Si le quartier de Djebel Jelloud a été officiellement fondé en 1973, son histoire remonte à bien plus loin. Bâti près de la zone de Sidi Fathallah, le siège de la délégation ne représente pas grand-chose face aux syndicats constitués sous la colonisation française. Une époque marquée par l’émergence de la conscience ouvrière dans la région. Les travailleurs ont d’abord lutté pour arracher leurs droits des mains des colons français, avant de participer au combat pour la libération nationale.
Dans son ouvrage intitulé « La classe ouvrière tunisienne et la lutte de libération nationale (1939-1952) », le chercheur Mustapha Kraïem relève que « la région de Djebel Jelloud, éloignée d’à peine trois kilomètres de la capitale tunisienne, a vu émerger la première grande zone industrielle moderne ». Or la zone connaitra un tournant après les événements sanglants de 1947, précise Kraïem.
Le tournant de 1947
Le leader syndicaliste FarhatHached s’est rendu à Djebel Jelloud le 2 août 1947 pour participer aux manifestations ouvrières dans cette zone industrielle. Ce jour-là, deux ouvriers tunisiens ont été tués lors d’affrontements avec les forces françaises d’occupation, témoigne un syndicaliste qui a assisté aux événements sanglants.
Un syndicaliste retraité de la Société Nationale des Chemins de Fer Tunisiens, Khemais Saqra raconte : « vers la fin des années 1940, une cimenterie, une carrière de pierre, ainsi qu’une usine de carrelages ont été fondées. Je me souviens que lors d’une session de formation syndicale à Djebel Jelloud, au début des années 70, un syndicaliste a témoigné des événements auxquels il avait assisté en 1947. Il nous a raconté que deux ouvriers tunisiens ont été tués lors d’affrontements avec les forces françaises près du pont adjacent à la cimenterie ». Et d’ajouter : « une année plus tard, Farhat Hached est revenu à Djebel Jelloud. Pour commémorer ces événements, il a fondé une équipe de football, l’Union sportive de Djebel Jelloud ».
Au fil des années, la région sera marquée par un important activisme syndical. Un phénomène renforcé au cours des années 60, avec l’implantation de nouvelles entreprises dans la zone, indiquent les archives du journal « Al-Châab », l’organe de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT). Ainsi, la dynamique syndicale évoluera parallèlement à l’ouverture de l’usine de textile, de la Société de Transport de Marchandises (STM), de la Société Tunisienne d’Engrais Chimiques (STEC), BATA, des Fonderies Réunies et d’autres compagnies spécialisées dans les travaux d’infrastructures.
De la lutte syndicale à l’activisme politique
« L’activisme ouvrier et syndical a atteint son apogée à Djebel Jelloud dans les années 1970 et 1980, alors que la plupart des usines étaient détenues par l’État tunisien », déclare Nasreddine Sassi, un journaliste d’Al-Chaâb originaire de la région. « Une section syndicale locale a été fondée à Sidi Fathallah. Les syndicats ont à la fois œuvré dans leur champ traditionnel, comme sur les plans politiques, culturels et sportifs. Je me souviens que mes oncles jouaient au football toutes les semaines lors de rencontres entre les ouvriers des cimenteries, du complexe des alcools et de la société de transport », ajoute Sassi.
Le développement de l’activité syndicale dans la région a favorisé l’émergence de la conscience politique des travailleurs. Ainsi, certains d’entre eux se sont engagés dans des organisations politiques légales ou clandestines. Khemais Saqra, est l’un de ces ouvriers ayant rejoint une cellule du Parti Communiste Tunisien (rebaptisé ultérieurement Mouvement Ettajdid, puis El-Massar) à Djebel Jelloud. Il déclare à cet égard: « Nous avons constitué une cellule de militants syndicaux issus de nombreuses sociétés, notamment descimenteries, des minoteries et des chemins de fer. Syndicalistes à l’origine, nous avons formé en 1979 une cellule du Parti communiste tunisien sous la direction de feu Ahmed Ibrahim ». Et d’ajouter : « Auparavant, on entendait nos collègues de la cimenterie évoquer notamment Georges Adda, qui visitait périodiquement les usines de la zone pour examiner les moyens d’assurer une couverture sociale aux travailleurs. Adda effectuait des visites dans les usines afin d’identifier les besoins fondamentaux des ouvriers ».
Déclin de l’action syndicale
Selon l’ouvrage de Mustapha Kraiem, la crise de l’UGTT qui a éclaté avec l’avènement du Premier ministre Mohamed Mzali en 1985 a marqué le début du déclin de l’action syndicale à Djebel Jelloud. Pour sa part, Khemais Saqra rappelle qu’il a été mis en détention au cours de cette période mouvementée. « Avec l’arrivée de Mzali, la vie syndicale a entamé une nouvelle phase à Djebel Jelloud. L’ex-Premier ministre a prononcé un discours hostile à l’UGTT et aux syndicalistes. On a fini par être arrêtés. J’ai passé personnellement deux mois et demi en prison », déclare l’ancien activiste.
Et de poursuivre : « La plupart des usines appartenant à l’État ont été privatisées. Une cimenterie a été vendue à un investisseur italien. Samir Majoul, l’actuel président de président de l’UTICA (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat), est devenu propriétaire d’une conserverie de tomates et d’harissa… Au fil des années, le nombre d’ouvriers a baissé, entrainant le déclin de la puissance syndicale qui caractérisait Djebel Jelloud ». Après l’arrivée de Ben Ali au pouvoir, Djebel Jelloud a commencé à perdre son caractère industriel et à se vider de sa force ouvrière, aggravant le climat social dans la région.
Hassan, 72 ans, ouvrier retraité d’une cimenterie locale, note à ce propos: « Dès l’année 2000, le nombre d’usines a commencé à diminuer. Des centaines de jeunes demandeurs d’emploi sont devenus de véritables bombes à retardement. Les pères comme les mères de ces jeunes ont travaillé toute leur vie dans ces usines. Or celles-ci ont fini par abandonner la région, laissant un vide qui n’a depuis pas été comblé ».
This feature was supported by the Rosa Luxemburg Stiftung with funds from the German Federal Ministry for Economic Development and Cooperation.
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