parentale. Servi par une caméra leste, raccord avec l’efficace littéralité des dialogues, le scénario fait que les quiproquos cognent fort dans une mise en scène qui vient donner un joli coup de pied dans la fourmilière. C’est deux fois que le film nous fait le coup : une première fois, en ménageant ses surprises dans sa construction comme dans son dénouement. Une deuxième fois, toujours en bien, avec la performance sur le fil des deux jeunes comédiens, assumant chacun avec brio et justesse son inconfortable position dans ce triangle familial. Beau travail qui a le goût d’un cinéma de poing.
Cannes 2018 plutôt ;)
Merci Badou. C’est rectifié