Ne roulez pas des yeux, il ne s’agit pas d’une tirade culpabilisante sur notre incapacité à accepter l’autre, nos maladresses de langage, ni un appel à l’union des minorités. Il s’agit de « Devenir minoritaire » et parce que cette théorie est de Guattari et aussi de Deleuze, le cinéma plane au-dessus de la discussion.

« On va expérimenter », prévient Ikbal Zalila, modérateur de ce laboratoire d’idées et directeur artistique de la section cinéma du festival. Le micro est tendu à Maher Hanine, chercheur en philosophie politique et en sciences sociales. « Le devenir minoritaire rompt avec l’émancipation », assène-t-il. « Ça parait contradictoire dans une ère où l’émancipation des minorités est la boussole des droits et des démocraties qui tiennent bon ». Il cite ensuite Frantz Fanon, d’ailleurs l’essayiste tiers-mondiste est cité sans arrêt au cours du débat : « Je ne suis pas esclave de l’esclavage ».

 « Il serait absurde de fonder le parti des minorités ou le syndicat des minorités », affirme Hanine. La minorité ne se fond pas dans une autre car sa nature même, sa dimension révolutionnaire est dans le fait qu’elle soit et qu’elle demeure des minorités, en marge, sans centre, sans contours et multiples. Par exemple, les skateurs. Ils sont profondément apolitiques, n’aspirent pas à convaincre le plus grand nombre mais au contraire tiennent à une sorte de confidentialité. Ils n’ont pas honte d’être peu visibles ou stigmatisés.  Pourtant, ils luttent pour une place dans l’espace public notamment avec leur participation à la manifestation du 6 février 2021 contre la violence policière. D’où l’intersection des luttes minoritaires. Ces connexions existent et donnent place à la solidarité. « La solidarité aujourd’hui est liquide dans une réalité liquide. Il n’y a plus de militants qui restent 40 ans dans le même mouvement politique », explique le chercheur. La preuve est que les skateurs n’ont participé qu’à cette manifestation. La solidarité n’est plus synonyme de dévouement. La solidarité n’est qu’un rendez-vous. Et ce n’est pas peu.

Le cinéma minoritaire et la résonance de l’invisible

« Ne pas faire de films politiques mais faire des films politiquement ». C’est de Godard. La question est abordée frontalement. La réalisatrice et productrice égyptienne Hana Lotfy le dit tout haut : « les ateliers de développement des films ont dénaturé les récits. Les films de ces dernières années se ressemblent. Les projets qui ont abouti sont des films guérilla…et ces films sont uniques ». Qu’est ce que « faire politiquement un film »? Si on pouvait résumer l’intervention de Olivier Hadouchi, programmateur et chercheur ; c’est un autre rapport à la production, à la hiérarchie, au temps et à la visibilité.

Nous, on soulignera cette définition en tentant un rapprochement; c’est faire des films comme les skateurs font du skate. Ça veut dire en petit groupe, avec ambition, sauvagement, perturbant la tranquillité et être au rendez-vous quand la lutte est cruciale. C’est « devenir minoritaire » en ne cherchant pas à s’émanciper en étant reconnu par « Homme-blanc-mâle- adulte-habitant des villes-parlant une langue standard-européen-hétérosexuel quelconque ». Ce même monsieur qui croit que l’imposition des Oscars d’un quota de 30% de groupes sous-représentés pour la catégorie du meilleur film est une révolution alors qu’elle est une mutation de la domination. La domination aime cerner les minorités pour mieux les enfermer.

Mais dans quelle mesure « faire des films politiquement » est-il possible ? Ce n’est pas lors de cette rencontre qu’on aura une réponse. Ce n’était pas important. Gabes Cinéma Fen a « de l’élégance » comme le décrit si bien le critique Édouard Mills Affif… surement à cause de sa modernité organique. On ne se rend pas à Gabes Cinéma Fen pour avoir des réponses, on s’y rend pour rentrer avec des questions qui comptent. Des questions qui nous aideront, peut-être, à « devenir minoritaire ».