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Les épicuriens en auront eu plein la vue et l’ouïe. « Nouba », la série concoctée par Abdelhamid Bouchnak en 2 saisons et 50 chapitres a brisé le moule du sacro-saint mainstream. Et ça percute, pas seulement sur la peau tendue de l’instrument vernaculaire. Nous voilà donc immergés dans un univers qui fait la part belle à la cornemuse et à une société du spectacle volontairement clochardisée par un état voyou. Le feuilleton apparaît comme une éclaircie dans la pénombre. Une apologie de la musique populaire et de ses chansonniers. Propre à jeter aux oubliettes les propos condescendants d’un Agrebi furax au micro d’une radio privée. Avec en filigrane, un message en deux mots postés en recommandé à notre pseudo-élite autoproclamée : « Barri fout »!

Le réalisateur nous propose un retour aux années 90, avec les codes qui vont avec : mines moustachues, tignasses gominées, personnages drapés au denim, vidéothèques VHS etc. Une œuvre somme toute cathodique, à l’heure où la télé de Ramadan n’a pas fini de déballer sa Kafichanta ultra-HD, empêtrée dans ses pixels.

Le triptyque du mal

Les événements de la série évoluent dans les vieux quartiers de Tunis. La médina est sous la coupe de caïds aux traits patibulaires. Une hiérarchie bien huilée dispute la domination du faubourg à un appareil policier ripou gangréné par le clientélisme et la corruption. Fathi, inspecteur obstiné à remonter la filière du trafic de drogue en paya les pots cassés quand la pègre a décidé d’envoyer les membres de sa famille six pieds sous terre à peu de frais. L’axe du mal répond au triumvirat Bringa, Guennouj (puis Bradaris) et le frère cadet du président déchu.

Les règlements de compte entre énergumènes et bandits de grand chemin sont dictés par la loi du talion. Mais leur rivalité apparente n’en est que triviale. Gros poissons et menu fretin barbotent dans les mêmes eaux glauques de la délation, l’argent sale et les basses besognes du régime véreux. Bouchnak braque sa caméra sur ses frasques non sans crever au passage quelques abcès purulents. L’affaire couscous connection est passé par là.

Le plaidoyer de la cornemuse

Au-delà d’un fil conducteur faiblement politisé, on a eu droit à un tout autre duel : celui des bêtes de scène. Au fil des épisodes, stars montantes et étoiles filantes s’arrachent la vedette au grand plaisir des fanatiques du « madar ». En témoigne le crêpage de chignons, moult fois répété entre Najoua et Wassila. Avant que cette borgne ne finisse par triompher sur les planches… au royaume des aveugles. L’enchaînement pousse-au-crime des situations n’a pas manqué de mettre aux prises Brahim et Maher, Farah et Karim, Bringa et Habiba, Guennouj et Bradaris. En l’occurrence, Wajdi, remarquablement interprété par Aziz Jebali, repêché in extremis après une tentative de harga avortée, figure parmi les rares rescapés des luttes intestines et guerres fratricides.

Malgré la foudre vengeresse, bien présente à coup de regards courroucés et mâchoires serrées qui a meublé des pans entiers de la série, on ne peut qu’apprécier les intermèdes musicaux que le canevas de « Nouba » a réservé au Mezoued. Sans doute pour rendre hommage à ses ténors, mais aussi pour donner libre cours à la cornemuse d’égrener sa colère et ses états d’âme à plein décibels sur fond de zendali. Après être longtemps cantonnée chez une frange déclassée de la société. Et d’être restée l’apanage des laissés-pour-compte et des classes marginalisées. A cet égard, le florilège musical de Nouba nous prend aux tripes avec les titres d’anthologie de ce registre «roturier». Le tout, dans un produit réglé comme du papier à musique, au milieu d’un paysage télévisuel ramadanesque qui a crevé son bendir.

En dernière analyse, la chute du dernier épisode, où on voit Farah, Maher, Baba el Hedi et Basdig tortiller des hanches, réussit à elle seule à imprimer dans nos esprits l’image que Bouchnak fait sienne de son pays. Une Tunisie qui chante et danse contre vents et marées. Car amoureuse de la vie, comme tous les ôcheg. Fondu au noir.