Le rendez-vous est donné au « Jardin des Plantes » du Parc du Belvédère, à Tunis. Il n’y a pas si longtemps il n’y avait ni jardin, ni plantes. Des friches. On s’en souvenait à l’occasion de la journée de l’arbre. On ramenait alors des pelles, des plants, des photographes, et à l’année prochaine ! « Un gâchis » entendait-on dans la bouche de citoyens et de militants associatifs. Plusieurs projets avaient tenté de redonner vie à cet endroit, ces dix dernières années. En vain. Il semblait maudit. Sur la carte, à l’entrée, le « Jardin des Plantes » est représenté par le point 4. Juste en face du Zoo, là où des milliers de visiteurs passent quotidiennement. Il est à peine 10h et il y a déjà foule en ce dimanche ensoleillé. La voix de Feyrouz couvre le bruit de la ville. Il faut avancer un peu plus pour retrouver la parcelle de 5500 m2 dans laquelle une trentaine de bénévoles s’activent. En 2023, UN-Habitat Tunisie lance un projet d’agriculture urbaine sur plusieurs parcelles du Grand Tunis, dont une partie du Jardin des Plantes. L’objectif ? Sensibiliser les décideurs locaux, la société civile et les citoyens à l’importance de la souveraineté alimentaire en accompagnant la création de parcelles agricoles expérimentales en milieu urbain.
Réconcilier la ville avec la nature
Abdelkader Baouendi, ingénieur et responsable des potagers-urbains, passe et repasse entre les différentes allées, sollicité en permanence par les uns et les autres. « Ya Monsieur, quelle distance entre chaque salade ? », « Si Abdelkader, avez-vous vu le râteau ? », « On a terminé de planter les fèves, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? ». Il semble y avoir plus de bénévoles que de travail, aujourd’hui. « Quel succès ! », remarque un participant ne sachant pas trop comment aider. Ce qui frappe, c’est la présence de jeunes. C’est grâce au Club Culturel Ali Belhouane (CCAB) que cette mobilisation a été possible.
L’association souhaite développer le volet environnemental chez les jeunes en proposant des activités sur le terrain. « Il n’y pas meilleur endroit pour développer une conscience écologique qu’en étant proche de la terre », remarque une jeune bénévole. « Je n’avais jamais rien planté de ma vie, je ne connaissais même pas les noms des outils… j’apprends beaucoup en participant à ces journées de plantation », poursuit-elle. Equipés de râteaux et de pelles, ses camarades retournent la terre pour l’aérer et préparer le sol aux prochaines cultures sous le regard bienveillant d’Abdelkader Baouendi.
Tunisie : Terres agricoles en péril
09/10/2023
« Il y a quelques mois encore, c’était une parcelle laissée à l’abandon. Il a fallu niveler le terrain, labourer, nourrir le sol », », se souvient-il. « Nous n’utilisons aucun engrais chimique, ni pesticide », se réjouit Aïda Robbana, représentante de UN-Habitat Tunisie. « Et le fumier nous vient du zoo ». En une matinée, les participants ont planté des fèves, du chou rouge, différentes variétés de laitue, du fenouil, des carottes, des radis, des petits pois, bref, de quoi espérer une jolie récolte. Peut-être même meilleure que la précédente : « la nouveauté c’est l’enclos qui va permettre de protéger les plantations du vandalisme », note l’ingénieur. « Nous aurions aimé laisser l’espace ouvert, que les gens puissent se servir. Mais malheureusement, certains n’ont pas joué le jeu ». Par ailleurs, des hordes de chiens errants détruisaient régulièrement tout sur leur passage.
Ces sont des heures et des heures de travail perdues et une récolte qui tombe à l’eau. Car une fois la journée de plantations achevée, il faut revenir quotidiennement pour entretenir le potager. La municipalité de Tunis a mis à disposition des agents municipaux qui travaillent au Belvédère pour donner un coup de main, notamment dans l’arrosage – facilité par le puits du parc – et le désherbage.
L’agriculture urbaine, une utopie ?
A La Marsa, le potager initié là aussi par UN-Habitat au parc Essaada commence à porter ses fruits. L’association Zone Verte Menzah a expérimenté la culture en bacs au pied des immeubles. Mais les initiatives proposant des potagers urbains collectifs se comptent sur les doigts d’une main. Pourtant, dès 1996, le Programme des Nations unies pour le développement affirmait que « l’agriculture urbaine garantit un développement humain durable ». A Cuba, alors que le pays subissait à la fois les conséquences de l’effondrement du bloc soviétique et du durcissement du blocus américain, une véritable révolution verte s’est mise en marche, au début des années 90, avec la création de jardins de haut rendement bio (organopónicos). Vingt ans plus tard, Cuba compte 500 000 organopónicos qui jouent un rôle primordial pour la sécurité alimentaire, l’économie locale et la préservation de l’environnement.
En Tunisie, l’agriculture urbaine est totalement absente des politiques publiques. Pourtant, explique Aïda Robbana, elle permet de « créer des systèmes de productions et de consommation plus responsables et plus résilients ». Alors que 70% de la population tunisienne vit en ville, les municipalités ne devraient-elles pas mener une politique volontariste, fournissant budget et terrain ? Il ne faudrait pas imaginer que ces potagers urbains viennent répondre à une demande de citadins de classe moyenne ou aisée, en manque de nature. Ces parcelles pourraient aider des personnes en situation précaire à accéder à une alimentation saine alors que les légumes sont, à leur tour, touchés par la flambée des prix. « Nos récoltes sont distribuées à des associations d’aide aux plus démunis », assure la représentante de UN-Habitat Tunisie.
La dimension sociale est, elle aussi, au cœur de ces initiatives. Dans des grandes villes comme Tunis, où l’anonymat et l’individualisme gagnent du terrain, ces journées passées à planter, désherber, arroser sont autant d’occasion d’échanger et de créer du lien social. Alors que la douce voix de Feyrouz continue de résonner dans le parc, les gestes des bénévoles se font plus lents. Alors que cette matinée tire à sa fin. On se déshydrate, rassemble le matériel. Plusieurs petits groupes se forment. On se donne des nouvelles, on rigole, on se félicite. Un jeune garçon de 8 ans cherche désespérément des plants pour poursuivre le travail. « C’est fini pour aujourd’hui », lui rétorque son père. Alors il demande, c’est pour quand la prochaine ? Les jeunes et les moins jeunes prennent des selfies avec en arrière-plan l’effort d’une matinée. Puis la traditionnelle photo de groupe.
L’ambiance est joviale et les pas vers la sortie se font hésitants. Les palmiers, tels des gardiens, se dressent majestueusement de part et d’autre de la parcelle, offrant de l’ombre aux nouvelles plantations. Abdelkader Baouendi, s’assoit enfin. L’ingénieur s’excuse pour l’état dans lequel il est et dépoussière machinalement son gilet. Il n’est pas peu fier de cette journée. Mais il ne s’en contente pas. « Mon rêve, c’est de voir se multiplier des parcelles comme celle-ci du Nord au Sud du pays ».
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