Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Plutôt, ce nom, pas besoin que je l’invente. C’est le nom qui décrit la cohérence de tous tes actes dans cette affaire. Des actes mesquins qui puent le paternalisme et l’autoritarisme. De ton communiqué qui t’accuse au lieu de t’excuser. De la disproportion de ta réponse à des paroles qui ne t’étaient même pas directement adressées mais que ta fragilité a interprétées comme une menace à ta position… De ta chaire académique que tu as transformée en panoptique pour surveiller et punir… Bref, de ta bêtise.

Une caricature de Tawfiq Omrane

Je te parlerai de ta bêtise. Non, pas celle vaguement évoquée par un statut publié par un étudiant que vous avez suspendu pour quelques mois. Non pas celle-ci. Non mais plutôt une autre. Plutôt celle qui fait qu’une photocopie d’une capture d’écran atterrisse sur ton bureau en lieu et place de documents autrement plus académiques. Admirons le parcours : Au sein de ton institution, quelqu’un a jugé pertinent de capturer un statut Facebook, l’imprimer, l’envoyer dans le circuit bureaucratique de ta déshonorable institution pour qu’il arrive au bout du bout de la chaîne chez toi, sur ton propre bureau. C’est qu’au sein de cette déshonorable institution, tout le monde sait, du moins a l’intuition, que tu es friand de ce genre de friandises. Je suis même curieux de la fierté dans le regard du larbin en bout de chaîne qui te l’a fait parvenir sur le bureau.

Celle qui fait qu’un crime est assez grave pour être puni de quatre mois de bannissement, mais que des excuses sont suffisantes pour passer l’éponge. Comme quoi, dans ton institution les règles ne sont pas tellement importantes que la soumission à l’institution. Plutôt la soumission à celui qui la représente en fait. Des étudiants, des agents ou des ouvriers qui te montrent leur soumission, te font la courbette, c’est tellement bon pour ton égo! Aussi bon que les courbettes que tu ferais toi-même au ministre ou aux puissants du pays ! N’a-t-on pas vu ton semblable passer conseiller/secrétaire d’état/ministre de l’un à l’autre des partis au pouvoir sans ciller le moins du monde ?

Celle, plus subtile, de ton institution où les syndicats se sont sentis obligés de publier un communiqué pour soutenir ta position. Serais-tu un petit Ben Ali qui imposerait à tous les corps constitués au sein de sont institution de publier un communiqué de soutien à chaque crise que traverse ta légitimité ? Ceci t’irait bien sachant ton attrait pour les courbettes mais surtout ta fragilité. Ou bien tiens, serais-tu plutôt sous la coupe de ces syndicats ? Oh scandale ! Serais-tu un de ces chefs d’administration qui n’ose bouger le petit doigt contre les dépassements de ses subalternes ? Aurais-tu provoqué l’exclusion de ce pauvre étudiant sous la menace de voir monter la grogne des agents et ouvriers de ton administration ? Ta rigidité envers cet étudiant ne serait-elle pas finalement une forme de compensation pour ton égo meurtri ?

La liste est longue des attributs de ta bêtise et franchement, je m’ennuie là. Je suis déjà obligé de cohabiter avec beaucoup de tes semblables pour les besoins irrépressibles de ma reproduction biologique. Des pseudo-pédagogues qui n’ont aucune idée de la violence réelle et symbolique qu’ils exercent sur leurs étudiants ; Qui n’ont que les mots « notes », « niveau », « présence » et « discipline » à la bouche et qui recalent un candidat sans aucun état d’âme pour trois centièmes en dessous de la barre de rachat.

Tu comprendras donc que j’en fais presque une affaire personnelle. Non contre ta personne, insignifiante au delà d’un rayon de vingt mètres autour de ton bureau dès que tes oreilles ne sont plus à portée de sarcasmes et moqueries. Mais contre les porteurs de ta bêtise. Ce virus qui érige « le comportement exemplaire », « le respect » et « la gratitude envers les aînés » comme valeurs cardinales mais qui en oublie quelques unes…

La liberté, tu connais ? Celle d’une personne à s’exprimer et à exprimer son mécontentement, même offensant pour ton institution. Car, offensant pour offensant, tu as montré a posteriori que tu savais être violent, aussi violent qu’un flic qui te met quatre mois en prison et quarante de sursis pour outrage à agent. Alors que valent quelques mots contre cette violence ?

Les droits, tu connais ? Ceux d’un étudiant à bénéficier d’un environnement digne pour bosser, par exemple. Au moins aussi digne que le tien. Les tonnes de papier à bachoter que ton institution lui impose valent bien mieux que les torchons qu’on dépose sur ton bureau ! Mais surtout, l’Humanité ! Ou un certain sens de l’Humanité : celui qui mettrait la vie des gens au-dessus de l’égo de leurs semblables ou de toutes les règles écrites. Celui qui permettrait de saisir un tant soit peu la complexité de ce monde et qu’il vaut mieux être égratigné par une vague accusation de bêtise que de la confirmer par la mise en branle de la machine bureaucratique pour venger ce qui a été élevé ainsi au rang d’affront à l’institution. Là, c’est certain, tu en es dépourvu !

Je ne vais pas encore rallonger la liste, tu n’en comprendras rien. Tu es l’enfant sage de la république bourguibobénalienne paternaliste et autoritaire. Toujours soumis aux règles, jamais un mot plus haut que l’autre, attendant sagement ton tour à l’ombre d’un chef auquel tu auras servi maintes flagorneries. Quand ton tour est venu, est venue aussi l’heure de venger les brimades que tu as subies mais cette fois ce sera toi le bourreau de tes propres subalternes. Celles et ceux chez qui tu identifies une menace potentielle, des rivaux ; bref, des « toi » avec quelques années de moins, victimes expiatoires de ton sadisme et de ta mauvaise haleine. Bien sûr, le matin, devant le miroir, tu te penses en bon père de cette large famille, sévère mais juste. Mais non désolé, tu es juste la figure du chef de poste commissaire-potentat de sous-délégation, borné, orgueilleux et fragile. Mais avec le français châtié en bonus… C’est déjà ça de gagné !

Ah oui ! Ton Français ! Tu en es fier, si fier que tu l’étales abondamment sur la feuille qui a porté ton communiqué; Et tu es fier de tous tes attributs scientifiques et prétendument pédagogiques. Tu poses fièrement sous tes diplômes accrochés sur le mur derrière ton bureau et tes distinctions dans ton armoire à trophées. On aurait pu s’attendre à une meilleure destinée… Mais ton regard inquisiteur dans les groupes fermés des étudiants ne vaut pas mieux que les fouilles imposées à l’entrée des grandes surfaces : Ici et là, il faut montrer patte blanche, et tu t’en portes garant. Ta réponse violente contre « l’insubordination » n’est pas sans rappeler les réflexes autoritaires des gardes-chiourmes qui envoient les prisonniers à l’isolement au moindre regard de travers. Ta soif d’excuses est typique du maître d’école attendant soumission de la part d’un enfant trop turbulent à son goût.

Bref. Tu es le bon flic de ton institution. Non, pas au sens good cop-bad cop. Tu es juste le bon serviteur de ton institution. Un philosophe illustre -que tu ne connais certainement pas et l’évocation de son nom ne te sera donc d’aucune utilité- a énoncé pas plus tard qu’il y a un mois que « Les institutions, c’est la merde ! ». Mais hélas ! Là, tout de suite, on ne peut pas vivre sans. On pourra -essayer, au moins- tout juste faire en sorte d’améliorer notre existence au sein de celles-ci, avec un minimum de réflexivité, en questionnant chacun de nos petits gestes et en analyser la fonction réelle, en essayant de déconstruire ses mécanismes internes et déceler ce qui va dans le sens de leur fonction déclarée et « mettre de côté » ceux inhérents à toute institution : capter la puissance collective et mettre au pas les individus qui se trouvent sous sa coupe. Bien sûr, à toi, on ne pourra te reprocher cette terrible manie d’avoir un esprit critique envers ton institution ou auto-critique envers ta propre action ! Une telle compétence, ça vole bien au-dessus de ton esprit acritique et violemment pavlovien envers tout débordement. Tu te fous que les machines soient hors d’usage ou que les bureaux soient désertés, l’essentiel pour toi est que pas une tête ne doit dépasser. Tu es juste affreux, bête et méchant, juste ce qu’il faut pour ta fonction.

*Ce texte est librement inspiré du livre de François Bégaudeau, « Histoire de ta Bêtise ».