A peine deux mois avant la date du scrutin, le président Saied a demandé à la cheffe du gouvernement Najla Bouden, reçue à Carthage le 7 octobre, d’amender le décret-loi relatif aux élections. Pourtant, le même texte vient d’être modifié le 15 septembre 2022, et ce, à l’initiative de Kais Saied lui-même, qui a entre-autres introduit le volet qu’il voudrait désormais revoir. «L’échange a évoqué la manipulation des parrainages pour élire les membres de la Chambre des députés. Le président de la République a insisté sur la nécessité (…) d’amender le décret-loi relatif aux élections…», a indiqué vendredi dernier la page Facebook de la Présidence de la République Tunisienne.

D’un amendement salvateur à une erreur majeure

« Un devoir national sacré », c’est en invoquant, encore une fois, la sacralité que Saied justifie son improvisation et ses décisions infructueuses, voire aux effets contraires aux intentions annoncées. Dans le cas présent, l’intention est d’avoir des candidats aux élections plus légitimes avec les parrainages de 400 électeurs dont l’âge et le sexe sont variés et représentatifs du tissu social concerné. Mais voici qu’il reconnait lui-même l’inefficacité de la démarche, moins d’un mois après le décret-loi relatif à la modification de la loi électorale. La réalité du terrain s’avère, pour la nième fois, loin des fantasmes juridistes de Kais Saied.

Donc, le président se désiste. Il avait pourtant annoncé, le 15 septembre, en modifiant la loi électorale que cet amendement permettra un scrutin plus sain, une meilleure représentativité des élus ainsi que la fin des pratiques clientélistes et de l’influence de l’argent sale. Une erreur d’appréciation, et pas des moindres, qui pourrait être assimilée à de l’intox. Selon notre interprétation très large de la situation (nous avons été à bonne école, celle de Kais Saied), le président pourrait tomber sous le coup de la loi. Celle relative aux infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication, promulguée le 13 septembre, deux jours avant l’amendement de la loi électorale. Et ce n’est pas la première fois que Saied se désiste après avoir promulgué un texte législatif, ni la première fois que la présidence de la République diffuse une intox depuis le début de son mandat. Le président est un multirécidiviste en la matière.

Kais Saied sous le coup du décret-loi 54 !

Bien que le caractère répressif du décret-loi 54 supposé lutter contre la cybercriminalité ait été dénoncé par moult experts et organisations de défense des libertés numériques et de la liberté d’expression, Kais Saied n’a, cette fois-ci, pas jugé utile de revoir sa copie. Ne risque-t-il pas aujourd’hui de tomber sous le coup de la loi ? Cette hypothèse serait plus plausible dans un véritable Etat de droit. Le point le plus problématique de ce texte législatif controversé demeure l’article 24 portant sur l’intox :

Est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de cinquante mille dinars quiconque utilise sciemment des systèmes et réseaux d’information et de communication en vue de produire, répandre, diffuser, ou envoyer, ou rédiger de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs (…).

Est passible des mêmes peines encourues au premier alinéa toute personne qui procède à l’utilisation de systèmes d’information en vue de publier ou de diffuser des nouvelles ou des documents (…),

Extraits de l’Article 24, Décret-loi n° 2022-54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication.

Dernière intox au compteur : l’amendement de la loi électorale salvateur ne l’est finalement pas. Toute ressemblance avec ce qui s’est passé avec la Constitution du 25 juillet 2022 n’est pas fortuite. Rappelons qu’après sa publication dans le JORT le 30 juin, le président a reconnu que «des erreurs se sont glissées dans cette version» et a publié une mouture revue et corrigée le 9 juillet. Rien que pour cette intox et ce faux document qui ont perturbé l’ordre public, il risque 10 ans de prison ferme.

Un casier d’intox bien chargé

Pour chaque sortie présidentielle évoquant des complots contre l’Etat et des plans d’assassinats politiques sans apporter de preuves, il risque la même peine. Bien qu’elles soient nombreuses, on n’en comptera que trois. Ce qui représente 15 ans de prison ferme.

L’arrestation de l’ancien ministre de la justice et député nahdhaoui Noureddine Bhiri, le 31 décembre 2021, et sa mise en résidence surveillée «pour des raisons de sûreté nationale» avant d’être libéré sans suite le 7 mars 2022, c’est encore une fois un pétard mouillé. Encore 5 ans de prison ferme risqués par Saied. Et en y pensant, difficile de ne pas se rappeler du cas Chawki Tabib. L’avocat et ancien président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption a été mis en résidence surveillée, le 20 août 2021. Et le président Saied a fait allusion à lui en évoquant les pires accusations. L’assignation à résidence a finalement été levée le 10 octobre 2021. Aucune charge n’a été retenue contre lui jusqu’à cette date. Encore 5 ans de prison ferme.

Jusqu’ici, le total des années de prison risquées par le président Saied s’élève à 40 ans. L’enveloppe « toxique » reçue au palais de Carthage le 25 janvier 2021, encore un écran de fumée. Le tunnel menant à la résidence de l’ambassadeur de France dans le but d’exécuter «une opération terroriste», ça fait 5 ans de plus. Le total s’élève donc à 50 ans de prison ferme.

Kais Saied aime bien les fables. Dans celle-ci, on voit bien comment amateurisme et autoritarisme peuvent produire un cocktail garant de décadence. Elle révèle à quel point improvisation, unilatéralisme et entêtement finissent par couvrir leurs colporteurs de ridicule.