Le Parlement européen a adopté, jeudi 16 mars 2023, une résolution condamnant la situation des droits humains en Tunisie. Sur les 704 eurodéputés en mesure de voter, ils ont été 537 à participer au scrutin. 496 se sont exprimés en faveur du texte, 28 se sont prononcés contre la résolution et 13 se sont abstenus. Les récalcitrants sont dominés par le groupe d’extrême droite Identité et démocratie (ID), réunissant plusieurs formations de cette obédience à l’instar du Rassemblement national français ou de la Ligue italienne. Sur les réseaux sociaux, les proches du pouvoir ont partagé abondamment une intervention tenue en octobre 2022 par l’eurodéputé Rassemblement national, Thierry Mariani, soutenant la politique du président. Le parlementaire français, affilié à Identité et démocratie, appuyait la volonté de Saïed de s’opposer « à la régression des mœurs » et sa détermination à parvenir « à un accord avec le FMI ». Sans surprise, Mariani s’est prononcé contre la résolution.
Dénonciation de la dérive autoritaire de Saied
Le texte voté a été porté par six des sept groupes siégeant au Parlement européen. Seul le groupe ID n’a pas souhaité s’associer aux travaux. « Nous les avons conviés aux réunions mais ils n’ont pas donné suite », affirme à Nawaat Jan‑Christoph Oetjen, eurodéputé allemand affilié au groupe Renew Europe (libéral) et rapporteur du texte. La résolution, en six points, revient sur l’accaparement des pouvoirs par Kaïs Saïed depuis le 25 juillet 2021, rappelle l’affaiblissement des contrepouvoirs (Parlement, ISIE, Conseil supérieur de la magistrature), la révocation unilatérale de magistrats et les législations touchant aux libertés d’expression et d’association. Le texte énumère les poursuites et arrestations visant des opposants, des syndicalistes et des journalistes avant de revenir sur les déclarations pointant la volonté des migrants subsahariens de « chercher à remplacer démographiquement les Tunisiens ».
La résolution incite les autorités tunisiennes à revenir sur « la dérive autoritaire du président Saïed et sur son instrumentalisation de la situation socio-économique désastreuse de la Tunisie pour renverser la transition démocratique historique du pays ». Elle appelle à la libération immédiate du directeur général de Mosaïque FM, Noureddine Boutar et de « toutes les autres personnes détenues arbitrairement, y compris les journalistes, les juges, les avocats, les militants politiques et les syndicalistes comme Anis Kaabi ». Elle condamne « le discours raciste du président Saïed contre les migrants subsahariens ». Le texte demande aux responsables européens de dénoncer publiquement « la grave détérioration de la situation des droits de l’homme » et de suspendre « les programmes spécifiques de soutien de l’Union aux ministères de la justice et des affaires intérieures » et incite les diplomates européens à « suivre les procès politiques, à y assister et à engager un dialogue régulier avec la société civile ».
« Poids symbolique »
« Nous avons déjà voté des résolutions d’urgence au sujet de la Tunisie », rappelle Jan‑Christoph Oetjen. « Un débat sans vote a été organisé le 14 février 2023. De gauche à droite, à l’exception du groupe ID, nous étions choqués par la légèreté de la Commission et du Conseil », poursuit-il. La Commission européenne est l’organe exécutif de l’Union européenne, chaque Etat membre y est représenté par un commissaire (l’équivalent d’un ministre). Les décisions sont prises par le Conseil regroupant les chefs d’Etats et de gouvernements des Etats membres. Le Parlement européen, à l’instar de toutes les instances législatives, ne peut pas directement agir sur la politique diplomatique. Toutefois, Oetjen veut croire qu’un « texte écrit et voté aura plus de poids symbolique » auprès des dirigeants. Un collaborateur parlementaire précise que les eurodéputés peuvent refuser de voter certaines dispositions budgétaires, notamment des aides et subventions. Le Parlement examinera à la fin du mois le budget rectificatif de l’année en cours et se penchera en septembre sur celui de l’année 2024. D’après Jan‑Christoph Oetjen, « aucun député ne réclame l’arrêt du soutien économique à la Tunisie ». C’est l’aide à la machine répressive qui est visée par la résolution. « Nous demandons l’arrêt des aides en direction des ministères de la Justice et de l’Intérieur. Nous estimons que la police est utilisée contre la société civile », précise l’eurodéputé allemand.
Soutien français et italien
Cependant, ce vote non contraignant, pourrait paradoxalement favoriser le régime en place en Tunisie. Pour les autorités tunisiennes, coutumières des déclarations récusant toute ingérence extérieure, une position étrangère hostile est susceptible de renforcer la rhétorique de la citadelle assiégée et celle du complot contre la sûreté de l’Etat. Pour les Européens, cette déclaration d’intention permet d’éviter les critiques sur un hypothétique silence face à une dérive autoritaire. En outre, les principaux pays européens partenaires de la Tunisie, France et Italie en tête, ont donné plusieurs marques de soutien à un pouvoir qui se montre coopératif en matière migratoire et ne s’embarrasse guère des objections de l’opposition et de la société civile.
En marge du sommet de la francophonie, en novembre dernier, Emmanuel Macron a affirmé vouloir que le changement en cours depuis le 25 juillet 2021 aille jusqu’à son terme. De son côté, la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Méloni, multiplie les déclarations en faveur des autorités tunisiennes. A quelques heures du vote de la résolution, la dirigeante d’extrême droite, a déclaré devant le Sénat italien, qu’elle allait demander aux instances européennes davantage de soutien à la Tunisie pour contenir « l’exode africain vers les côtes siciliennes ». Rappelons que cette partie du spectre politique a déjà soutenu le discours de Kaïs Saïed sur les migrants subsahariens. Cela a notamment été le cas de l’ancien candidat à la présidentielle Eric Zemmour, président du parti d’extrême droite Reconquête ou de l’ancien porte-parole du groupuscule fasciste dissous « Génération identitaire », Damien Rieu.
Dans un entretien accordé à France 24 arabe, le porte-parole de l’Union européenne pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Luis Miguel Bueno, a déclaré que le Conseil de l’Union européenne allait discuter le cas de la Tunisie dans sa réunion du 20 mars 2023. Interrogé sur d’éventuelles sanctions, le responsable européen a botté en touche, disant qu’une discussion allait avoir lieu. La prise de décision en matière diplomatique est du ressort exclusif du Conseil européen et se fait quasi systématiquement à l’unanimité ou au consensus. En pratique, un veto italien ou français peut bloquer toute décision jugée excessive. La Tunisie et l’UE sont liées, depuis 1995, par un accord de libre-échange. Bien que l’article 2 de l’accord insiste le « respect des principes démocratiques et des droits de l’homme », les Européens ont su, notamment sous Ben Ali, fermer les yeux sur ces aspects pour des considérations économiques, sécuritaires et migratoires.
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