A peine 3 kilomètres séparent la région de Djebel Jelloud du centre de la capitale tunisienne. Il s’agit de l’une des plus anciennes zones industrielles, avec une histoire qui remonte aux années 1940. Sa situation géographique stratégique en a fait une zone attractive pour la main-d’œuvre tunisienne. Mais de nos jours, c’est plutôt le marasme économique et le chômage, ainsi que le spectre de la drogue qui s’étendent sur le quartier.

« Notre génération a été relativement chanceuse. Djebel Jelloud attirait une main-d’œuvre de toutes sortes et de toutes les régions du pays. Dès la fin des années 50, la population de la zone a commencé à croitre. Des maisons et des quartiers ont été édifiés autour des usines. La situation a perduré jusqu’aux années 1980. Avec les années 1990, le mouvement  s’est intensifié et des quartiers anarchiques ont émergé. Depuis, on a constaté une hausse de la criminalité et du chômage, entachant la réputation de Djebel Jelloud ». Un état des lieux dressé par un ancien du quartier, Hassan, du haut de ses 71 ans, dans un entretien avec Nawaat. Dans la région réputée pour ses nombreuses usines, sévit désormais un taux de chômage élevé. La délégation de Djebel Jelloud, fondée en 1973, dans la banlieue sud de Tunis, s’étend sur une  superficie d’environ 425 hectares, dont 234 dédiés à la zone industrielle. La localité compte près de 25 mille habitants, soit 6 mille 200 familles réparties sur 5 mille 724 logements. La région compte 7 délégations, à savoir Sidi Fathallah, Djebel Jelloud, Bach Hamba, Hay el-Fath, el-Sabkha, el-Garjouma, et el-Afrann.

Chômeur diplômé

« Je suis né à Djebel Jelloud, et je ne l’ai quitté que le temps de mes études supérieures, à Sfax. Je suis désormais cloitré à la maison, à cause du chômage », déclare Walid Hilali, 29 ans, diplômé en anglais des affaires de l’Université de Sfax. Et d’ajouter : « Mon père est retraité de la cimenterie locale. Il a tout fait pour me dénicher un emploi dans la même boite, qui a besoin de personnel maitrisant l’anglais. Parce que l’usine exporte également le ciment qu’elle produit.  Mais toutes les tentatives ont échoué. Je passe tous les jours devant la cimenterie près de notre quartier pour me rendre dans les cafés du centre-ville. Autant dire que la harga [émigration clandestine] vers l’Italie me trotte dans la tête ».

Les usines ne manquent pourtant pas à Djebel Jelloud. Selon les données du ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, les plus importants établissements industriels de la zone sont l’Union Centrale des Coopératives Viticoles (UCCV) qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 33 millions de dinars avec ses 350 employés, et l’Usine des Ciments artificiels tunisiens qui enregistre un chiffre d’affaires de 37 millions de dinars avec 181 travailleurs.

Les usines refusent d’embaucher

Mongi, un policier à la retraite relève à cet égard : « Djebel Jelloud fournit d’énormes revenus fiscaux à la municipalité de Tunis via les impôts dont s’acquittent les usines locales. De leur côté, les usines engrangent de gros bénéfices en raison de la pression exercée sur le nombre des travailleurs. Le travail des ouvriers est long et pénible. Les sociétés invoquent la crise et la baisse du dinar pour justifier leur refus d’embaucher.  Mais personne ne croit en ces prétextes à Djebel Jelloud.  Nous sommes à seulement 15 minutes du port par lequel transitent les produits  fabriqués ici. La gare la plus proche est à 5 minutes. Les usines locales profitent de l’emplacement stratégique de notre région et ne veulent même pas embaucher nos diplômés universitaires ».

Selon les résultats de l’Enquête nationale sur la population de 2014 publiés par l’Observatoire national de la jeunesse, 18% des jeunes de à Djebel Jelloud âgés de 15 à 29 ans sont au chômage. Un taux qui atteint les 34,16%  dans les rangs des diplômés de l’enseignement supérieur. Des chiffres reflétés au quotidien par le vécu des habitants de la zone. L’ancien policier déclare à ce sujet : « Même quand un père travaillant dans une usine locale ou même un retraité s’aventurent à contracter un emprunt bancaire en vue de financer un projet pour leurs enfants, ils doivent faire face à la grave crise qui sévit dans la région ». Il poursuit : « j’ai un ami qui a emprunté pour financer le projet commercial de son fils. La boutique qui vendait du matériel électronique et des ordinateurs a mis la clé sous la porte au bout de trois mois. Notre voisin a rassemblé une somme importante pour permettre à sa fille de monter un atelier de couture. Au terme d’une année, le matériel a été vendu et l’atelier a dû fermer ».

C’est dans ce contexte que prospèrent les cafés, dont le nombre est en progression constante ici, souligne Walid Hilali, précisant que ces établissements sont principalement fréquentés par les jeunes. « Djebel Jelloud est cernée de toute part par les usines. Tandis que les jeunes au chômage se bousculent dans les cafés bondés. L’Etat se contente de siphonner l’argent des usines. Il n’y a ni développement ni emploi ici. Faites un petit tour dans les environs. Vous ne trouverez aucune agence bancaire. Même les banques nous ont désertés », déplore Walid. Outre la question lancinante du chômage, des habitants de Djebel Jelloud relèvent d’autres problématiques aussi brûlantes.  « Malheureusement, le quartier fait les frais de la mauvaise image qui s’est répandue à cause des dealers et des braqueurs qui sévissent dans la zone », note de son côté Mongi. Il souligne : « les responsables des usines font part des réticences des investisseurs en raison de la violence des jeunes de la région. Alors qu’en réalité, la plupart de nos jeunes à la recherche d’un emploi sont des diplômés universitaires et se retrouvent victimes de l’amalgame ».


This feature was supported by the Rosa Luxemburg Stiftung with funds from the German Federal Ministry for Economic Development and Cooperation.
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