Elles s’appellent Cherifa Riahi, Saadia Mosbah, Sonia Dahmani, Chaima Issa, Chadha Hadj Mbarek, Leila Kallel, Mariem Sassi, Abir Moussi. Ce sont des femmes politiques, des journalistes, des militantes associatives. Et elles croupissent en prison.
Elles font partie de la longue liste des femmes victimes d’intimidations judiciaires ou exilées, à l’instar de Bochra Bel Haj Hmida, Ghofrane Binous, Fatma Ezzahra Ltifi, Feryel Charfeddine, Arroi Baraket, Amel Aloui, Wifek Miri et bien d’autres.
“C’est une situation inédite pour les femmes”, lance Nabila Hamza, membre du bureau exécutif de l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd) lors d’une conférence de presse de la dynamique féministe, le 24 juillet.
Cette dynamique féministe regroupe plusieurs organisations de la société civile militant pour la cause féminine. Il s’agit de l’Atfd, Aswat Nissa, Beity, l’Association de la femme et de la citoyenneté du Kef, Amal pour la Famille et l’Enfant, Calam, l’association Tawhida Ben Cheikh et Intersection pour les droits et les libertés.
Toutes appellent à la libération immédiate de ces femmes emprisonnées et à l’arrêt des poursuites judiciaires visant toutes les activistes.
A l’occasion de ladite conférence de presse, ces organisations ont annoncé le lancement de la campagne de libération des prisonnières détenues en raison de leur activisme au sein de l’espace public. Elles s’engagent à défendre toutes les victimes du système sans exception.
La campagne aura lieu du 25 juillet au 13 août 2024. Ces associations exhortent toutes les forces politiques, civiles, syndicales, culturelles, académiques, progressistes et démocrates à se mobiliser à leurs côtés dans le cadre de leurs diverses actions. Cette campagne s’achèvera le 13 août, la Journée nationale des femmes tunisiennes, avec une manifestation devant le théâtre municipal de Tunis.
Un climat politique hostile aux femmes
Les poursuites judiciaires ont clairement pour objectif de “réduire au silence les voix des femmes”, dénonce Sarah Ben Saied, directrice exécutive d’Aswat Nissa. Car les enquêtes visant ces figures féminines sont “vides”, souligne Ghofane Friji, chercheuse à l’association Intersection. Cette organisation recense les violations des droits et des libertés en Tunisie. “Il s’agit d’accusations arbitraires et infondées”, dénonce-t-elle.
En effet, le régime de Kais Saied mène une chasse aux voix dissidentes ou à ses supposés détracteurs. Les chefs d’accusation retenues contre les femmes activistes varient entre “diffamation”, “atteinte à la sûreté de l’Etat” ou encore “blanchiment d’argent”.
Il s’agit d’une politique “méthodique” visant à clouer le bec de l’opposition qu’elle soit politique, civile ou syndicale, dénonce Sarah Ben Said. “Elle intervient dans un contexte marqué d’ores et déjà par la violence cybernétique envers les femmes actives dans la sphère publique. Celles-ci sont constamment menacées et insultées sur les réseaux sociaux. Le but est de les empêcher de prendre part aux débats publics”, renchérit-elle.
La dynamique féministe a illustré l’ampleur de l’injustice dont sont victimes les femmes engagées à travers les témoignages de Ramla Dahmani, la sœur de Sonia Dahmani, l’avocate et chroniqueuse emprisonnée, et de l’ancienne maire de Tabarka, Amel Aloui. Dahmani et Aloui ont été condamnées sur la base du décret-loi 54.
Paradoxalement, des femmes mettent en application la politique liberticide de Saied, à l’image de l’ancienne cheffe du gouvernement Najla Bouden ou encore l’actuelle ministre de la Justice Leila Jaffel. Rien “d’étonnant” qu’elles jouent un tel rôle, affirme la figure féministe Sana Ben Achour, à Nawaat.
Les femmes ne naissent pas féministes. Car le féminisme est une conscience politique dont ces femmes sont dépourvues.
Sana Ben Achour
Et de regretter : “Elles reproduisent et consolident le système d’oppression patriarcale qui les réprime. Ce sont ses instruments. Ces femmes sont les ennemies de leurs consœurs”.
En revanche, pour le régime actuel, le féminisme est un mouvement élitiste. Et les femmes activistes n’ont aucune légitimité, tient également à rappeler Nabila Hamza.
Un déclin à différentes échelles
Au-delà des rhétoriques s’opposant à l’égalité entre les hommes et les femmes, Saied a concrétisé son idéologie en sapant les acquis durement arrachés des femmes.
En faisant référence à la religion dans la Constitution de 2022, en renonçant à la parité, le chef de l’Etat a acté ses menaces visant les droits des femmes, a déploré Fathia Saïdi, militante féministe. Et cela se manifeste dans la régression de la représentativité politique des femmes.
En 2017, un amendement à la loi électorale a obligé les partis politiques à faire en sorte que la moitié de leurs listes candidates soient dirigées par des femmes lors des élections locales. Ce texte de loi a permis l’établissement de conseils municipaux composés à hauteur de 47% de femmes lors des élections de 2018.
La nouvelle loi électorale a remplacé l’ancien système de représentation proportionnelle par un scrutin uninominal, sans exiger l’égalité de représentation des sexes aux élections.
Résultat : Le parlement actuel est dominé par les hommes. 25 femmes uniquement y siègent contre 129 d’hommes. Quant au Conseil National des Régions et des Districts, il est composé de 67 hommes et de seulement 10 femmes.
“Saied a enterré tous les débats sur l’égalité entre les hommes et les femmes dans les commissions parlementaires ou locales”, ajoute Nabila Hamza. D’après elle, le pouvoir en place empêche l’émergence de modèles de femmes politiques pouvant inspirer les futures générations. “Il veut cantonner les femmes dans la sphère privée”, lance-t-elle.
L’emprisonnement des femmes activistes, les poursuites et intimidations les ciblant interviennent dans un climat marqué par la précarité féminine.
“Des travailleuses agricoles meurent encore sur la route, le nombre des féminicides est alarmant, l’Etat rechigne à appliquer la loi 58 sur l’élimination des violences envers les femmes”, martèle Hamza. Dans ce contexte, les féministes sont plus que jamais amenées à lutter sur tous les fronts.
En muselant la liberté d’expression des femmes, le régime entrave les possibilités de porter et de défendre d’autres causes féminines, à l’instar des droits socio-économiques ou encore des droits sexuels et reproductifs.
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