Sous son armure d’enseignant de droit constitutionnel, Kais Saied balaye d’un revers de main les polémiques autour de son supposé penchant islamiste. « Ceci ne me concerne pas », assène-t-il. Le candidat à la présidentielle préfère parler de « la concrétisation de la volonté du peuple », de «  souveraineté populaire ». Un positionnement qui inquiète de nombreuses organisations de défense des droits humains, dont la Coalition civile pour les libertés individuelles. Et il y a de quoi vu les opinions de Saied concernant l’égalité à l’héritage, l’abolition de la peine de mort ainsi que la dépénalisation de l’homosexualité et la consommation du cannabis.

Lors de la première conférence de presse tenue après l’annonce des résultats préliminaires définitifs par l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE), Saied a tenu à être rassurant. « Nous ne ferons pas un retour arrière sur nos acquis en matière de libertés, en matière des droits des femmes, en matière des droits de l’enfant. Nous les soutiendrons encore plus, jusqu’à ce que nous parvenions de l’Etat de droit à la société de droit », a-t-il déclaré.

Entre Constitution et référentiel religieux

L’enseignant de droit constitutionnel ambitionne de mettre en place une décentralisation du pouvoir qui permettrait d’exprimer les aspirations de tous. Il assure qu’il tachera de respecter la Constitution, non par conviction mais parce qu’il « obligé » de le faire. Il tient ainsi au formalisme des institutions en attendant de les chambouler. Pour lui, la Constitution de 2014 a confisqué la volonté du peuple, minée par les blocages puisqu’elle a été édictée dans une logique partisane.

Saied met en exergue le dilemme de l’interprétation des dispositions constitutionnelles en évoquant l’article 1er considérant l’islam comme religion de l’Etat ou encore l’article 6 garantissant à la fois la liberté de conscience et de croyance et la protection du sacré. Toutefois, Saied ne présente pas une alternative concrète, il se contente de dire que « la Constitution devrait traduire les valeurs et la volonté d’un peuple ». D’après lui, la solution résiderait dans la composition non partisane de la Cour constitutionnelle, censée trancher sur ces antagonismes, et la transparence des avis que ses membres vont émettre.

Protecteur du patriarcat

Or, tout en promettant de ne pas toucher aux acquis des femmes, Saied émet un avis intransigeant concernant l’égalité à l’héritage, tout en s’appuyant sur l’article 21 de la Constitution consacrant l’égalité entre citoyens et citoyennes. Pour lui, le texte coranique est clair là-dessus et il est basé sur « la justice ». Pour lui, établir l’égalité piétinera tout le système matrimonial où les hommes sont amenés à prendre en charge femmes et enfants d’où cette inégalité en leur faveur. A noter que les féministes, dont l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), appellent aussi bien à l’égalité à l’héritage que l’abrogation de l’article 23 du Code du Statut Personnel (CSP) qui énonce que l’époux est « chef de famille ».  Cet article confère à l’homme des avantages mais aussi plusieurs  obligations contraignantes. D’ailleurs, même la Colibe a proposé son abrogation. Tout en louant le courage politique du président Bourguiba lors de sa promulgation du CSP, Saied assène que l’ijitihad (l’effort d’interprétation) est permis mais dans la limite du système établi.

Ses positions sont encore plus liberticides concernant les défenseurs des minorités sexuelles, qu’il accuse d’être à la solde des étrangers pour faire « propager l’homosexualité ». Saied affirme pourtant que « la dignité du pays est dans la dignité de ses citoyens et citoyennes », sans exprimer quelconque intention d’arrêter le recours aux tests anaux.

Ses prises de positions rappellent celles de plusieurs figures d’Ennahdha et autres courants islamistes, mais il rejette catégoriquement quelconque affinité avec eux. D’ailleurs, il accuse Ennahdha d’instrumentaliser l’islam à des fins politiques. Quant à sa rencontre avec Ridha Bel Haj, secrétaire général de Hizb Ettahrir, il dit qu’il est prêt à rencontrer tout le monde. Entouré et soutenu par des figures de gauche et des islamistes, tous apartisans, Kais Saied, qui a reconnu ne pas connaitre tous ses adeptes, aspire à balayer tout le système… sauf le système patriarcal.