Nawaat : Comment s’est déroulée la mission d’investigation depuis votre nomination à la tête du groupe d’experts, en décembre 2017 ? En quoi consistait-elle et quel en était le résultat attendu ?

Kamel Jendoubi : Il s’agit d’un groupe d’experts qui a une mission qui ressemble largement à celles des commissions d’enquête : il doit analyser, investiguer sur les violations des droits de l’homme en détails sur une période qui va du 1er septembre 2014 à fin juin 2018, rendre un rapport, et si c’est possible, donner une liste des personnes qui auraient commis des crimes en vertu du droit humanitaire international et du droit de la guerre. La différence avec une commission d’enquête, c’est que notre groupe rend compte d’abord au Haut-Commissaire, lequel, dans le cadre d’un dialogue interactif, va rendre compte, en présence des experts, au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

Le groupe est constitué de trois personnes dont moi qui le préside. Il y a Melissa Park, qui est une ex-ministre australienne, qui a aussi participé à plusieurs missions notamment à Gaza, et Charles Galway, un ex-militaire britannique spécialisé dans tout ce qui est droit de la guerre et droit humanitaire international. Et avec nous une équipe, un secrétariat, qui est recruté parmi les personnes qui ont un certain nombre de compétences, sans parler du côté logistique, administratif, sécurité. Nous avons un conseil juridique, un conseil militaire. Il y a aussi des investigateurs qui sont ceux qui sont allés le plus sur le terrain.

D’une part, nous avons fait l’interprétation qui est argumentée juridiquement, en vertu des bonnes pratiques du Haut-Commissariat dans ce genre d’affaires. Etant donné que les violations sont vastes et le laps de temps dont on disposait, moins d’un an, était limité. Nous avons défini 7 principaux groupes ou variables importantes des violations des droits de l’homme. D’autre part, nous n’avons pas traité de toutes les violations et nous avons précisé dans le rapport que celui-ci n’est pas exhaustif. Au contraire, on recommande la poursuite du travail pour pouvoir en traiter d’autres. A titre d’exemple les mines, ou encore les périodes pendant lesquelles il y a eu des occupations des villes, des destructions d’écoles. Puis nous avons défini une méthodologie. Classique, à savoir il y a des visites de terrain, un inventaire documentaire de ce qui existe chez les Nations Unies ou d’autres acteurs. Nous avons lancé un appel par internet à tous ceux qui ont des documents ou des informations pour nos équipes. Un autre moyen a été de solliciter les différents partenaires, à l’aide de questionnaires détaillés. Nous avons envisagé aussi de rencontrer les témoins, visiter les lieux des violations graves, analyser les documents militaires, satellites et analyser des vidéos. C’est un travail énorme.

Nous avons réalisé 13 visites entre mars et juin 2017, non seulement à Aden et à Sanaa en tant qu’experts, mais l’équipe avec nous a été à Aden, Sanaa, Sada, Ta’izz, Hodeida, qui ne sont pas toujours faciles d’accès. Nous sommes allés à Riyad, où l’état-major de la coalition nous a reçus. De juin à août, rédaction et analyse. La date de présentation était presque décidée avant. Dans certains cas, le rapport est envoyé une semaine au plus aux Etats membres pour qu’ils préparent leurs commentaires. Nous avons décidé autrement : nous l’avons envoyé la veille, au moment où on l’envoyait à tous les journalistes. Il n’y avait aucune obligation, notre souci étant de dire qu’il ne faut pas que ce soit l’objet de campagne de désinformation. D’autant plus qu’aucune de toutes les sollicitations qu’on a faites auprès de la coalition saoudienne, du gouvernement yéménite, des Houthis, n’a reçu de réponse. La seule réponse a été envoyée par la coalition avec trois mois de retard après la date limite repoussée à leur demande. Une réponse pour l’essentiel très générale, qui ne répond pas aux questions qui sont, elles, très précises. Et le rapport a été remis le 28 août.

Depuis que vos conclusions ont été rendues publiques, y a-t-il eu une évolution quelconque de la situation?

Ce rapport est venu à un moment particulier, c’est-à-dire que les premières négociations, la première tentative de mettre les différents partis autour d’une table de discussion début septembre a échoué. Mais aussi il y a eu des événements dramatiques, comme le bombardement d’un bus qui a provoqué la mort d’un certain nombre d’enfants en août. A ce sujet, la coalition saoudienne avait d’abord nié avoir commis de tels actes, puis a reconnu son erreur après la publication de notre rapport. Elle s’est même engagée à poursuivre les fauteurs et à engager des réparations pour les victimes. C’est dire qu’ils ont déjà reconnu plusieurs mois avant une erreur semblable : le bombardement de la grande salle de Sanaa, alors que les gens se réunissaient à l’occasion d’un décès. C’était terrible puisque le résultat était de 126 morts, plus de 600 blessés. Nous avons visité cette salle, nous avons vu les dégâts considérables que deux bombardements avaient causés, ce qui nous a incité à demander quels sont les processus par lesquels le choix des cibles et la réalisation de la frappe se font. Car il y a quand même des lois, notamment trois principes qui doivent s’appliquer dans tout conflit armé : distinction, précaution, proportionnalité. C’est-à-dire, est-ce que la cible est civile ou militaire ? Si la cible est petite, ce n’est pas la peine d’envoyer une bombe de 6000 tonnes, ou alors il faut le justifier. La précaution, c’est de savoir effectivement s’il y aurait des conséquences autour de la cible, des écoles, des hôpitaux. Tout cela est guidé par un principe général qui est de veiller à ce qu’il y ait le minimum possible de dégâts sur les civils et sur l’infrastructure. Il faut analyser si des erreurs ont été commises ou s’il y a une volonté.

Les 7 priorités que nous avons définies sont :

  • Les attaques aériennes car ce sont celles qui ont produit le plus grand nombre de morts. Même au niveau des infrastructures, des lieux visiblement civils ont été frappés à plusieurs reprises : des cortèges de funérailles, des hôpitaux, des salles des fêtes, des marchés.
  • Les bombardements et les actes de « sniping » dans les zones urbaines. Cela concerne particulièrement Ta’izz et surtout les bombardements par des armes à grande échelle d’action qui ont été utilisées par les houthis pour frapper certains quartiers, dans des lieux urbains donc civils.
  • La restriction en matière d’accès de l’aide alimentaire et des besoins fondamentaux des Yéménites. Il faut savoir qu’avant 2015, le Yémén apportait plus de 90% de ses besoins fondamentaux, en matière alimentaire, de médicaments, d’énergie, sur ces 90%, 80% passait par le port de Hodeida, d’où son importance stratégique. Des mesures de restriction ont été prises plus ou moins sévèrement, par un blocus total ou des contrôles, qui s’accompagnent de décisions graves, par exemple la fermeture de l’aéroport de Sanaa. Les conséquences sont considérables. D’abord ça se traduit au fur et à mesure des années par une sous-alimentation chronique qui a touché plus de 20 millions de Yéménites, sur les 29 millions que compte la population totale. Sur les 22 millions de personnes que les organisations humanitaires considéraient comme sous alimentées, plus de la moitié qui sont sévèrement sous-alimentés. Les personnes vulnérables, comme les enfants et les femmes, sont les plus touchées. Les conséquences économiques sont aussi importantes dans la mesure où ça a poussé à l’augmentation des prix, donc on peut trouver des produits, mais à des prix énormes, de telle manière que les yéménites ne pouvaient pas y accéder. Si on ajoute à cela d’autres mesures qui ont aggravé la situation humanitaire, il faut en parler, depuis 2 ans les fonctionnaires qui se trouvent dans les zones sous contrôle des houthis, ne sont pas payés. Or il faut savoir que si le gouvernement reconnu internationalement contrôle la majeure partie du territoire, 83% d’après eux, il ne s’y trouve qu’environ 20% de la population. Alors qu’on évalue que les zones hors de leur contrôle concentre 80% de la population. Les effets de telles mesures sont donc encore plus importants dans ces zones-là. Il y a même des inégalités dans la mort.
  • Les lieux de détention, que ce soit dans le nord ou dans le sud. C’est évident qu’il y a eu des mauvaises pratiques, de la torture, des viols mais pas partout, nous avons documenté un certain nombre et les avons cités. Il y a les lieux de détention secrets mis en place par les Émiratis par exemple, par les anciennes milices qu’ils appellent « la résistance » et qui sont devenues une sorte de corps parallèle mais soutenu par les Émiratis et aujourd’hui organisées dans ce qu’ils appellent « le conseil du sud », son projet étant de scissionner avec le nord. Ils s’inscrivent dans la légalité, mais ils sont contre le gouvernement, et c’est la force qui domine dans le sud. Le gouvernement à Aden a très peu d’influence. Il y a le ministre de l’Intérieur et des policiers mais qui sont désarmés par les milices. Bref, ils ont ouvert des lieux de détention dans lesquels ils ont pratiqué la torture, les mauvais traitements. Dans le nord aussi.
  • La liberté d’expression, et de manière générale les croyances. Ça touche les ONG, les journalistes, dans ce domaine toutes les parties harcèlent les journalistes, etc. Il n’y a pas d’exception. Cependant, il y a, en terme quantitatif, plus de 20 journalistes arrêtés au Nord, les ONG sont harcelées, mais dans le sud aussi.
  • Les violences sexuelles ou sexistes à l’égard des femmes et des réfugiés dans les centres d’accueil et de rétention et dans les lieux de détention. Il y a beaucoup de réfugiés qui ont été parqués dans ces lieux-là, et il existe de très lourds témoignages, décrivant des scènes de viols et des scènes d’une violence inouïe.
  • L’enrôlement des enfants.

De manière générale, notre conclusion est que tous les acteurs violent les droits de l’homme. Tous. L’ensemble des informations que nous avons eues nous laissent croire qu’il y a des violations qui sont susceptibles d’être considérées comme des crimes de guerre. Il y a des personnes aussi, dont les autorités de fait, qui sont susceptibles d’être poursuivies.

Quelles conséquences aura votre investigation sur les individus présumés coupables de crimes de guerre et autres violations graves du droit international ? Peut-on imaginer que la Cour Pénale Internationale utilisera vos données ou que des sanctions soient prises, notamment à l’égard des puissances étrangères ayant enfreint l’embargo sur les armes ?

Pour les armes, cela relève d’autres instances, notamment du Conseil de sécurité. Il y a une commission d’experts qui a d’ailleurs été mise en place pour suivre les sanctions qui ont été prises à l’encontre d’un certain nombre de personnes, et analyser éventuellement l’implication d’autres puissances étrangères, comme l’Iran, dans l’affaire. Ce n’est pas notre mandat d’apprécier ni d’analyser ces éléments-là, de développer une analyse géopolitique ou politique, même si ce sont des choses qui ne sont pas absentes de notre esprit.

Par contre, on peut déjà dire qu’on parle davantage du Yémen depuis la publication du rapport qu’avant. Il y a réellement un changement dans le traitement de ce que j’ai appelé « la guerre oubliée ». Sous plusieurs formes, la première quand on parle des conditions humanitaires terribles, des enfants, des bus qui sont bombardés, la deuxième se rapporte à l’armement. L’une des recommandations que nous avons faites est d’absolument cesser d’armer les parties au conflit. J’ai également constaté un changement de ton, dans le langage et dans la communication des parties prenantes. Il ne vous échappe pas l’évolution de la communication de la coalition, depuis la publication du rapport, qui insiste pour dire qu’elle respecte le droit humanitaire internationale et les règles de la confrontation.

Le rapport a peut-être joué un rôle en incitant les partenaires de la coalition comme l’Arabie saoudite à donner des gages. J’ai appris que le roi Salmane a décrété une amnistie pour tous les Saoudiens qui ont été partie prenante de ce qui se passe au Yémen, mais une clarification officielle a été faite après la publication du rapport, en précisant que l’amnistie ne concerne que les sanctions administratives et pas les crimes de guerre. C’est un changement de communication. Ce que j’ai observé enfin, mais sans confirmation officielle, c’est qu’un certain nombre de gens auraient été libérés après la publication du rapport. Ce sont des informations sous réserve, il faut que ce soit vérifié par les mécanismes des Nations Unies. Il faut recueillir le témoignage des gens détenus. Mais certains disent avoir disparu depuis 2 ans et qu’un jour, on leur a dit « allez, vous êtes libres dégagez ». Nous avons d’ailleurs constaté le transfert du contrôle d’un certain nombre de lieux de détention vers l’administration légale et leur mise en place sous la tutelle de la justice. Là encore, le ministère au Yémen est en voie de reconstruction, c’est difficile mais nous l’avons encouragé en disant qu’il faut absolument que les juges prennent ça en main, qu’il faut leur donner les moyens nécessaires.

Enfin, il faut savoir que tous les Etats du conflit n’ont pas ratifié la Convention de Rome. Ils ne tombent pas sous la compétence de la Cour Pénale Internationale. Il faut réfléchir à autre chose. Dans le cadre d’une procédure judiciaire, nos résultats peuvent être repris pour être approfondis.

Vous parliez d’un changement dans la communication des médias de la coalition, vous faites d’ailleurs l’objet d’une campagne de dénigrement dans ces mêmes médias, saoudiens et émiratis. Comment gérez-vous cela ?

Pour vous répondre franchement, je ne me suis pas posé cette question et j’ai été bien reçu partout où je suis allé. J’aurais pu y penser si notre nomination avait suscité des réactions, mais la résolution est unanime. Bien sûr, la campagne ne concerne pas le fond du rapport. Ce ne sont pas des considérations qui relèvent des droits de l’homme, mais des considérations politiques : « vous n’avez pas parlé de l’Iran », vous n’avez pas souligné l’importance de l’aide humanitaire fournie par l’un, vous n’avez pas parlé des houthis pour telle ou telle période. Je réponds donc que tout ce qui est géopolitique n’est pas dans notre mandat. En outre, nous avons déjà dit que ce rapport n’est pas exhaustif.

Mais ce qui est absolument particulier, c’est que la campagne de diffamation, de désinformation me concerne moi et la coordinatrice du secrétariat, et il se trouve que nous sommes arabes tous les deux. La campagne d’ailleurs ne se fait qu’en arabe. Elle n’est ni en français ni en anglais. Et elle se fait par les moyens de communication arabes, Al-Arabiya TV, Sky News Arabia, connus pour leur proximité avec des pays impliqués dans le conflit, l’Arabie saoudite et les Emirats. La campagne est aussi sur les réseaux sociaux, en arabe toujours, avec des expressions ordurières, des menaces, parfois tendant à laisser croire qu’il faut liquider les personnes. Je ne m’attendais pas spécialement à cette violence, à cette discrimination, pourquoi attaquer les Arabes ? Je n’ai pas d’explications. S’ils ont des arguments par lesquels ils veulent mettre en cause notre analyse, qu’ils le fassent, qu’ils développent. Or c’est totalement absent.

Quels sont les points qui soulèvent le plus de tensions ? On parle par exemple, d’une liste nominative des individus présumés coupables de crimes de guerre.

A première vue, ce qui semble avoir soulevé le plus d’intérêt de la part des médias mais aussi de la part des Etats ou des ONG, c’est le fait d’être arrivé à des constats qui mettent en exergue l’éventualité de crimes de guerre. C’est un stade susceptible d’être par la suite passible de sanctions ou de poursuites judiciaires. C’est aussi le fait d’avoir remis une liste confidentielle des personnes susceptibles d’avoir commis ces crimes. Certains critiques disent qu’on était un peu hâtifs, qu’on aurait pu attendre davantage. Pour la Syrie, ils ont attendu trois ans. La question n’est pas d’être trop rapide, c’est que nous avons fait le constat d’un certain nombre d’éléments. L’application du droit humanitaire international n’attend pas trois ans, non plus pour déclarer qu’il y a des possibilités de crimes de guerre et quand c’est possible pour donner des indications sur telle ou telle personne qu’elle soit civile ou militaire. Pour nous c’est une critique qui ne tient pas. C’est comme si on disait qu’il n’y a pas d’urgence. D’autres peuvent aussi dire que ce n’est pas un signe de professionnalisme, mais libre aux gens de dire ça, je pense qu’aussi bien le groupe que le secrétariat sont composés des gens vraiment très compétents. Je ne peux que leur rendre hommage, à l’équipe qui a été mise en place pour travailler d’arrache-pied sur le terrain, pour l’analyse des documents et des témoignages. Ce sont des milliers de pages analysées et travaillées dans un petit laps de temps. Encore une fois ce n’est pas un travail exhaustif, il mérite d’être poursuivi, d’où notre recommandation que la question reste à l’ordre du jour du conseil, et qu’il y ait une prolongation du mandat.

Quels sont les Etats qui vous ont exprimé leur soutien ou qui étaient coopérants durant l’enquête ? 

Tous les Etats membres nous soutiennent théoriquement puisque ce sont eux qui ont adopté la résolution. Dans le cadre de la mission, nous n’avons pas affaire aux Etats. Ceux-ci doivent créer les conditions favorables, mais répondre à nos sollicitations est une autre question. Le moins qu’on puisse dire c’est que beaucoup d’éléments nous manquent.

Réaliser cette enquête sous mandat de l’ONU, dont le Conseil de sécurité est composé des fournisseurs d’armes vers l’Arabie Saoudite et l’Iran, peut-il être contraignant ? 

Un des éléments qui font que le rapport a eu l’écho qu’il a eu, c’est que précisément c’est la première fois qu’un rapport tamponné Nations Unies a été publié sur le Yémen, rapport d’un groupe d’experts indépendants. Avant, il y avait des rapports d’ONG sur les violations. Il y avait aussi le rapport annuel présenté par le Haut-Commissaire devant le Conseil, mais il était basé sur la documentation du bureau local du Haut-Commissariat. Mais c’est la première fois que des experts indépendants font un tel travail, l’estampillage onusien a probablement donné plus de poids à des analyses qui dans le passé auraient peut-être été faites par d’autres acteurs. Beaucoup attendaient le résultat. Les yéménites d’abord, puis ceux qui ont voté cette résolution, et les ONG. Je remercie beaucoup les ONG internationales qui se sont organisées en espèce de consortium et réclament le prolongement du mandat et même son élargissement parce qu’elles estiment, et je pense de façon assez juste, que la question des droits de l’homme doit rester à l’ordre du jour.

La Tunisie fait partie de la coalition menée par l’Arabie Saoudite dans le cadre de la lutte contre le terrorisme depuis 2015. Dans quelle mesure l’Etat tunisien est-il impliqué dans le conflit au Yémen jusqu’à présent ? 

La Tunisie ne fait pas partie de la coalition de soutien à la légalité au Yémen. Elle fait néanmoins partie de la convention arabe de lutte contre le terrorisme de 1995, qui est ratifiée par tous les pays arabes et gérée par le Conseil des ministres de l’intérieur arabes dont le siège est à Tunis. Cette convention est d’ailleurs souvent utilisée pour réprimer les militants des droits de l’homme. Cependant, le gouvernement tunisien a fait parfois des déclarations officielles tendant à soutenir la coalition, notamment le ministre des Affaires étrangères et le président de la République lors du sommet arabe à Riyad. Il y a des déclarations mais ça ne veut pas dire que la Tunisie soutient la coalition. Les membres de la coalition de soutien à la légalité au Yémen sont connus : le Qatar en a été exclu, il y a le Maroc, le Barheïn, l’Egypte, le Soudan qui est très engagé militairement avec plusieurs milliers de soldats, la Jordanie. Pas d’Algérie, pas d’Irak, pas de Liban, pas de Tunisie. Par ailleurs, le Yémen n’en fait pas partie, ce qui pose des questions : comment la coordination se fait entre les décisions militaires et le terrain ? Qui informe ? Jusque-là on nous dit que les informations viennent du gouvernement local. Le président Hedi se trouve à Riyad avec plusieurs ministres, certains sont à Aden.

Le rapport est présenté devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies le 26 septembre. Quelles suites à cette première enquête sont possibles (une deuxième par exemple) ?

Le Haut-Commissaire sera à New-York mais son adjoint sera présent à Genève. Nous allons présenter le rapport, ensuite les Etats prendront la parole. Apparemment, il y a une liste énorme d’interventions. Puis c’est au tour des ONG accréditées auprès du Conseil des droits de l’homme. Enfin, il y a le vote de résolutions. A ma connaissance, il y a aujourd’hui deux projets. Un projet est initié par les Etats arabes qui sont les membres de la coalition, c’est-à-dire l’Egypte, l’Arabie saoudite, les Émirats, le Soudan et le Yémen. Je n’ai pas d’éléments s’agissant des autres pays arabes, à l’instar de la Tunisie, mais nous le saurons. Ce projet a pour objectif en réalité d’axer sur le mécanisme national d’investigation mis en place par le gouvernement yéménite, en sachant bien que ce mécanisme est gouvernemental et n’a pas la possibilité d’accéder à tous les lieux. Cela tendant d’une manière très explicite, à rejeter le renouvellement du mandat de l’actuel groupe.

Un deuxième projet est initié par les Pays-Bas, comme la résolution précédente, avec le soutien entre autres de l’Union Européenne et du Canada. Ce projet reprend l’ancienne résolution et demande le prolongement du mandat d’une année pour poursuivre les investigations et présenter un rapport dans un an dans les mêmes termes.

Est-ce qu’il y aura deux résolutions ou la possibilité de faire un compromis entre les deux ? Ce sont des choses qui sont en train d’être négociées. Dans le même esprit que la résolution de 2017, il peut y avoir un souci de compromis pour que chaque parti trouve une partie de son compte dans la résolution. Je pense que les initiateurs du second projet ne sont pas dans une logique de confrontation mais de soutien à la poursuite de la mission en recherchant des compromis avec l’autre partie. Comment ce compromis va-t-il se traduire ? Il peut y avoir plusieurs formules. Il peut y avoir des éléments dans la composition elle-même du groupe, qu’il soit renforcé dans le souci de se diversifier ou de rassurer les uns et les autres.

En tant qu’expert, quelle est votre recommandation ?

La recommandation est claire. Il faut que la question des droits de l’homme au Yémen reste au top de l’agenda. Le mécanisme recommandé est de prolonger le mandat du groupe pour qu’il poursuive ses investigations et rapporte dans une date ultérieure, et d’améliorer la coopération avec les différents acteurs qu’ils soient étatiques ou non-étatiques. C’est exactement ce que nous voulons, maintenant c’est aux Etats de décider.