Les événements de la révolution du 17 décembre 2010 en Tunisie ont occasionné des martyrs et des blessés un peu partout sur le territoire tunisien.
Suite aux pertes qu’ils ont subi, ces gens n’ont pas été sérieusement pris en charge par l’Etat. Ils sont délaissés et ils manquent de tout : de reconnaissance, de soins médicaux, de suivi psychologique, et de ressources.

Certains d’entre eux n’ont plus de revenus et ne peuvent plus subvenir à leurs besoins et à ceux des leurs (2 exemples : Montassar Ben Amor qui a reçu une balle au Kram le 13 janvier, travaillait à la STAM et a subi suite à sa blessure un licenciement abusif qui date du 17 juillet dernier, il ne reçoit aucun salaire depuis le mois de janvier et ce avec un enfant à charge et une femme qui va bientôt accoucher…et Faycal Hizi de Kasserine qui a été blessé par arme à feu le 9 janvier dernier, une blessure qui lui a causé une fracture ouverte du fémur gauche. Avant, il était chauffeur de taxi mais il ne peut désormais plus travailler, il a encore des séquelles, des problèmes de santé qui persistent, des contrôles médicaux incessants et des ordonnances extrêmement couteuses …)

Des particuliers ont essayé et essayent encore d’aider mais ces actions demeurent isolées, insuffisantes et irrégulières étant donné la multitude de dossiers et la complication des cas observés…

Au début du mois d’octobre dernier, la commission d’investigation sur les dépassements et les abus présidée par Maitre Taoufik Bouderbela a parlé de plus de mille dossiers de blessés parsemés un peu partout sur tout le territoire tunisien. Me Bouderbala a indiqué qu’un rapport préliminaire sur les résultats des travaux de la Commission, qui concerne la période du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, sera publié au début du mois de novembre. Mais il a ajouté que ce rapport sera publié probablement trois mois après cette date (c a d éventuellement en janvier ou en décembre 2012) en raison des spécificités techniques du travail de la commission.
Entre temps des gens sont morts, d’autres souffrent encore des suites de leurs blessures par armes à feux ou après avoir reçu des bombes lacrymogènes de plein fouet…Certains cas se compliquent et ces gens perdent leurs droits.

Dans la foulée, je vous cite quelques cas :

-Tarek Dziri a été atteint le 12 janvier au Fahs, une balle subsiste au niveau du poumon droit, il a encore des séquelles de fracture de la 7éme vertèbre dorsale, une fracture de la 6éme et et 7éme cote et une destruction partielle des poumons. Il ne peut plus travailler, il a un bébé de 2ans à charge, il est paraplégique et a encore des escarres sur le corps.

-Mohamed Hanchi le blessé qui a été atteint le 13 janvier à Hamam Lif par une balle qui a transpercé sa cuisse et s’est installé dans son bas ventre. Depuis, il est dans un état lamentable et se sent délaissé. Il sort tout juste d’un séjour passé au centre de rééducation de Jbel El West. Il vous en dira des nouvelles…
-Mohamed Jendoubi a été victime d’un tir par arme à feu le 13 janvier. Il a encore une balle logée entre la D3 et la D4. Son cas est toujours critique et il attend une prise en charge réelle de la part de l’Etat tunisien pour être éventuellement transféré à l’étranger. Des medecins en France ont redonné de l’espoir à Moufida sa jeune mère qui en a tellement besoin…

-Hassouna Ben Amor qui est originaire de la région de Ain Draham et qui vivait à Tunis où il était venu travailler.Il a reçu 3 balles le 15 janvier et il est mort le 27 Aout dernier après 7 mois a peu prés passés dans la solitude et le déni dans un hôpital régional à Jendouba. Il est mort dans des conditions sanitaires déplorables et des plus démunies…

-Hamdi El Bahri un jeune homme âgé de 16 ans et 8 mois est mort le 26 février en plein après midi dans la rue de Carthage, tué par les BOP alors qu’il rentrait de son travail…

-Mohamed Hanchi le martyr qui a succombé à la blessure par balle qu’il a reçue pendant les événements de la Kasba2…

-Maram Nasri une petite fille agée de deux ans et dix mois a recu une bombe à gaz lacrymogène le 9 janvier dernier pendant le carnage à Kasserine. Elle pendait aux bras de sa mère qui a elle aussi été touché par une balle au pied et le calvaire a démarré…

Et j’en passe…On ignore le nombre exact des cas pareils…

Dans le cadre d’une action citoyenne, on a couru à droite et à gauche pour essayer d’aider.

Notre action ultime fût une grève de la faim qu’un groupe de blessés accompagné de quelques activistes ont décidé d’entamer le 19 octobre dernier.
Les blessés grévistes de la faim furent les suivants :

-Rached Belarbi : Victime d’un tir par arme à feu le 13 janvier2010, sa moelle épinière a été touché et il a écopé d’une paraplégie, d’une incontinence et d’escarres avec toutes les complications qui en découlent… Rached doit absolument être pris en charge par l’Etat pour se faire soigner dans le meilleur service qui puisse exister en Tunisie et éventuellement à l’étranger.

-Montasser Ben Amor : Victime d’un tir par arme à feu le 13 janvier 2010, une plaie par balle qui lui a causé une fracture ouverte du fémur gauche.
-Wael Garrafi : victime d’un tir par arme à feu le 9 janvier 2010 à Kasserine, il a été amputé de la jambe droite, a recemment été opéré pour un nevrôme causé par l’amputation, il attend une prothèse et ses souffrances perdurent …

-Chokri Riahi : victime de 3 tirs par arme à feu. Il a en fait été touché par une rafale de balles au niveau des deux jambes le 14 janvier 2010 à Zaghouan et a été amputé de la jambe droite. Il garde encore des séquelles et doit se faire opérer demain.

-Walid Kasraoui : Victime d’un tir par arme à feux le 13 janvier 2010 au Kram, une plaie qui lui a causé une fracture ouverte. Il a un fixateur externe au niveau de la jambe droite et attend une greffe spongeuse. Il doit se faire opérer au début de la semaine prochaine.

-Zied Garraoui : Victime d’un tir par arme à feu le 9 janvier 2010 à Rgueb, a été opéré le 6 octobre 2011 suite à un traumatisme balistique du genou droit lui ayant entrainé un fracas ouvert de l’extrémité inferieure du fémur.

-Marouene Baaouéni : Victime d’un tir par arme à feu le 15 janvier 2010 à Sousse Cité Riadh, un tir qui lui a causé un traumatisme testiculaire bilatérale. Il s’agit d’un fracas testiculaire bilatéral.

Au cours de cette grève qui s’est déroulée entre le 19 et le 25 octobre dernier, les revendications des blessés et des activistes qui les ont accompagnés étaient claires. Ces derniers peuvent être ainsi résumées : la reconnaissance de la part de l’Etat (et pas seulement en érigeant un musée pour les martyrs) et de la part de la société civile, la prise en charge inconditionnelle, totale et réelle de la part de l’Etat tunisien pour eux et pour touts les blessés de la révolution qui ont donné de leurs vie pour une Tunisie meilleure et la réparation réelle, effective et intégrale des préjudices qui leurs ont été causés.

Cette réparation doit se faire à deux niveaux : économique et moral. La réparation doit être évaluée ‘in concreto” c à d en tenant compte de toutes les caractéristiques propres aux victimes et susceptibles d’avoir une influence sur l’indemnisation.

Au bout de six jours de grève, six jours durant lesquels ils ont encore payé de leurs santés et donc aussi de leurs vies et de leurs avenirs, le ministre de la défense a ordonné leur admission et leur prise en charge au sein de l’hôpital militaire à Tunis. Le jour même, mardi 25 octobre, Foued Mbazaa a signé un décret qui est supposé rendre leurs droits à touts les blessés et aussi aux martyrs et à leurs familles respectives.

L’admission des 7 blessés grévistes (en plus des deux autres que l’hôpital a accepté d’admettre notamment Mohamed Jendoubi et la petite Maram Nasri) dans l’hôpital militaire, est sur le plan concret loin de constituer une prise en charge réelle de la part de l’Etat et de l’institution militaire. Et on est encore tellement loin de la reconnaissance qui leur est due….

Le décret-loi n°97 portant indemnisation des familles des martyrs et des blessés de la révolution du 14 janvier 2011, évoque dans son article 6 la période couverte par ce texte. En effet selon cet article les martyrs et les blessés sont “les personnes qui ont risqué leurs vies pour la révolution, et qui sont décédées ou ont été victimes de préjudice corporel leur causant une infirmité, dans la période allant du 17 décembre 2010 au 19 février 2011 ». Et les personnes mortes (dont Mohamed Hanchi et Hamdi El Bahri) durant les événements de La Kasba2 alors ?? Quel statut ont-ils alors??

L’article 9 du même décret, définit les avantages accordés aux blessés de la révolution:

1. Droit à une pension mensuelle en cas d’infirmité corporelle évaluée à un taux déterminé par la commission technique du ministère des Affaires sociales. (Quel serai ce taux ??)

2. Droit aux soins gratuits dans les établissements de la santé publique et à l’hôpital militaire.

3. Droit à la gratuité dans les transports publics pour les blessés touchés par une infirmité.

Ce texte n’évoque point ni une éventuelle prise en charge de l’Etat dans des services privées ni une prise en charge pour qu’un blessé dont le cas n’a pas pu être soigné en Tunisie, puisse être transféré à l’étranger.

Par ailleurs, ce décret n’est concrètement toujours pas appliqué étant donné que son article 14 lie les procédures de son application à la promulgation d’un autre texte de loi.

On attend impatiemment les mesures qui vont être prises par le nouveau gouvernement.

Le dossier des martyrs et des blessés doit figurer parmi les dossiers les plus urgents qui doivent être traités. Indépendamment de la vie politique du pays, on ne peut passer à une nouvelle Tunisie sans prendre en charge les héros qui nous ont donné la chance même d’y songer.