Ces dernières semaines ont été marquées par la controverse suscitée par la campagne sécuritaire visant à réprimer la conduite sous l’effet de l’alcool. Plusieurs annonces ont été faites par la direction de la police de la circulation relevant du ministère de l’Intérieur, concernant l’utilisation de nouveaux tests de dépistage d’alcool pour les conducteurs.
Alcool et drogues : vers une généralisation des tests de dépistage dans l’espace public ?
La généralisation des tests de dépistage d’alcool devrait s’accompagner d’un changement de nature juridique pour certaines infractions au Code de la route, qui seraient désormais considérées comme des délits et feraient l’objet de procès-verbaux transmis directement au parquet, selon le général Sami Rchikou, directeur de la police de la circulation au ministère de l’Intérieur.
Du 1er janvier au 13 juillet 2025, 2 607 accidents de la route ont été enregistrés. L’alcool au volant a causé 42 accidents, 7 morts et 66 blessés.
Il est à noter que la conduite en état d’ivresse est passible d’une amende allant jusqu’à 500 dinars et de six mois de prison, ou de l’une de ces deux peines.
En cas d’accident avec dommages corporels, la sanction peut atteindre 3 000 dinars d’amende et trois ans de prison.
Si l’accident entraîne un homicide involontaire, la peine peut aller jusqu’à cinq ans de prison et une amende de 5 000 dinars, ou l’une des deux, selon les articles 89 et 90 du Code de la route.
Sami Rchikou a évoqué un projet de loi en cours de préparation, en collaboration avec le ministère des Transports, visant à encadrer l’infraction de conduite sous l’emprise de stupéfiants. L’objectif est de promulguer une législation fixant clairement les sanctions applicables, dans une optique plus dissuasive, dit-il.
La campagne concernera aussi les consommateurs de drogues, d’après le général Chamseddine El Adouani, chef du Bureau de coordination et de communication de l’Observatoire national de la sécurité routière. Il a déclaré qu’un dépistage systématique de l’alcool et des drogues sera bientôt généralisé dans les espaces publics, et donc pas uniquement réservé aux conducteurs.
Il a souligné que les stupéfiants abolissent complètement la conscience, et que le ministère de l’Intérieur est engagé dans une lutte acharnée contre les trafiquants. Il a ajouté : “Un conducteur sous l’effet de drogues vit dans un monde parallèle, ce qui le rend encore plus dangereux qu’un conducteur ivre”. Il a également précisé :
Nous allons adopter des tests rapides de dépistage des drogues, avec des résultats disponibles en 5 à 10 minutes. Et cette procédure ne visera pas seulement les conducteurs, car elle sera appliquée dans les espaces publics. L’alcool et les drogues comptent parmi les comportements les plus à risque.
Les autorités introduiront un nouveau dispositif basé sur l’analyse de la salive, à l’image de ce qui se fait dans les pays développés, a-t-il dit. Il a ajouté que le dépistage des stupéfiants ne sera pas une simple campagne de sensibilisation.
Il convient de noter que la fiabilité des tests salivaires pour la détection de la consommation de drogue dépend de plusieurs facteurs : la qualité du test, le type de substance recherchée, le délai écoulé depuis la consommation, ainsi que les conditions de prélèvement. Le risque de faux négatifs ou de faux positifs demeure, en particulier avec les tests rapides à bas coût.
En cas de résultat positif, un test de confirmation en laboratoire, généralement par chromatographie ou spectrométrie, est requis. Ces conditions restent pour l’instant peu claires.

Entre mesures sécuritaires et instrumentalisation politique : les dérives d’une lutte contre les stupéfiants
Quelques jours après ces annonces, l’Observatoire national de la sécurité routière a revu sa position. “Ce ne sont encore que des projets”, a précisé la colonelle Samia Massoud, cheffe du département de la communication routière de l’Observatoire, dans un entretien accordé à Nawaat.
Malgré la médiatisation récente de la lutte contre la conduite en état d’ivresse, celle-ci ne date pas d’hier. Massoud rappelle qu’une première opération pilote a eu lieu lors de la nuit du réveillon du 31 décembre. “Nous avons élargi l’expérience à Tunis, Sousse, Hammamet et bientôt Monastir”. Elle a indiqué que 15 % des 101 tests effectués à Sousse se sont révélés positifs.
Selon la représentante de l’Observatoire, le but est de sensibiliser à la dangerosité de la conduite sous l’effet de l’alcool :
Le test est effectué sur la personne, à qui l’on explique que ces appareils sont plus rapides que les analyses biologiques. L’objectif est de les sensibiliser au fait que la répression sera bientôt plus sévère.
Et pour cause : bien que l’usage de tests, en l’occurrence l’éthylotest et l’éthylomètre, soit en cours, il n’est pas encore entièrement validé par les autorités compétentes.
“L’usage de ces tests est encadré par le décret n°146 de l’année 2000. L’obstacle réside toutefois dans le fait que le ministère de la Santé n’a pas homologué le dispositif à utiliser. Il a précisé que cette responsabilité ne relève pas de ses compétences, mais de celles de l’Agence nationale de métrologie, rattachée au ministère du Commerce, chargée d’homologuer l’éthylotest”, a affirmé la colonelle.
Les tests en question se distinguent ainsi : l’éthylotest est un outil d’autocontrôle permettant de vérifier rapidement si l’on a dépassé la limite légale d’alcool. L’éthylomètre, quant à lui, est un instrument de mesure précis utilisé par les forces de l’ordre, dont les résultats ont une valeur juridique. Sa fiabilité est supérieure à celle de l’éthylotest.
Concernant l’alcool, le décret gouvernemental n°2016-292 de 2016 fixe le seuil légal à 0,3 g/l de sang pour les conducteurs ordinaires, et à 0 g/l pour les conducteurs débutants, les chauffeurs de poids lourds et de transport public.
Les vérifications du taux d’alcool sont effectuées “au moyen d’analyses et d’examens médicaux, cliniques et biologiques, ou au moyen d’un appareil permettant de déterminer le taux d’alcool dans le sang par l’analyse de l’air expiré, à condition que cet appareil soit conforme à un type homologué par les services spécialisés du ministère de la Santé publique”, stipule le décret n°146.
Or, ce n’est pas le cas actuellement, ce qui soulève des questions sur l’utilisation d’appareils non encore homologués.
Ce même décret précise que le refus de se soumettre au test est puni de six mois de prison et d’une amende allant de 200 à 500 dinars, ou de l’une des deux peines, en vertu de l’article 87 du Code de la route.
Les appareils sont actuellement importés et stockés, en attente d’une réforme autorisant leur homologation. Il en va de même pour les dispositifs de dépistage de drogues. Ces réformes doivent être votées par les députés.
“Le but n’est pas de restreindre les libertés mais de lutter contre les ravages liés à l’alcool et aux stupéfiants au volant”, insiste Samia Massoud.

Et de préciser : “C’est aux députés de fixer les modalités d’utilisation des tests de drogues et les personnes concernées”. Avant de conclure : “On ne sait jamais, cela peut être rapidement adopté”.
Lutte antidrogue : outil de propagande politique ?
Le président de la République, Kais Saied, a fait de la question des drogues un outil de communication politique. Dans le sillage de ses discours appelant à la lutte contre les stupéfiants, la répression des consommateurs s’est intensifiée.
“Il est vrai que certains barons du trafic ont été arrêtés. Mais il y a aussi un acharnement contre les petits consommateurs. On a vu des gens arrêtés pour une simple feuille à rouler ou un filtre en carton (‘cala’) trouvé dans un paquet de cigarettes”, déplore Nawres Zoghbi Douzi, coordinatrice de l’Alliance pour la Sécurité et les Libertés (ASL), dans un entretien avec Nawaat.
Cette campagne touche toutes les couches sociales, y compris les jeunes sans antécédents judiciaires, ajoute-t-elle.
Nawres Zoghbi Douzi s’interroge également sur l’autorité habilitée à effectuer ces tests, à savoir les agents du ministère de l’Intérieur, ainsi que sur l’usage des données ADN collectées et sur le degré de fiabilité de ces tests.
Elle exprime aussi son inquiétude face à l’approche quantitative adoptée par les forces de l’ordre en matière de répression, surtout dans un contexte où le pouvoir privilégie systématiquement des mesures sécuritaires.

En juin, le ministère de l’Intérieur a publié sur sa page Facebook un spot visant à sensibiliser les jeunes aux dangers de la consommation de drogues. Indépendamment de la qualité de la vidéo elle-même, le contenu reflète une vision réductrice de l’État en matière de lutte contre l’addiction.
Les consommateurs y sont présentés comme de potentiels criminels, des individus dangereux errant dans la société, ce qui ne peut que renforcer la stigmatisation à leur égard. Par ailleurs, les facteurs plus profonds expliquant cette consommation sont largement marginalisés.
Au-delà des enjeux relatifs aux libertés individuelles, la généralisation des tests de dépistage de drogues dans l’espace public pourrait ouvrir une véritable boîte de Pandore. Elle risque en effet d’alimenter les pratiques de corruption au sein des forces de l’ordre, dans un contexte où certains hauts gradés de la police sont eux-mêmes impliqués dans des affaires de trafic de stupéfiants.
Cette logique répressive porte également en elle le danger de discriminations systémiques, visant en particulier les habitants des quartiers populaires, déjà stigmatisés et surexposés au contrôle policier.
Alors que le phénomène de l’addiction gagne en ampleur, les centres spécialisés dans sa prise en charge restent extrêmement rares. La stigmatisation freine également les consommateurs dans leur accès aux soins. Face aux lacunes en matière de prise en charge sanitaire et socio-économique, la question se pose sur la véritable volonté du pouvoir dans la guerre qu’il prétend mener contre les stupéfiants.
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