Faute de cadre légal, l’État tunisien ne reconnaît pas les sociétés privées de paris sportifs en ligne. Cependant, aucun texte n’interdit explicitement leurs activités. Les lois de Finances des années 2021 et 2023 ont prévu des mesures les visant, dans le but de drainer des ressources pour le Trésor public, en imposant de nouvelles taxes, et en annulant d’autres. En revanche, les boutiques dédiées à ces activités ont été l’objet de descentes policières. Des responsables de ces magasins ont été arrêtés, et leur matériel saisi, au motif de l’illégalité de leur activité.

Les paris sportifs en ligne comportent deux volets : la prédiction des résultats faisant jouer le facteur chance, et la promotion du sport dont l’État est censé avoir le monopole. Ainsi, est-il possible via des sites étrangers, de miser sur les résultats des rencontres de football, de basket-ball, de tennis ou sur des courses hippiques.

Ces sites permettent à leurs usagers d’ouvrir des comptes dans lesquels leurs données personnelles sont stockées. Les parieurs peuvent ainsi spéculer sur les résultats sportifs en misant une somme d’argent. En cas de gain, les sommes sont versées dans les comptes bancaires des parieurs, ou dans celui du propriétaire de la boutique de paris en ligne. Et vu la nature de leurs activités, il s’agit le plus souvent de boutiques équipées d’ordinateurs.

Cadre juridique désuet

Le cadre juridique réglementant les jeux de paris, remonte aux années 70 du siècle dernier. En effet, le décret-loi n°74-20 relatif aux installations foraines, aux jeux de salon et aux loteries, a été promulgué le 24 octobre 1974. Le texte a été approuvé par la loi n°96 de la même année. Dans son premier article, le décret criminalise les « jeux dans lesquels la chance prédomine sur l’adresse et les combinaisons de l’intelligence ». Cette interdiction est basée sur la jurisprudence islamique prohibant explicitement toute forme de gain par voie de hasard ou chance, sans effort intellectuel ou physique. Dans son article 8, le même décret criminalise les jeux de loterie et « généralement toutes opérations au public pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait acquis par la voie du sort ».

Toutefois, une exception sera faite en 1984 pour les pronostics sportifs, avec la promulgation de la loi n°63 relative à l’organisation et au développement des activités physiques et sportives. Les articles 67 à 70 de ladite loi porteront sur la création de la Société publique Promosport, sous la tutelle du Ministère de la Jeunesse et des Sports. La société sera chargée de «l’organisation des concours de pronostics sportifs, des jeux, des compétitions et de toutes opérations assimilées et qui ont pour objet la promotion des activités physiques et sportives». Et c’est ainsi que le pari sportif verra le jour en Tunisie.

Tentatives étatiques de légaliser le secteur

Avec l’essor des jeux de hasard et des paris sportifs en ligne, l’Etat a perdu le contrôle qu’il avait sur ce type d’activités. Il a donc tenté d’inclure ces nouveaux acteurs parmi les sociétés commerciales sujettes à des taxes et des impôts, dont pourrait bénéficier le trésor public. Ainsi, ces établissements seraient susceptibles de faire l’objet de l’impôt sur le chiffre d’affaires, de l’ordre de 0,2%, et d’une taxe de 25% prélevée sur les gains des parieurs.

Dans l’article 24 de la loi de Finances 2021, l’Etat a «instituée une taxe sur les jeux de pari et de hasard de type paris à cotes, des jeux instantanés, des jeux de grattage, des jeux numériques et des jeux de loto via internet et sites web». La loi dispose que «la taxe est liquidée au taux de 15% sur la base de la différence entre la valeur des paris et la valeur des gains revenant aux parieurs ». Le texte juridique précise que « la présente taxe est libératoire de tous les droits et taxes dus sur le chiffre d’affaires réalisé par les organisateurs ». Cependant, après les difficultés rencontrées par l’Etat dans ses tentatives d’encadrer le secteur, la taxe décrétée par la loi Finance 2021 a été abrogée, cédant la place, dans la version 2023, à la réactivation de l’impôt de 25% sur les gains des parieurs.

Dans le même contexte, le ministre de la Jeunesse et des Sports s’est entretenu, le 25 novembre 2021, avec plusieurs de ses collègues, en présence du PDG de la société Promosport, Adel Zeramdini, et d’un représentant de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA). L’objectif étant de réguler davantage le secteur des paris sportifs en ligne, et de discuter d’un projet de décret visant à lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent. En outre, il s’agira de profiter des revenus générés par les paris sportifs, en les réinjectant au moins partiellement  dans l’économie nationale. Toutefois, le groupement interprofessionnel national des sociétés de paris sportifs et de jeux en ligne a dénoncé ce qu’il a appelé « l’unilatéralisme du ministère », vu que seule la société publique Promosport a été invitée à la réunion, et non les acteurs privés. Toujours est-il que le décret en question n’a pas encore vu le jour.

Les acteurs privés

Le groupement interprofessionnel national des sociétés de paris sportifs et de jeux en ligne relevant de la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie (Conect), a été fondé le 23 juin 2021. Il est présidé par l’homme d’affaires et ex-conseiller du ministre de la Jeunesse et des Sports sous le gouvernement de la Troïka, Walid Balti. Celui-ci fera parler de lui en mai 2021, dans l’affaire du document fuité de la présidence de la République, appelant à l’application de l’article 80 de la Constitution de 2014. Le nom de la société Beta methods était mentionné dans les métadonnées du document fuité. Or Balti est le directeur de cette entreprise.

Son nom est également réapparu dans «l’affaire de complot contre la sûreté de l’Etat» dans laquelle sont suspectées 25 personnes, selon une liste établie le 28 novembre 2022 par le Tribunal de Première Instance de Tunis. Les suspects sont notamment accusés d’atteinte à la sûreté de l’État, d’offense contre le chef de l’État, de préparer un attentat contre les personnes ou les propriétés. Selon certains médias, Balti est suspecté d’avoir noué des contacts en vue de changer le gouvernement et d’évincer Kais Saied du pouvoir.

«Bountou1x2», la plateforme qui se présente comme étant le premier site de paris sportifs en Tunisie, a été lancé le 1er août 2017, en se targuant d’être une initiative individuelle visant à réduire les risques d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Bountou1x2 a été lancé par CasualBet, une société d’activités informatiques dotée d’un capital de 1000 dinars, fondée le 17 avril 2017. Une année plus tard, en avril 2018, son capital passera à 25 mille dinars, selon le Registre national des entreprises. Le capital de CasualBet est détenu à 60% par Walid Balti, et à hauteur de 40% par Abderrahman Mahmoudi, l’ancien directeur commercial de Promosport. A noter que Mahmoudi a été démis de ses fonctions au sein de la société publique suite à une décision du conseil de discipline rendue le 26 décembre 2016.

Tunibets, une société créée le 21 février 2018 active dans le secteur informatique, selon le Registre national des entreprises, a lancé de son côté le site internet Promocote.com. L’entreprise est dirigée par Khayyam Malek, également membre du groupement interprofessionnel national des sociétés de paris sportifs et de jeux en ligne. Le 11 décembre 2022, la société a diffusé sur la page Facebook officielle de Promocote, un communiqué faisant part de « la perquisition de ses locaux le 9 décembre et de la mise en garde à vue de ses principaux dirigeants, dans le cadre d’une enquête visant les sociétés de paris sportifs ».

Et ce n’est pas la première fois que des campagnes sécuritaires visent ce type d’activités.Le 3 mars 2022, le ministère de l’Intérieur a en effet publié un communiqué indiquant que 581 mille dinars ont été saisis dans le cadre de la lutte contre les paris sportifs sauvages, dans les gouvernorats du Grand Tunis, de Siliana et de Kairouan.

Le monopole disputé de l’Etat

Néanmoins, les tergiversations de l’Etat face à l’explosion du phénomène des paris sportifs n’en finissent pas de provoquer des remous. En décembre 2019, Promosport a lancé un appel d’offres pour l’octroi d’une concession. Le contrat a été remporté en août 2022 par un géant du secteur, à savoir la société italienne Sisal. En réaction, le dirigeant de Tunibets, Khayyam Malek a déclaré, le 4 décembre 2022, avoir proposé à la présidence du gouvernement une offre supérieure de 20% à celle de Sisal, pour l’exploitation exclusive des paris sportifs. Dans un communiqué diffusé sur la page de Promocote, il fait état d’une offre de 66 millions de dinars, alors que la somme proposée par l’opérateur italien est estimée selon la même source à 55 millions de dinars. Entretemps, la société italienne Sisal a été accusée d’entretenir des liens avec l’entité sioniste. Et si l’entreprise publique Promosport a rejeté ce qu’elle a qualifié de diffamation, les multiples frictions illustrent les différends entre les sociétés privées de paris sportifs, et l’Etat tunisien, dans ses velléités de garder le monopole du secteur.

Ainsi, le Conseil de la concurrence a tranché à deux reprises en faveur de la société publique Promosport : le 3 octobre 2019 dans une affaire intentée par CasualBet, et le 19 novembre 2020 dans un recours intenté par Tunibets, considérant que «l’organisation de paris sportifs relève du monopole exclusif de l’Etat, et qu’un établissement public a été créé à cet effet».

De son côté, la HAICA a exhorté le 11 août 2020 dans un communiqué, les chaînes de radio et de télévision à ne pas diffuser de spots publicitaires en faveur des sociétés de paris sportifs, sur la base du décret n°20 de 1974 et de la loi n°63 de 1984.

Dans les faits, la réalité numérique a imposé une révision des lois et des procédures pour éviter les risques de blanchiment d’argent. A cet égard, la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF) a rendu le 5 avril 2018 une décision portant principes directeurs aux responsables de casinos sur la détection et la déclaration des transactions suspectes.

Une décision qui a souligné la nécessité d’identifier le parieur et ses actes de ventes ou d’achat, en particulier ceux qui sont effectués sur Internet. En somme, les mesures étatiques peuvent induire une reconnaissance implicite des jeux et paris en ligne. Même si les acteurs du secteur peuvent y voir davantage de restrictions.