À défaut de courts-métrages intéressants, on doit sans doute à Alaeddin Aboutaleb la proposition la plus libre et sérieuse de la poignée de remakes projetés en ouverture des Journées Cinématographiques de Carthage. Avec Le septième, le cinéaste a choisi de se frotter humblement à La Noce. Longtemps tenu pour un des sommets du cinéma tunisien, ce film réalisé en 1978 par le Nouveau Théâtre est issu d’une pièce éponyme présentée par le même collectif en 1976. Mais ce n’est pas en bon élève que l’auteur de Diaspora revisite ce film : de l’immersion dans l’étrange ménage d’un couple petit-bourgeois, il ne retient sans doute pas tout. C’est que, si sa proposition ne va pas au-delà de la reprise, elle se réserve au moins une certaine liberté de jeu.

Mais la difficulté ne réside pas que dans le contournement, à l’écran, d’un théâtre en conserve. Car il y a gros à parier que le problème est de ne pas comprendre grand-chose au récit. Sous le regard de l’intrigant chat noir de Fade qui est ici de la partie, nous sommes dans une vieille demeure de la médina, au cœur de ce ménage qui semble déposer son bilan après sept jours de mariage. Le mari : un cocu aux épaules minuscules, dont la condition d’être est une minerve autour du cou redressant son corps de pantin. La mariée : dans sa chemisette, elle marie le chaud et le froid, cajoleuse, méprisante et affectueuse. Sous un plafond qui dégouline de partout, la propriété risque de crouler. Avec le départ des deux amis du couple, ivres-morts, à l’occasion du dîner qui clôture ce septième jour, la situation paraît aussi absurde à résumer qu’on s’ennuie devant cette mascarade conjugale un peu trop allusive, sans qu’on saisisse vers quoi elle mène. Certes, l’impression est que Le septième laisse flotter sa ligne, met longtemps à intéresser, appâte et perd à la fois. Cependant, au-delà de cette impression, le geste possède quelques partis-pris.

Sur le principe, il n’y a rien d’excessif à vouloir conserver l’assise scénique du film du Nouveau Théâtre. Tout en marquant sa patte, Le septième se fait fort d’en accentuer la théâtralité en fonction d’un décor enroulé autour du couple défait. Le lieu est arrimé à la claustration d’un dispositif régulé par l’inscription de la mobilité des corps confinés dans l’espace clos du taudis, là où la ménagerie d’objets, sur une table au pied cassé ou dans une cuisine immonde, fait écho au ménage qui se lézarde de tous les côtés. Sauf que, non loin du crédo avare de mots plus que de regards, Alaeddin Aboutaleb ne cache pas du tout ses intentions dans Le septième en provoquant discrètement une série de glissements de terrain : appuyer l’économie du récit, dilater le découpage, et consentir à un noir et blanc sans expressionnisme. Et, tant qu’à ne pas faire les choses à moitié, loger dans le même souffle de mise en scène les piqûres en plans serrés autant que les îlots de lumière qui sépare les corps plus qu’elle ne baigne l’espace, et se dispenser enfin du dialogue. Serait-là, par rapport à La Noce, un écart significatif ?

Il ne faut surtout pas remettre le film à l’endroit, et se contenter de juger ce qui appartient à l’original et ce qui vient s’y rajouter. Compte tenu des propriétés du matériau de La Noce, Aboutaleb distend l’écart pour pouvoir l’arpenter. En effet, Le septième se sert du film du Nouveau Théâtre pour s’exercer à la mise en scène à l’échelle d’un court, tout en gardant un œil sur l’élan d’origine qui le porte. S’il repose sur un timide dosage entre les deux, on aurait apprécié que le cinéaste ait la main un peu moins lourde sur ce terrain glissant. N’empêche : mis à part le paradoxe amusant d’un remake financé par l’Etat d’un film qui ne l’était pas, on peut au moins dire qu’Aboutaleb ose, parce qu’il y a dans le genre quelque-chose de risqué. Et qu’il ne manque pas au film ce qui a permis à son auteur de passer outre : la trace d’une certaine personnalité.