En marge des élections présidentielles françaises, il importe de s’interroger sur leurs répercussions éventuelles sur la communauté maghrébine et africaine. En particulier dans un contexte marqué par la montée en puissance des courants politiques d’extrême-droite, se déclarant ouvertement hostiles à la coexistence avec les musulmans au nom de la préservation de l’identité religieuse et civilisationnelle de la France.
Nous nous interrogerons aussi sur les implications possibles de la montée de l’islamophobie sur la politique étrangère de la France et de l’Europe notamment sur leurs relations avec les pays maghrébins et subsahariens. Certes, les relations Nord-Sud et les questions de politique étrangère n’ont jamais figuré au nombre des thèmes centraux des présidentielles en France, généralement dominées par les thématiques ayant trait à la politique intérieure et aux questions économiques sociales et sécuritaires.
Les élections de 2022 ne dérogent pas à cette règle. Même si les questions identitaires, en rapport avec la place de l’Islam en France, mises en avant par les candidats d’extrême-droite ont semblé prendre le pas sur les préoccupations majeures des Français (pouvoir d’achat, chômage, environnement….). Toutefois, l’éclatement du conflit ukrainien semble avoir bouleversé l’ordre des priorités du paysage électoral français, au grand dam du candidat xénophobe Eric Zemmour qui, à six mois des élections, était porté au rang des favoris, totalisant avec Marine le Pen, présidente du Mouvement national, 35% des intentions de vote. Cette tendance avait réussi à centrer le débat sur ses thèmes de prédilection et notamment celui de la « préférence nationale » associé à la théorie du « grand remplacement de population » et « le grand remplacement de civilisation» ainsi que les prétendues « menaces existentielles » que représenteraient pour l’avenir de la France, les Français d’origine musulmane notamment arabe et africaine. Ceux-ci sont en effet ouvertement accusés de refuser l’assimilation, de cultiver le « séparatisme» avec pour dessein de se substituer aux Français « de souche franco-européenne » issus de la « civilisation judéo-chrétienne ». Ce qui risquerait d’aboutir à la modification de l’équilibre démographique au profit de la composante musulmane de la population française.
Tenant compte des derniers sondages qui n’excluent pas l’arrivée de Marine Le Pen présidente du mouvement national à l’Élysée, il importe à mon sens de s’interroger sur les retombées possibles d’un tel changement sur le statut des maghrébins en France ainsi que sur la politique étrangère française à l’égard de la rive sud de la Méditerranée. Mais, il convient de s’interroger au préalable sur les fondements historiques et idéologiques de la montée de l’islamophobie en lien avec cette politique d’exclusion et de diabolisation anti musulmane dirigée contre les minorités maghrébine et africaine en France et plus globalement en Europe.
Aux origines des théories du « grand remplacement » et de la « préférence nationale »
Rappelons que la thèse du « grand remplacement » est une théorie raciste et xénophobe développée en 2010 par l’écrivain Renaud Camus issu de la mouvance identitaire d’extrême-droite dans son ouvrage « Le grand remplacement », paru en 2011.Elle considère en substance que le « sauvetage » de l’identité française et européenne de la France est tributaire de la lutte contre la prétendue « menace démographique » islamiste. Dès lors, elle préconise le renvoi hors des frontières, des Maghrébins et des Africains considérés comme étant inassimilables et dangereux, car susceptibles de faire de l’Islam la religion dominante en France.
En vérité, cette prétendue théorie est fondée sur l’amalgame sciemment entretenu entre d’une part l’Islam en tant que religion et communauté musulmane et d’autre part l’Islam politique et ses manifestations violentes associée à l’islamisme radical. Ce mélange vise à dévier le débat vers un faux combat d’ordre ethnique, culturaliste et religieux contre une composante de la société française. En fait, il ne sert qu’à légitimer la politique d’ostracisme et d’exclusion d’inspiration raciale pratiquée à l’égard des minorités musulmanes en France.
A mon sens, cette thèse n’est que le prolongement de la politique d’exploitation néocoloniale adoptée par la France à l’égard de son empire colonial durant la seconde guerre mondiale et au lendemain des indépendances. En effet, nous avons déjà vu dans notre série d’articles publiés sur Nawaat -et consacrée à l’héritage colonial de la France en Afrique – que la France a dû faire appel aux ressources humaines et matérielles de son empire colonial pour pouvoir se reconstruire durant les trente glorieuses. Préalablement, elle a massivement eu recours aux combattants des troupes « indigènes » qui sont tombés par milliers pour la libération de la France. Et ce sont leurs descendants, citoyens français et européens, qui sont aujourd’hui ostracisés et menacés de bannissement voire d’exclusion hors des frontières.
Rappelons que la croisade du président Macron contre les Musulmans et leur religion a débuté avec son discours d’octobre 2000, où il met en cause la « crise » universelle de l’Islam dans le monde allant jusqu’à faire le rapprochement entre la situation en Tunisie et celle de la France. Il persistera dans cette posture en dépit des condamnations qu’elle a suscitées dans le monde musulman ou des campagnes de boycott de produits français ont été initiées.
Parallèlement, les anciens colons et les « indigènes » qui ont collaboré avec l’occupant français durant la colonisation notamment en Algérie, sont réhabilités et valorisés, étant signalé que ce dossier a été abondamment instrumentalisé par le président Macron durant sa précampagne électorale qui a démarré prématurément depuis 2018. D’ailleurs, la Françafrique et la zone franc, mises en place par le Général de Gaulle, demeurent en vigueur sous des formes rénovées car elles sont considérées par la classe politique française, toutes générations confondues, comme une juste compensation de « l’œuvre coloniale et civilisatrice » de la France.
La théorie du « grand remplacement » est intrinsèquement liée, dans les programmes d’extrême-droite, à celle de la « préférence nationale »qui remonte aux années 80. Refaisant surface à l’approche des échéances électorales, elle a été théorisée par l’ouvrage de Jean- Yves Le Gallou publié en 1985 « La préférence nationale : réponse à l’immigration »(voir à ce propos, l’article de Benoit Bréville intitulé : Préférence nationale, un remède de charlatan et publié par le « Monde Diplomatique » dans son édition de Novembre 2021). Initialement, la « préférence nationale » adoptée dans les programmes électoraux du Front national, préconisait l’exclusion des étrangers et des migrants des logements sociaux et des aides sociales afin de les contraindre à quitter la France.
Théoriquement, ce programme fondé sur une discrimination d’inspiration raciste et religieuse à l’égard d’une partie de la société française, n’a jamais été mis en œuvre du fait de son inconstitutionnalité et de l’opposition qu’il suscite dans le « camp républicain ». Benoit Bréville démontre pourtant qu’en réalité « ce principe s’applique déjà dans de nombreux domaines » et qu’il tend même à s’étendre par la multiplication des entraves mises pour l’accès des étrangers non européens aux allocations familiales et aux droits sociaux. Mais, au-delà de son caractère raciste et discriminatoire ouvertement assumé , il est affligeant de constater qu’une telle politique d’exclusion et de bannissement qui tend à se banaliser, ne suscite pas sous nos cieux l’inquiétude qu’elle mérite et les réactions adaptées à sa gravité et aux menaces qu’elle fait peser sur nos intérêts et les millions de maghrébins et africains en France et en Europe.
L’islamophobie : un phénomène européen
En effet, cette fièvre nationaliste, ne se limite pas à la France mais s’étend à toute l’Europe où les partis d’extrême-droite progressent au sein de l’opinion publique lors des échéances électorales nationales et européennes. D’où l’ambition de ces partis dont certains, qui ont déjà accédé au pouvoir au niveau national, nourrissent aussi l’espoir de prendre le contrôle des institutions européennes.
D’ailleurs, Benoit Bréville signale dans son article susmentionné, que la notion de préférence nationale a été reconsidérée et étendue par son concepteur dans un essai paru en 2018 où il plaide pour une nouvelle idée : la préférence de civilisation ou préférence européenne », considérée désormais comme une « exigence absolue ». Le Gallou précise sa pensée en ces termes : « il s’agit d’affirmer notre volonté de respecter notre civilisation, d’en reprendre et d’en enrichir les traditions et de les transmettre à nos descendants. Bref de refuser la table rase et le grand remplacement génocidaire ».
En somme, il convient de ne pas minimiser, au sein des pouvoirs politiques en France et en Europe, les dérives droitières grandissantes, adossées à des courants de pensées sectaires et abolitionnistes semblables à l’idéologie sioniste basée sur le refus de toute coexistence avec les Palestiniens. Ils sont réunis autour d’une hostilité pleinement assumée à l’Islam et aux Musulmans d’Europe, désormais perçus en tant que menace existentielle et civilisationnelle, qu’il convient d’éradiquer afin de sauver la civilisation occidentale.
D’ailleurs, la campagne anti musulmane du président Macron, connu pour son fervent soutien au sionisme, bénéficie de l’appui des organismes et associations juives de France qui soutiennent la politique israélienne de répression et de liquidation de la cause palestinienne. Notons que toute manifestation de soutien aux palestiniens ou d’opposition au sionisme en France est criminalisée et assimilée à de l’antisémitisme. Les dégâts occasionnés au sein de l’opinion publique française par ce matraquage médiatique et de diabolisation de l’Islam et des musulmans sont difficiles à évaluer, même en cas de non succès des candidats d’extrême-droite aux prochaines élections présidentielles françaises
Instrumentalisation électoraliste de l’islamophobie
A vrai dire, l’instrumentation de l’islamophobie et des questions y associées telles que l’immigration lors des échéances électorales n’est pas un phénomène nouveau en France. Néanmoins, le fait nouveau est l’investissement personnel du président de la République française dans cette entreprise.Son point de départ a été la mise en œuvre d’un plan de « structuration » de l’Islam en France qui avait été annoncé dès 2018. Depuis, tout a été entrepris pour diffuser un discours de stigmatisation du « séparatisme » musulman où le débat a été focalisé sur la prétendueincompatibilité de l’Islam avec les valeurs de la République. Le point culminant de cette entreprise a été l’adoption de la loi controversée sur le séparatisme, la fermeture de mosquées ainsi que la multiplication des mesures de rétorsion et de fermeture des associations engagées dans la lutte contre l’islamophobie en France.
Dans un récent article intitulé « l’islamophobie à l’honneur » publié le 5 avril 2022 sur le site « Oumma », Hocine Kerzazi brosse un bilan inquiétant de cette politique de diabolisation de l’Islam qui s’est muée en campagne de haine visant les musulmans de France. Sa conclusion est sans appel :« Bref les soutiens médiatiques d’Emmanuel Macron ont réussi à rassembler la droite et l’extrême-droite autour de la haine du musulman. La nouveauté historique est qu’à travers le choix des termes, à travers les mises en cause et les dissolutions, ce n’est plus l’islam ou l’islamisme qui sont pointés, mais bien les musulmans dans leur ensemble, tenus responsables de façon plus ou moins directe, plus ou moins explicite, du terrorisme.
Une avancée dangereuse qui glace le sang. Sommes-nous si peu nombreux à comprendre la nocivité de la situation actuelle ? 61 % des Français pensent que « l’islam est incompatible avec les valeurs de la société française », quand 42 % des Français musulmans affirment avoir été victimes de discriminations et d’agressions pour leur appartenance supposée ou réelle à cette religion».
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