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Les espèces exotiques ne semblent pas attirer l’attention des autorités chargées de la gestion de la biodiversité, sauf si elles posent des problèmes économiques (charançon rouge comme destructeur potentiel des palmiers dattiers, cochenille du cactus, crabe bleu). Or certaines espèces exotiques, introduites de manière délibérée ou accidentelle, se reproduisent en dehors de tout contrôle. L’envahissement des espaces naturels ou des agroécosystèmes par ces exotiques provoque de nombreux dysfonctionnements et limite le développement des espèces cultivées ou des espèces natives lorsqu’il s’agit d’écosystèmes naturels. Dans le présent article, nous présentons deux espèces invasives qui sont en train de s’étendre au nord-ouest de la Tunisie et qui sont susceptibles de constituer des problèmes dans les espaces qu’elles occupent.

La première espèce, dénommée « Griffe du diable », ou « ibicelle jaune », appartient à la famille des Martyniaceae. Elle ressemble à une courge. Ses fleurs sont jaunes et ses fruits ressemblent à des concombres incurvés. Cette herbacée annuelle a la propriété de piéger des insectes, par une glu sécrétée par des poils sur les feuilles et les tiges. Elle est qualifiée de protocarnivore, car elle ne sécrète pas d’enzymes permettant la digestion des insectes piégés.

Les fleurs sont regroupées en grappes, et sont jaune vives. La floraison a lieu entre juin et septembre. Les tiges et feuilles de cette espèce sont couvertes de poils qui sécrètent un liquide collant et exhalant une odeur nauséabonde.

Pied d’Ibicelle, Ghardimaou

Dans son milieu naturel, cette espèce originaire d’Amérique du Sud occupe les sols pauvres et acides, dans des zones sèches. Ses besoins en eau sont couverts par l’humidité atmosphérique.

Le fruit, d’abord vert, se dessèche à maturité et devient noir. Il se divise en deux et s’ouvre par la suite pour libérer les graines qu’il renferme.

Fruits d’Ibicelle, pas encore mûrs

La plante est une annuelle. Elle pousse en été, et ses fruits sont mûrs à la fin de l’automne (octobre).

En dehors de son aire d’origine, cette plante a été signalée en Australie, aux États‐Unis, et en France. En Afrique du Nord, elle est connue de l’Algérie et de la Tunisie.

Dans notre pays, cette espèce a été signalée pour la première fois dans la vallée de Bouhertma[1]. Nous l’avons trouvée en amont du barrage Béni Mtir (Aïn Draham).  Elle a par la suite été observée dans la région de Ghardimaou. Au départ inféodée à des cours d’eau secs, elle a tendance actuellement à occuper des espaces cultivés, notamment des jardins familiaux (Kef Ennsour, El Feidja, El Taref).

Au nord-ouest de la Tunisie, cette espèce n’a cessé d’étendre son aire de répartition au cours des dernières années. Le fait qu’elle pousse dans des cours d’eau facilitera sa dissémination le long des oueds. Le passage du bétail –qui ne la consomme pas- favorise la dispersion des fruits et graines de cette espèce. Une campagne d’éradication de l’Ibicelle est fortement recommandée, pour au moins ne pas la laisser s’étendre pour finir par poser de sérieux problèmes dans les régions où elle est déjà installée et dans celle où elle risque de s’installer dans les années à venir.

De l’Argentine à la Tunisie

La seconde espèce est la morelle de Buenos Aires. Comme son nom l’indique, l’espèce est originaire d’Amérique du Sud. C’est une Solanaceae qui peut atteindre une hauteur de deux mètres. Elle semble avoir été introduite comme espèce ornementale.

En Tunisie, elle est présente comme espèce d’ornement dans des jardins particuliers à Sousse, à Nabeul et probablement à Tunis. Elle n’est pas connue pour son caractère invasif, contrairement à sa congénère, la morelle jaune qui pose déjà d’énormes problèmes dans les champs cultivés où elle a réussi à s’installer (Tunisie centrale et méridionale, tendance à progresser vers le nord).

Population de morelle de Buenos Aires, environs de Ghardimaou

L’espèce est pérenne, mais fleurit et fructifie en été (juillet-août). Ses fleurs sont mauves et ses fruits ressemblent à des grappes dont chaque élément présente un diamètre d’environ 1 cm. Les fruits sont jaunes à maturité.

Cette plante est toxique, comme sa congénère citée plus haut. En Afrique du Nord, elle est présente en Algérie et au Maroc.

Fruits de morelle de Buenos Aires

Nous avons repéré cette espèce aux environs de Ghardimaou à proximité d’installations humaines. Il est probable que l’espèce se soit échappée de jardins où elle aurait été plantée comme espèce d’ornement. La plus grande population se trouve dans la localité d’El Taref où elle colonise les bords de routes et le long d’un cours d’eau.

Même si nos explorations sont incomplètes, il y a lieu d’inciter la destruction des populations occupant des milieux naturels ou agricoles. Le caractère vigoureux de cette morelle la rend très compétitive et pouvant générer potentiellement des problèmes que nous devrons tout faire pour éviter.

Dans ce contexte, il serait souhaitable de mettre en place une base de données nationale sur les espèces exotiques présentes dans le pays, particulièrement celles présentant un caractère invasif. En outre, un contrôle des importations des plantes d’ornement est nécessaire, pour éviter que des espèces dont le caractère invasif est connu de par le monde ne se disséminent dans le pays.


[1] El Mokni R., Hamdi N., De Belair G. & El Aouni M. H., 2012. Découverte d’Ibicella lutea (Lindl.) Van Eselt. (Martyniaceae) en Kroumirie (Nord­Ouest de la Tunisie). Poiretia, 4 : 1-6