La découverte sur les côtes du Cap Bon d’une espèce apparentée à une méduse et présentée comme un danger mortel a affolé les Tunisiens. Le 27 mars, les services de la garde maritime ont alerté les marins pêcheurs et adeptes des loisirs nautiques sur la présence d’un nouveau type de méduse venimeuse dont le poison est dangereux, pouvant causer des paralysies et la mort. L’émergence de cette espèce est inédite en Méditerranée, indique le communiqué. Ainsi, les personnes ayant constaté sa présence sont appelées à s’abstenir de la toucher et d’informer immédiatement la garde nationale de sa localisation.

Relativiser plutôt que paniquer

Cette information a aussitôt suscité une polémique. Certains connaisseurs de la mer ont tenté de relativiser la dangerosité de cette méduse. Ainsi, elle ne provoquerait la mort que dans des cas extrêmes. « Ces piqures peuvent entraîner des petits chocs physiques qui ne dureront pas longtemps. Il n’y a pas grand-chose à faire si ce n’est d’attendre que cela se calme en restant maître de ses émotions. Les filaments restent urticants longtemps après que la physalie soit morte, voire même desséchées. Le risque perdure plusieurs semaines ou plusieurs mois », a expliqué Slim Medimegh.

Houtiyat, association tunisienne d’études et de recherches sur les cétacés, a également réagi via un communiqué, publié le 28 mars. Elle fait savoir que cette espèce a déjà fait son apparition au Maroc, en Algérie, en Espagne et en Italie. L’association informe qu’une personne l’a déjà repéré sur la plage d’El Maâmoura (gouvernerat de Nabeul). Par ailleurs, Houtiyat a nuancé le degré de nuisance de cette espèce. « Ne pouvant survivre dans les eaux méditerranéennes ni s’y reproduire, sa présence y est sporadique et très occasionnelle et limitée aux mois de janvier et février », lit-on dans leur communiqué où on rassure les baigneurs sur la possibilité de nager « tranquillement » cet été.

Face à la confusion sur le potentiel mortel de cette méduse, le ministère de l’Agriculture a annoncé, le 29 mars, qu’une équipe de chercheurs de l’Institut national des sciences et des technologies des mers et des agents de la Garde nationale maritime sont allés inspecter, les 28 et 29 mars, les plages de Nabeul, Beni Khiar, El Maâmoura et Korba. Le communiqué du ministère fait savoir que tous les pêcheurs, professionnels et amateurs ont informé les enquêteurs qu’ils n’ont pas vu cette espèce. Ils ont juste signalé la présence de quelques espèces plus communes, à l’instar de Velella velella, Rhizostoma pulmo et Pelagia noctiluca. Celles-ci « ne peuvent pas résister aux courants marins et finissent dans la plupart des cas sur les plages », précise le ministère. Toutefois les citoyens sont invités à les informer en cas de découverte d’une présence de méduses non connues sur les plages.

Dans ce sens, l’association Houtiyat a alerté, le 2 avril, sur le repérage de cette espèce sur le golfe de Tunis, le golfe de Hammamet et entre Mahdia et la ville de Chebba.

Risques réels

Cet organisme, qui pourrait être confondu avec une méduse, s’appelle la Physalie (Physalia physalis). Il s’agit d’une espèce de siphonophores marins, une sorte de colonie de polypes. Sa spécificité réside dans son flotteur rempli d’air servant à la maintenir à la surface d’où sont attachés de longs filaments colorés et venimeux, pouvant mesurer jusqu’à 50 mètres de longueur. Ces filaments lui servent à la pêche et pour sa défense. Ils gardent leur pouvoir urticant et venimeux deux mois après la mort de l’animal. Vivant habituellement dans les mers tropicales et subtropicales des océans Atlantique et Indien, la physalie peut se déplacer au gré du vent et des courants. Selon une spécialiste en biodiversité marine contactée par Nawaat, la Physalie «a toujours existé en Méditerranée mais de manière extrêmement rare». D’après elle, le plus étrange est que cette espèce rarissime sur nos côtes, a fait surface massivement respectivement en Italie puis au bout de quelques semaines en Tunisie.

En janvier 2021, des médias français ont alerté d’ores et déjà sur la localisation de cette espèce sur les côtes normandes. En 2017, leur signalement sur les côtes bretonnes en France a conduit les autorités à interdire l’accès à la baignade du côté des plages concernées.

La spécialiste explique en effet que le contact avec le poison de cet animal peut causer une douleur intense, des gênes respiratoires et cardiaques allant jusqu’à la paralysie ou la mort. Toutefois, « il ne faut pas s’inquiéter davantage. Il faut juste s’abstenir de la toucher », dédramatise-t-elle.

En cas de piqures causées par la physalie, il est recommandé de « retirer les tentacules qui sont très adhérentes à la peau, sans les écraser. Appliquer avec précaution de la mousse à raser sur la surface piquée (ou à défaut du sable sec car le sable humide est trop lourd et écrase les débris de tentacules) pour piéger ces tentacules. Enlever la mousse avec un carton rigide voire avec le dos d’une carte de crédit en remontant vers le haut du membre. Rinçage à l’eau de mer (ou avec du chlorure de sodium) de préférence tiède (le vinaigre est déconseillé), puis application de froid (vessie de glace dans un linge protecteur, appliquée sur les lésions) », recommande un médecin français. L’usage de pommade, crème ou gel est à bannir.

Si les causes de ces échouages récents en Méditerranée restent inconnues selon la spécialiste, d’autres observateurs avancent que la disparition de leur important prédateur, en l’occurrence, la tortue Caouanne en Méditerranée provoquée par le tourisme massif, en est une explication.  L’association Houtiyat, elle, pointe du doigt la pollution de la mer. Elle exprime sa crainte de voir proliférer cette espèce sur nos côtes si elle parvient à s’adapter à la mer méditerranée et à s’y reproduire.