Se réclamant du peuple, le président de la République, Kais Saied n’a cessé de s’ériger comme étant l’incarnation de la volonté populaire. Il a fait de la diatribe reposant sur l’opposition entre l’élite et le petit peuple, les appauvris et les affairistes, les corrompus et les honnêtes, son cheval de bataille.

Son discours prétend rompre avec la confiscation des droits des Tunisiens en consacrant les objectifs de la révolution, en l’occurrence le travail, la liberté et la dignité. Plus de trois ans après son élection, les Tunisiens sont loin d’avoir réalisés leurs aspirations formulées lors de la révolution. En janvier 2023, l’inflation s’est établie à 10.2% et le taux de chômage a atteint 15.3%, selon les données de l’Institut national des statistiques (INS). Les derniers mois ont été jalonnés par des pénuries successives de produits de première nécessité. La réponse de Kais Saied ? Un projet juridico-politique éloigné des problématiques éminemment sociales. Au-delà de l’habituelle logorrhée, c’est la loi de Finances 2023 qui cristallise dans les faits la volonté présidentielle.

Hausse des budgets de la Kasbah et de Carthage

Dans ses opérations de communication, le président de la République se montre proche des plus démunis. Dans une récente visite des quartiers populaires de la Mnihla (gouvernorat de l’Ariana), Kais Saied a déploré la non-satisfaction de besoins aussi élémentaires que l’eau potable et l’électricité. D’après lui, les premiers soucis des Tunisiens sont de nature économique et sociale. Face à la situation, il se dédouane toutefois de toute responsabilité, pointant du doigt l’opposition.

Concrètement, le président de la République, qui détient tous les pouvoirs depuis le coup de force du 25 juillet, s’est doté d’un budget plus important. Le budget de l’institution de la présidence de la République passera de 168,436 millions de dinars tunisiens (MDT) en 2022 à 191 MDT en 2023, soit une hausse de 22,564 MDT. Celui de la présidence du  gouvernement grimpera également pour atteindre en 2023 les 252,613 MDT contre 234,272 MDT en 2022. Décidément, l’austérité ne s’applique pas aux institutions du sommet de l’Etat.

Encore plus de budget pour l’Intérieur et la Défense

La loi de Finances de 2023 prévoit une augmentation du budget du ministère de l’Intérieur, qui passera de 5260 MDT en 2022 à 5697 MDT en 2023, (soit une hausse de 8%). Le département de la Défense, lui, doté de 3446 MDT en 2022, se verra accorder 3750 MDT en 2023, soit une augmentation de 9%.

Les dépenses consacrées à ces deux ministères sont nettement plus importantes que celles mobilisées pour certains départements touchant directement aux conditions socio-économiques des Tunisiens. Ainsi, le budget du ministère de la Santé passera de 3153 MDT en 2022 à 3660 MDT en 2023. Celui de l’Emploi bénéficiera toujours d’une ligne budgétaire maigre. Pour ce ministère, 990 MDT sont prévus en 2023 contre 967 MDT pour 2022. Le ministère des Transports passera de 918 MDT en 2022 à 1011 MDT en 2023. Le ministère des Affaires culturelles reste le parent pauvre de l’Etat, avec 395 MDT prévus pour ce département en 2023 contre 347 MDT en 2022. Le département de l’Education reste le plus important poste de dépenses publiques, passant de 6892 MDT en 2022 à 7550 MDT en 2023, soit une augmentation de 10%.

Vers plus d’uniformes, moins d’enseignants

Mais côté nouveaux recrutements, le ministère de la Défense se taillera la part du lion, avec 4422 nouveaux postes, contre 90 seulement pour le ministère de l’Emploi et 2399 pour le ministère de l’Education. L’ensemble des autres ministères (Santé, Transports, Affaires culturelles, etc) se partageront les 1487 nouveaux recrutements prévus pour cette année.

Les orientations de l’Etat se reflètent dans les enveloppes réservées aux projets de développement de chaque ministère. Là aussi le fossé est assez grand entre les ministères de l’Intérieur et de la Défense, et les autres départements. Le premier disposera de 274 MDT pour assurer «ses missions sécuritaires, et dans sa lutte contre la criminalité et le terrorisme». La Défense sera la mieux lotie avec 625.5 MDT dévolus à la «protection du territoire et au renforcement de la sécurité nationale ».

Le secteur de la santé est bien derrière avec 268.3 MDT. Les aides au développement pour le ministère des Affaires culturelles sont de 75 MDT. Le ministère de la Femme arrive bien loin avec 39.1 MDT de prévus.

Cependant, c’est le budget du ministère des Affaires sociales qui affichera toute proportion gardée la plus forte croissance (49%) d’un budget passant de 2214 MDT en 2022 à 3302 MDT en 2023. Avec une hausse de 10%. Pourtant, les familles pauvres envers lesquelles Saied a montré tant de compassion ne verront pas leur situation s’améliorer. Alors que 15% des Tunisiens sont dans la pauvreté, soit environ 1,8 million, seules 320 mille familles aux faibles revenus auront droit à l’aide sociale de l’Etat, qui est de 220 dinars par mois. 10 dinars de plus sont prévus pour ces familles pour chaque enfant sain et 20 dinars pour chaque enfant handicapé.

Pour le président de la République, les chiffres n’expliquent pas la réalité. Mais les sommes officiellement consacrées à chaque secteur révèlent cependant ses véritables priorités. Et le petit peuple en est bien éloigné.