Une colline nettement tranchée, comme si on s’y était taillé une part de gâteau. Juste en dessous, s’élève un bâtiment à ses pieds. A Riadh El Andalous, aux contreforts du parc Ennahli, à l’Ariana, les bulldozers et le béton font reculer la nature. Et un nouveau chantier de construction a démarré. Il s’agit d’un immeuble d’habitation de 6 étages en cours de construction. Visiblement, une partie de la montagne de basse altitude a été sacrifiée au profit de l’extension du capital immobilier.
Jbel Ennahli, culminant à 200 m, et dont le parc couvre 210 hectares, avec notamment des forêts d’eucalyptus et de pins, ne cesse de reculer. De 1994 jusqu’à 2018, les zones urbaines se sont considérablement étendues vers l’enceinte du parc et les bâtiments ont envahi les frontières forestières. Pour les riverains, la montagne n’est plus accessible que via un portail de fer forgé. Ces changements, sont-ils conformes aux lois et procédures en vigueur ? Si les dommages environnementaux sont manifestes, à qui profitent-ils ? Et quelle est la position des autorités ?
Le bêton grignote la montagne
Sassi Day, directeur du Commissariat Régional du Développement Agricole (CRDA) de l’Ariana, justifie l’extension des zones urbaines sur les terrains non fertiles à l’enceinte du parc Ennahli comme étant « un mal nécessaire » pour limiter les constructions anarchiques et l’accaparation des domaines de l’Etat par des particuliers. Sauf qu’au vu des prix des terrains dans la zone en question, (près de deux mille dinars le m2), difficile d’imaginer l’émergence d’habitations anarchiques. Si des constructions plutôt rudimentaires grignotent effectivement les collines boisées à quelques kilomètres plus au nord, du côté de la route de Raoued, à Ennahli, c’est une autre paire de manche. A Riadh El Andalous, il s’agit en l’occurrence d’immeubles de luxe, du haut de gamme, réservé à une clientèle triée sur le volet et disposée à débourser plus de trois cent mille dinars pour un appartement. Quitte à laisser les promoteurs raboter la montagne et à en bloquer l’accès.
« Nous sommes appelés à préserver le seul exutoire qui nous reste et à intensifier le rythme de reboisement dans les zones urbaines », déclare de son côté Mohamed Boufaroua, directeur général des Forêts, en allusion au parc Ennahli et ses alentours. « La déforestation a un impact direct sur le stock du carbone dans le sol. Par conséquent, nous avons procédé au reboisement de 30 hectares à l’intérieur du parc », ajoute-t-il. De même, le directeur du CRDA de l’Ariana explique à Nawaat que les forêts représentent un obstacle naturel contre l’élargissement des incendies.
Pis : les constructions tous azimuts aggravent les dangers dans un gouvernorat qui a déjà subi des « inondations catastrophiques, dont les plus mémorables sont celles de 1931 et 1973 », relève un rapport du ministère de l’Equipement publié en mars 2011. Ainsi, « l’Ariana est menacée par l’eau du côté Ouest (les piémonts de Jbel Nahli), du côté Est (de la sebkha à la plaine) et des eaux souterraines (nappes phréatiques) », indique le même document. Cela n’empêchera pas pour autant l’avancée du béton.
Zones vertes légalement détruites
Un promoteur immobilier a obtenu en mars 2019, une autorisation de bâtir au pied de la montagne Ennahli, précisément à l’avenue Ibn Khaldoun, à Riadh Al Andalous, conformément au plan d’aménagement urbain de l’Ariana pour l’année 1994. En vertu de ce plan, Riadh Al Andalous a été classée « zone d’habitat individuel de faible densité ».
Or les plans d’aménagement sont actualisés et examinés dans le cadre d’une commission formée conjointement par les autorités locales, les ministères de l’Equipement, de l’Agriculture et la direction générale des Forêts et du CRDA concerné. Pour le cas du plan d’aménagement de l’Ariana, Sassi Day du CRDA regrette l’extension urbaine « massive » sur le Grand- Tunis. « Personne ne peut nier l’accroissement du nombre de bâtiments sur le Grand Tunis. Lors de la révision du plan d’aménagement en 2017, nous avons bataillé pour sauver les forêts », se félicite-t-il. Et d’ajouter : « L’approbation du plan d’aménagement ne se fait pas du jour au lendemain. Il a fallu attendre 20 ans pour étendre les zones urbaines. Notre rôle est principalement de préserver les forêts », souligne-t-il.
Par ailleurs, le directeur du CRDA de l’Ariana assure que les constructions aux alentours du parc Ennahli sont légales. « La ceinture d’Ennahli, Rous El Harayek et Ennasr relèvent soit du domaine privé de l’Etat ou de la propriété privée. Il n’y a aucune atteinte au domaine forestier de l’Etat. Personne ne peut étendre des bâtiments de manière anarchique au vu et au su des autorités », affirme-t-il.
Ce qui ne freine guère le rétrécissement accéléré des zones vertes. Aymen Lassoued, directeur du sol au CRDA de l’Ariana explique à Nawaat que les terres agricoles de l’Ariana sont régies par une carte agricole, définie par décret. « L’ancienne carte agricole a été promulguée en 1984 et révisée en 2017 en vertu du décret N°719/2017 fixant les zones de sauvegarde des terres agricoles du gouvernorat de l’Ariana. Les zones périphériques d’Ennahli ne sont plus considérées comme des terres agricoles, parce qu’elles ont été intégrées au plan d’aménagement urbain », explique-t-il. Un reclassement on ne peut plus favorable aux promoteurs immobiliers.
Pour sa part, le directeur général des Forêts Mohamed Boufaroua confie à Nawaat que les terrains situés à la périphérie d’Ennahli ne relèvent plus du domaine forestier de l’Etat. En outre, il note que le problème se situe au niveau de l’enregistrement des forêts auprès de la direction générale concernée. « A l’échelle nationale, nous ne pouvons pas délimiter l’intégralité du territoire forestier. Ça nécessite trop de moyens. Un million d’hectares de terrains forestiers ne sont pas encore enregistrés. Seuls 500 mille hectares sont enregistrés auprès de la direction générale des Forêts », précise-t-il.
Par ailleurs, Sassi Day du CRDA de l’Ariana révèle qu’il y a eu, depuis 2011, plusieurs tentatives illégales d’abattage d’arbres dans les terrains domaniaux. En outre, les incendies ne cessent de ravager les forêts de la région. « Il y a eu des incendies volontaires à Sidi Amor en 2019 et à Djebel Ayari en 2014, mais nous les avons vite maitrisés et nous avons entamé le reboisement des superficies endommagées. Nous avons planté des pins d’Alep sur 23 hectares à Djebel Ayari », poursuit Day. Mais pas vraiment de quoi stopper les spéculateurs et autres promoteurs immobiliers. Le béton continuera donc de violer la montagne en toute impunité.
Bravo pour cette article.
L’immeuble sur l’avenue ibn khaldoun en question est juste en face de ma fenêtre, ça fait mal au coeur de les voir derrière ces arbres et toute la faune qui va avec, pour voir émerger un ou plusieurs résidences…
Merci pour votre article et j’espère qu’en ces temps de pandémie covid-19 l’être humain sera un peu plus sensible pour préserver sa Nature
* demolire
On peut se poser des questions sur les autorisations de bâtir! Les conséquences peuvent être désastreuses. Faut il rappeler les dernières innondations? Et ça peut être pire
Bonsoir
Pour le cas de la petite colline, je me rappelle bien avoir évoqué le problème avec le gouverneur en 2018 (en tant que paryi politique) qui nous a répondu que cette colline edy une proprieté privée. Cela fait mal au coeur de l’avoir décimée après avoir arraché les arbres forestiers.
Pour la batisse sur la montagne Ennahli’ elle appartient à deux célèbres hommed d’affaire. Ils l’ont eu d’une façon illégale. Je peux vous aider à avoir un document là-dessus.