Les choses seraient peut-être simples si l’on reconnaissait que l’heure est au déni exonéré du réel. Après tout, c’est la mode après avoir été l’exception. Confiée à la curatrice tunisienne Myriam Ben Salah, l’exposition Water Pressure ne déroge pas à ce constat. À peine distinguera-t-on, dans l’espace du bâtiment investi à cet effet – l’église de l’Aouina -, un ring de boxe, quelques salles vétustes, des baudruches flottantes et des photos punaisées sur les murs, titillant l’aptitude du visiteur à s’en laisser conter. Mis à part une seule vidéo, il n’y a pas grand-chose qui mérite l’attention dans ce pavillon. Si ça ne mange pas de pain dans Jaou – gratuité et ambiance décontractée obligent –, encore faut-il se garder de mélanger d’un revers de main l’ivraie et le bon grain.
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Goût du paradoxe mis à part, Water Pressure relève d’une démarche noyée. C’est en effet le moins qu’on puisse dire d’une exposition qui se veut « humble » et « créatrice de dialogue ». Tout commence par là, en effet, et tout y ramène : la molle conviction qu’ici rien n’appelle rien. Water Pressure entretient le thème de l’eau et de sa liquidité par un semblant de démarche curatoriale qui ne parvient pas une seconde à formuler une proposition cohérente. On ne sait pas si le parcours épouse une logique, s’il prend en considération les spécificités initiales du lieu, ou s’il faut se contenter de quelques relais visuels pour surfer sur la vocation sportive de ce qu’il est devenu à présent : une salle de boxe semi-clandestine, affiliée à la Garde Nationale. Tout se passe en effet, dans cette exposition conçue « sur le modèle de l’infiltration », comme si Myriam Ben Salah ne jugeait pas nécessaire d’ouvrir les paupières du visiteur et se mettre à l’écoute du lieu de manière à solidariser sa démarche, les œuvres et les regards. Inutile donc de gratter le vernis pour comprendre que cette exposition est loin de définir la moindre tonalité.
N’ironisons pas sur la qualité dont peuvent se prévaloir certaines œuvres. La désinvolture s’y abreuve un moment avant de laisser le n’importe quoi s’y désaltérer, que ce soit avec les poissons en mylar de My Room Is Another Fish Bowl, l’installation immersive Philippe Parreno, ou encore au seuil de la nauséabonde Kercha d’Alex Ayed, une sculpture de savon à l’huile d’olive, installée dans les douches et destinée à disparaître au contact de la chaleur ou de l’eau. Les adjectifs ne se bousculent pas non plus devant Fly, la vidéo de l’artiste marocaine Meriem Bennani : c’est une mouche-fruit en animation digitale qui sert de guide au spectateur, laissant le propos se balancer entre documentaire de voyage, soap opera et séance de ragots.
Avec l’artiste libanaise Jessy Moussallem, faute de plan A, on a eu plutôt droit à rien moins qu’un plan B ! L’air de rien, on redécouvre son clip Roman qu’elle a produit pour Mashrou’ Leila, à la place du film qu’elle a été invitée, à l’occasion de Jaou, à réaliser sur les jeunes sportives du club. Le procédé n’est-il pas bouffon ? Sans doute.
Hormis ces cabotinages, quelques démarches in situ se rabattent sur le lieu d’exposition faute d’interroger l’élément liquide. Ainsi de la pièce sonore Second souffle de l’algérienne Lydia Ourahmane, ou encore des photos de la libanaise Ayla Hibri qui offrent unité d’action et unité de lieu, suintant à peine la sueur à l’image des jeunes corps qu’elle a captés au sein de ce club de boxe. Seule l’œuvre de l’artiste libanaise Mounira Al Solh tombe raccord avec le sujet, desserrant un peu l’étreinte de la supercherie. Le visiteur peut s’accorder une pause en suspension du temps devant sa vidéo The Sea is a Stereo, où elle interviewe, en doublant la voix masculine par la sienne, des Libanais – pas du tout jeunes ! – qui se baignent à Beyrouth quelles que soient les circonstances. S’offrant comme une bouée de secours pour un geste curatorial peu sérieux, cette œuvre est insuffisante, à elle seule, à assurer à l’exposition un minimum de santé visuelle.
Reste la parade. On ne le comprend que trop : rien de tel que l’application d’une dose de pensivité pour rehausser ce tout-venant à un propos qui ne la ramène pas. Le principe n’est pas nouveau : avec pour dispositif de légitimation deux citations et trois concepts à la sauce de Zygmunt Bauman, Mariem Ben Salah semble douée pour rendre les cervelles, plus que l’œil, perméables au chic de l’engagement. Peut-être qu’elle a des habiletés que personne ne lui envie. Mais dès qu’on déshabille son texte, une discussion sur pièces confirmera deux choses : que cette doxa simili-critique pète décidément plus haut que son cul, et qu’elle est soluble dans un propos grassement satisfait de sa sociologie ambiante. Pour peu qu’on lui reconnaisse le sérieux de l’intention, Water Pressure ne saurait ainsi servir que de verre grossissant à une démarche qui a pu revêtir toutes les fonctions – sauf celle d’un accompagnement curatorial.
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