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Pas de chariâa dans la nouvelle constitution tunisienne. Les médias nationaux et internationaux en ont fait leur une depuis quelques jours, présentant cette nouvelle comme une victoire démocratique. Pourtant, au regard du discours électoral d’Ennahdha avant les élections du 23 octobre, ce sujet n’aurait jamais dû faire l’actualité. Je m’explique.

Premièrement, la question de la chariâa n’a jamais été soulevée par les candidats officiels pendant la période électorale, ni par Ennahdha, ni par les autres partis, et tous les candidats de toutes les listes ont unanimement prôné l’instauration d’un état civil, qui protège les droits et les libertés. Mais la boîte de Pandore s’est rapidement ouverte après les élections. En maître du tour de passe-passe, Ennahdha vient en réalité de tester sa capacité à imposer des idées qu’elle garde cachées à l’électeur, et sort du sac une fois élue : elle a donc fait usage de duperie en matière électorale, en promettant une chose et en tentant son contraire, dès le pouvoir entre ses mains. À moins que ce stratagème, en flattant certaines forces extrémistes, ait eu pour objectif d’obtenir certains avantages de tierces parties ou puissances étrangères, comme certains milieux le laissent entendre. Elle fait maintenant une marche-arrière – sincère ou momentanée ? –, réalisant que certaines lignes rouges ne peuvent encore être franchies. Une chose est sûre : elle vient de tester en direct ses limites, et cerné l’état de la mentalité tunisienne.

Deuxièmement, en ramenant l’enjeu de la chariâa sur la place publique pour concéder au final le maintien de l’article premier de la constitution de 1959, Ennahdha se place dans une position assez confortable : cet article – ambigu et sans une influence directe sur la marche de l’état – bénéficie d’un large consensus et est considéré par plusieurs comme un dénominateur commun. On s’accommode de cet article, puisque la situation aurait pu être bien pire… Ce prétendu « recul », cette prétendue concession, sont dits être faits au nom de l’unité de la nation, pour préserver la paix et la cohésion sociales, et ne pas attiser les clivages. En réalité, cela a empêché un débat constructif, sérieux et rationnel sur la sécularité de l’état et de son étendue. Ennahdha marque ainsi une victoire symbolique sur les laïcs qui militent pour l’officialisation de la laïcité dans la constitution.

Troisièmement, cette manœuvre semble aussi avoir eu pour objectif de démontrer à l’aile radicale de l’islam politique en Tunisie qu’Ennahdha continue, malgré les promesses électorales, à œuvrer dans le sens de l’instauration de la chariâa comme source de législation, comme réclamé par plusieurs groupuscules fondamentalistes, mais que la mentalité tunisienne n’est pas encore prête. Ghannouchi, chef d’Ennahdha, a même déclaré que l’instauration de la chariâa est un projet qui demande une maturation et une conscientisation du peuple avant d’être mise en œuvre et proclamée comme système régissant la vie publique et la politique. Quant à l’aile dite modérée, en admiration devant Ghannouchi, elle doit être assez satisfaite pour le moment puisqu’elle soutient, à l’instar du chef d’Ennahdha, que nul ne représente Dieu sur terre – jusqu’à nouvel ordre –, et que, finalement, la chariâa demande d’abord beaucoup de préparation sur le terrain. Ce ne serait donc que partie remise, et requiert notre totale vigilance.

Finalement, ces faux débats et tergiversations concernant la chariâa dans la Constitution ont tout de même occupé la population et les médias pendant plusieurs semaines, le temps qu’Ennahdha procède à des nominations partisanes, dépourvues de transparence et de neutralité, dans plusieurs administrations publiques et dans le corps diplomatique, nominations difficiles à renverser entièrement après coup.

Il n’est pas sûr que, finalement, Ennahdha n’ait pas marqué des points, et pour longtemps.