Dans le cas de la Tunisie, l’entente sur les prix peut être considérée à la fois comme légale et illégale. Mais dans les deux cas, elle assène un coup fatal à la concurrence. Et c’est le consommateur qui en paie le prix, puisqu’il se retrouve face à des produits ou des services de mauvaise qualité à un prix unique. Pendant que le Conseil de la concurrence, miné par des failles laissées délibérément dans la loi, se montre toujours aussi impuissant. Même le projet de révision qui sera examiné par le Parlement paraît demeurer fidèle à cette culture du paradoxe : les sanctions sont assorties de garanties qui les rendent dans les faits quasiment inapplicables.
La loi du marché suggère que la présence de plusieurs entreprises offrant un même produit ou service sur un même marché engendre une concurrence qui profite au consommateur. Cette concurrence incite chaque entreprise à chercher à gagner des clients en offrant de meilleurs services à un prix inférieur à celui de ses concurrents, dès lors que les prix obéissent à la loi de l’offre et de la demande.
Or ces évidences théoriques n’ont pas vraiment cours dans la réalité du marché en Tunisie. Les cas d’entreprises privées respectant à la lettre les règles de la concurrence sont rares. Souvent, les entreprises actives dans un même créneau, choisissent de s’entendre sur un prix unique pour leur produits ou services, ou même d’augmenter leurs tarifs simultanément, du même montant et au même moment. Elles le font, évidemment, en violation flagrante des principes de la concurrence et de la loi. Mais elles ne sont guère inquiétées.
Les exemples d’ententes ou d’augmentations simultanées des prix décidées par des entreprises censées être régies par une relation de concurrence sont nombreux. L’un des cas les plus fréquents, et les plus flagrants, est celui des trois opérateurs de télécommunications, qui se sont arrogés le droit d’augmenter simultanément les tarifs de leurs services. Le Conseil de la concurrence a annoncé l’ouverture d’une enquête, le 1er octobre 2020, après avoir suspecté une entente entre les trois opérateurs visant à augmenter les prix des services Internet. Mais cela n’a rien changé.
Tout le dilemme est là : l’unification des prix pour tous les produits, biens et services répondant au même besoin du consommateur ne constitue pas nécessairement une violation des principes de la concurrence, tels que définis et interprétés par la loi en Tunisie. Par exemple, dans les cas où l’Etat fixe la marge bénéficiaire – même plafonnée-, toutes les entreprises censées être en concurrence appliquent systématiquement la marge maximale autorisée, sans même un accord préalable entre elles. Ce qui permet, au final, une vente de produits et services issus de sources différentes au même prix, tout en restant, théoriquement, conforme à la loi.
Cette situation est d’autant plus déroutante que la loi sur la concurrence en Tunisie figure parmi les textes juridiques les plus compliqués, dans un contexte où il est rare de trouver sur le marché des produits ou des services répondant au même besoin à des prix variés.
L’enquête inédite qui a été ouverte contre les opérateurs de télécommunications pour entente sur une hausse uniforme et simultanée des prix, a révélé que le Conseil de la concurrence leur avait fait signer un engagement, selon le témoignage de son président de l’époque, Ridha Mahmoud. Toutefois, aucune entreprise de télécommunications n’avait augmenté, seule, les prix de ses services. Les hausses ont toujours été collectives et synchronisées par les trois entreprises, avant et après la date d’ouverture de l’enquête. Ce qui rend illisible et ambigüe l’entente sur les prix, qui est à la fois punie et tolérée par la loi.
Les structures professionnelles complices au vu et au su de l’Etat
Interrogé par Nawaat, Dhia Khalfallah, membre de l’Association de Lutte contre l’Économie de Rente en Tunisie (Alert), estime que l’entente sur les prix, leur unification, ainsi que la synchronisation des augmentations sont des pratiques courantes et qui n’ont rien de secret en Tunisie. Selon lui, elles ont souvent lieu au sein même des structures professionnelles sectorielles, au vu et au su de l’Etat.
Dans de nombreux cas, l’entente sur un tarif spécifique, et éventuellement son augmentation, pour un service ou un produit se fait avec la participation et sous l’égide des instances étatiques, selon Khalfallah. Ce dernier cite notamment les accords conclus entre les banques au sein de l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers, sous la direction de la Banque centrale.
L’exemple le plus édifiant est l’accord portant sur l’application d’intérêts de retard uniformes sur les échéances de prêts reportés durant la période du Covid-19. Un autre exemple cité est celui survenu après qu’une banque ait décidé d’augmenter son taux d’intérêt sur l’épargne, incitant d’autres banques à lui emboîter le pas. Cela a un moment profité au client. Mais cette émulation a été vite interrompue suite à une réunion tenue au sein de l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers, en présence de la Banque centrale, au cours de laquelle un taux d’intérêt maximal sur l’épargne a été fixé.

Notre interlocuteur affirme que de tels accords sur les prix sont, en grande partie, codifiés, institutionnalisés et ancrés dans les traditions économiques tunisiennes, notamment dans la relation, aujourd’hui largement normalisée, entre l’Etat et les opérateurs privés. Il en veut comme preuve le rôle de l’État dans un marché censé être concurrentiel, à travers la fixation directe ou indirecte des marges bénéficiaires depuis plusieurs décennies.
Le membre d’«Alert» critique le système juridique et institutionnel tunisien qui légitime l’unification des prix, que ce soit par la fixation de marges bénéficiaires pour les différents intervenants dans de nombreux secteurs, ou à travers des accords avec les chambres professionnelles relevant d’autres secteurs. Il dénonce également le partage du marché entre opérateurs économiques, avec la bénédiction de l’Etat. Selon lui, cela constitue la principale cause de la cherté de la vie dans un pays où le salaire minimum garanti ne dépasse pas 500 dinars, soit environ 125 euros.
Khalfallah ne semble pas avoir tort. Dans une interview diffusée le 13 mars, dans laquelle il évoquait le problème de la fixation des prix par l’Etat, le ministre du Commerce et du Développement des exportations, Samir Abid, affirmait que « le prix maximal ou le plafonnement constitue une garantie de concurrence et de lutte contre le monopole dans sa forme ultime (…) et assure un profit pour tous les intervenants et à tous les maillons de la chaîne ».
Le maillon faible dans cette chaîne est le citoyen consommateur. C’est lui qui paie ces profits de sa poche et se retrouve face à des prix élevés et unifiés pour des produits ou des services de qualité médiocre.
Bien entendu, ces profits garantis pour tous les maillons d’un produit ou d’un service, – en particulier les maillons médians et finaux, tels que les intermédiaires, distributeurs et vendeurs- renvoient à une autre problématique : celle de l’accès à ce cercle. En effet, l’Etat, en fixant unilatéralement les marges bénéficiaires, garantit à ces acteurs des profits sans risques et les protège de la nouvelle concurrence grâce à un système de licences. Or, une telle option est susceptible de favoriser la corruption et le népotisme.
Mais à l’inverse, la libéralisation des prix et l’application de la loi de l’offre et de la demande ne semble pas être une solution adaptée au contexte tunisien complexe. Un désengagement de l’Etat pourrait donner lieu à une concurrence inégale ou déloyale. En effet, l’accumulation de la richesse entre les mains d’une caste favorisée par l’Etat à travers l’octroi d’exclusivités pour l’exercice de certaines activités ou pour l’importation de marchandises.
Ententes au sein des structures professionnelles
La violation des principes de la concurrence, notamment à travers l’entente sur les prix ou l’augmentation uniforme des prix entre de supposés concurrents, se fait généralement au sein des organisations professionnelles. Dans certains cas, le Conseil de la concurrence sanctionne ces pratiques, pointant des augmentations unilatérales des prix. Dans d’autres cas, il n’y a aucune condamnation claire, surtout lorsque l’entente tarifaire dans le secteur concerné n’est pas nouvelle et légalement autorisée. C’est le cas, par exemple, de la décision rendue le 14 mars 2024 suspendant la décision de l’Ordre des avocats fixant un seuil minimal pour les honoraires des membres de la profession.
Le Conseil de la concurrence est généralement chargé d’enquêter sur les atteintes aux principes de la concurrence, en particulier les ententes sur les prix. Il peut intervenir sur la base d’une plainte ou d’une autosaisie, conformément à la loi de 2015 relative à la réorganisation de la concurrence et des prix. Ce texte prévoit diverses sanctions, allant d’une mise en demeure, jusqu’à la fermeture de l’établissement concerné, en passant par l’imposition d’amende pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires de l’entité sanctionnée.
A titre d’exemple de décisions prises par le Conseil de la concurrence contre les ententes anticoncurrentielles, celui-ci a prononcé, le 29 mai 2024, une amende de plus de 142 millions de dinars à l’encontre de plusieurs établissements bancaires. Ces derniers étaient accusés de pratiques anticoncurrentielles, telle que l’entente sur l’application d’intérêt sur les prêts ajournés durant la pandémie du COVID-19. Mais, comme toutes les décisions du Conseil de la concurrence, ce jugement reste préliminaire et peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, en appel comme en cassation.
Autre exemple, encore plus révélateur de l’implication de structures professionnelles : le Conseil de la concurrence a décidé le 21 octobre 2021 d’infliger une amende de plus de 10 millions de dinars à quatre syndicats professionnels et à 22 cliniques privées. Ces organismes ont été reconnus coupables d’avoir conclu un accord visant à augmenter les tarifs des interventions médicales et des opérations cardiovasculaires effectuées sur les assurés sociaux dans les cliniques privées. Alors qu’ils avaient été notifiés dès le 25 octobre 2018 d’une décision leur enjoignant de stopper toute augmentation de tarifs.
Dans un autre cas similaire, et plus récent en matière de violation des principes de la concurrence par une augmentation uniforme des prix sous la supervision d’une structure professionnelle légale, le Conseil de la concurrence a annoncé, le 17 janvier 2025, avoir pris une mesure conservatoire provisoire concernant la décision émise par l’Ordre des médecins. Cette mesure faisait suite à la publication, le 6 janvier, d’une hausse des tarifs des consultations et des interventions médicales. Le Conseil a ainsi enjoint à l’Ordre de suspendre temporairement l’application de cette nouvelle tarification jusqu’à ce qu’une solution définitive au fond du litige soit trouvée.
Le tribunal administratif a également condamné la Chambre nationale des conserveries alimentaires, dirigée par Samir Majoul, président de l’UTICA. Il a été établi qu’un accord avait eu lieu au sein de cette chambre, en 2014, pour augmenter simultanément les prix de 24 marques de tomates en conserve par les producteurs, faisant fi de la décision de l’Etat de libéraliser leurs prix.

Commentant ces décisions, le membre de l’ONG « Alert» estime que le Conseil de la concurrence, fort de son expérience, n’est plus dupe des stratagèmes utilisés généralement par les opérateurs économiques en Tunisie pour se partager le marché et s’entendre sur les prix.
Ententes et accords répréhensibles
Contacté par Nawaat, le juge administratif et ancien vice-président du Conseil de la concurrence, Mohamed Ayadi, considère que les ententes sur les prix sont préjudiciables aussi bien pour le consommateur que pour l’ordre public économique. C’est pourquoi le législateur tunisien interdit, dans l’article 5 de la loi n° 36 de 2015, les actions concertées, les alliances et autres accords, explicites ou implicites, portant atteinte à la concurrence. Dans ce cas, le Conseil de la concurrence doit prouver qu’il y a effectivement eu atteinte à la concurrence. Notre interlocuteur affirme à ce sujet :
Le Conseil de la concurrence est tenu d’adopter une approche économique permettant de démontrer que l’objet de l’accord est de nature à aboutir à des résultats portant atteinte à la liberté de concurrence. Par conséquent, la jurisprudence ne peut se contenter d’une lecture purement légaliste pour condamner l’entreprise mise en cause.
Poursuivant sa réflexion, Mohamed Ayadi souligne que les accords interdits, du point de vue du droit de la concurrence, englobent toutes sortes d’ententes, d’alliances et de collusion, explicites ou implicites, dont l’objet ou l’effet est de fausser la concurrence.
Pour prouver l’existence d’une entente ou d’implication dans des pratiques interdites par la loi –notamment l’accord sur les prix-, il faudrait, en premier lieu, établir la convergence des volontés de deux parties ou plus, dès lors les actions unilatérales menées par une seule entreprise, comme l’imposition d’un prix aux distributeurs, ne sont pas considérées comme un accord ou une entente.
La loi conditionne également la condamnation d’une entreprise pour la conclusion d’un accord anticoncurrentiel à l’entrave au fonctionnement normal du marché. Autrement dit, l’interdiction de tels accords reste soumise à la condition qu’ils entravent gravement la liberté de concurrence. Par conséquent, les accords conclus entre de petites entreprises qui occupent une petite position sur le marché, et dont la taille ne leur permet pas d’en compromettre les mécanismes, ne peuvent être considérés comme des pratiques anticoncurrentielles au regard de la loi.
Un autre élément que la loi sur la concurrence exige pour disqualifier un accord, c’est la notion de « libre arbitre ». Cela signifie qu’un accord dicté par des circonstances exceptionnelles ou imposé par l’État, ne peut être considéré comme illicite. Aussi, les filiales d’entreprises qui sont entièrement soumises à la volonté de la maison-mère, dépourvue de droit d’initiative ou de liberté de décision, ne peuvent être considérés comme des parties de l’accord. La responsabilité incombe alors à l’entreprise-mère.
Dans l’ouvrage intitulé « Le droit à la concurrence dans la législation et la jurisprudence » (en arabe), qu’il a cosigné avec le magistrat administratif Ghazi Jeribi, Mohamed Ayadi affirme que la participation à un accord ou une entente peut être établie par la simple présence d’une entreprise –ou de son représentant- aux réunions organisées sous l’égide d’une organisation professionnelle, pour débattre des sujets liés à ladite politique commerciale à adopter dans une conjoncture donnée. Et ce, même s’il est prouvé que ladite entreprise n’a pas appliqué la politique commerciale adoptée par les autres entreprises.
Des lacunes juridiques délibérées
En théorie, le Conseil de la concurrence agit comme un surveillant et un arbitre doté de pouvoirs juridiques répressifs, visant à garantir le respect des principes de la concurrence par les acteurs du marché. Mais en pratique, infliger des sanctions aux contrevenants sans disposer de mécanismes pour en assurer l’exécution vide l’institution ou la loi de leur substance, rendant leur impact purement virtuel et finalement inutile. C’est en somme le cas du Conseil de la concurrence et de la loi n° 35 de 2015 sur la concurrence et le contrôle des prix, publiée le 15 septembre 2015, dont l’inapplicabilité des décisions, concernant notamment les sanctions financières, est devenue la règle.
Le gouvernement d’Elyes Fakhfakh a été pratiquement le seul à avoir inscrit parmi ses priorités l’impératif d’aplanir les entraves qui empêchaient le Conseil de la concurrence d’assumer pleinement son rôle et de mettre en œuvre ses décisions. Elyes Fakhfakh avait énuméré toutes ces entraves le 14 juin 2020, lors d’une interview dans laquelle il avait aussi évoqué les lacunes relevées dans la loi sur la concurrence et les prix.
Entre 1991 et 2019, le nombre de condamnations émises par le Conseil de la concurrence s’élevait à environ 111, incluant les sanctions financières estimées à près de 35 millions de dinars. Or, seulement 4,5 millions de dinars ont été effectivement recouvrés, selon les données fournies par la Direction générale de la concurrence et des enquêtes économiques, et révélées par l’ancien vice-président du Conseil de la concurrence Mohamed Ayadi, au lendemain de l’entretien de l’ex-premier ministre.
A première vue, on pourrait imaginer que les entreprises en infraction sont les principales responsables de la non-exécution des décisions émises à leur encontre par le Conseil de la concurrence. Mais le problème est plus compliqué qu’une simple rebuffade. Il est lié à la nature même de la loi sur la concurrence et les prix et à ses lacunes juridiques, notamment en ce qui concerne le recouvrement des amendes.

La loi qui a suppléé celle de 1991 sur la réglementation de la concurrence et des prix n’est pas née d’une prise de conscience des lacunes législatives, ni d’une volonté de renforcer le rôle du Conseil de la concurrence. Elle a été plutôt rédigée et approuvée sous la pression de l’Union européenne, afin d’aligner les lois du marché tunisien sur les normes européennes. Cela permet de comprendre pourquoi elle contient de nombreuses failles et des lacunes frappantes qui ne peuvent en aucun cas être considérés comme une négligence de bonne foi de la part du Parlement, alors dominé par NidaaTounes et Ennahdha.
L’une des principales lacunes empêchant l’exécution des décisions rendues par le Conseil de la concurrence, est l’absence d’un organe clairement défini par la loi pour en assurer l’application. Comme l’explique Mohamed Ayadi :
l’article 44 de la loi sur la concurrence confère uniquement au ministre du Commerce, en collaboration avec les autorités compétentes, la tâche de prendre les mesures nécessaires pour suivre la mise en œuvre des décisions du Conseil de la concurrence (…). En d’autres termes, le ministère du Commerce, en tant qu’autorité de tutelle, est légalement chargé du suivi de l’exécution, sans être habilité à mettre en œuvre directement les décisions du Conseil de la concurrence. Celui-ci assume que son rôle se limite à l’émission de décisions, car dépourvu de pouvoir exécutif pour les appliquer. C’est d’ailleurs l’argument que les services du ministère du Commerce invoquent pour justifier leur inertie.
L’article 44 de la loi sur la concurrence ne définit pas clairement la responsabilité de l’exécution des décisions du Conseil de la concurrence, ni la partie habilitée à assumer cette charge. Cela a engendré des défaillances dans l’exécution, notamment en ce qui concerne les décisions du Conseil qui peuvent faire l’objet de recours devant le tribunal administratif –une juridiction qui n’a aucun lien avec le ministère du Commerce. Ce recours systématique au tribunal administratif est un moyen d’échapper aux jugements préliminaires du Conseil.
Les lacunes juridiques ne se limitent pas à l’absence d’un organe d’exécution des décisions du Conseil de la concurrence. Elles sont également dues à l’ambiguïté entourant la vocation même du Conseil, qui n’est pas clairement définie : s’agit-il d’une juridiction, d’un conseil ou d’une autorité de régulation ? Ce qui accentue cette confusion, c’est le fait que sur la forme, ses décisions commencent comme des jugements rendus «au nom du peuple tunisien», mais sans le sceau de la République.
La loi ne prévoit pas non plus de sanctions en cas de non-exécution des décisions du Conseil de la concurrence, qui font l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, lequel confirme systématiquement les décisions du Conseil. En effet, le tribunal administratif examine la forme et se déclare souvent incompétent pour statuer sur le fond des affaires d’infraction, qui relèvent exclusivement du Conseil de la concurrence. Les experts estiment que ces failles sont délibérées, visant à vider la loi et le Conseil de la concurrence de leur substance, et à consacrer l’impunité dans ce domaine.
Une proposition de révision qui ne s’attaque pas au fond du problème
Le 6 février 2025, plusieurs députés, pour la plupart non affiliés à des groupes parlementaires, ont présenté une proposition de révision de la loi de 2015 relative à l’organisation de la concurrence et les prix. Selon les informations recueillies, cette proposition bénéficie du soutien du ministère du Commerce et du Conseil de la concurrence, qui ont annoncé dans des communiqués conjoints qu’ils œuvraient à renforcer les dispositifs législatifs visant à protéger les consommateurs contre toutes les pratiques anticoncurrentielles telles que le monopole, la domination du marché et les ententes sur les prix.
Le bureau de l’Assemblée a transmis ce projet de loi, lors de sa réunion du 20 février 2025, aux deux commissions compétentes, à savoir : la commission de l’industrie, du commerce, des ressources naturelles, de l’énergie et de l’environnement, ainsi qu’à la commission de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, et de la pêche.
Cependant, selon la version initiale de la proposition de loi, les causes principales de l’absence d’application des décisions du Conseil de la concurrence et des sanctions qu’il impose aux contrevenants n’ont pas été abordées. Elle se limite à l’amendement des articles relatifs aux sanctions, en les durcissant par le doublement des amendes et l’introduction de peines de prison.
Pour sa part, le magistrat administratif Mohamed Ayadi estime que la meilleure solution pour consacrer le respect des principes de la concurrence et prévenir les pratiques anticoncurrentielles –notamment les ententes sur les prix-, consiste à reformuler l’article 44 de la loi en définissant clairement l’autorité chargée de mettre en œuvre les décisions du Conseil de la concurrence.
La révision législative devrait également permettre d’asseoir une véritable indépendance du Conseil de la concurrence vis-à-vis du pouvoir exécutif, en ce qui concerne la nomination et la révocation de ses membres, ainsi que l’établissement de ses besoins budgétaires. Elle devrait aussi permettre une clarification de son statut et de ses prérogatives, avec la possibilité de la doter du pouvoir de décisions de dérogations à l’application des règles de concurrence, une compétence que se réserve actuellement le ministre du Commerce.
Mohamed Ayadi estime enfin que la révision de la loi devrait aller dans le sens de la création de chambres judiciaires d’appel au sein du Conseil de la concurrence, tout en rendant exécutoires les décisions préliminaires du Conseil. Cela suggère que l’auteur du recours soit obligé de verser une partie de l’amende qui lui est infligée. Une proposition qu’il partage avec l’activiste Dhiaa Khalfallah.
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