Au moment des élections du 23 Octobre 2011, les attentes étaient grandissantes. Politiques, sociales, économiques, culturels, professionnelles. Légitimes. Au bout d’une année de « constituante », constitutive et symptomatique, dans tous les cas, essentielle, fondamentale et caractéristique d’un pays en (re)construction, qu’en est-il de notre « Culture »?

Mettre en place un raisonnement rétrospectif, sorte de cheminement prospectif et récapitulatif sur les Arts et la Culture de la Nation, semble essentiel pour mesurer la température d’une société en marche vers son Histoire.

Les hommes et femmes de culture ont de vraies professions. Pour en discuter, il faudrait d’abord considérer leurs métiers comme de véritables fonctions.

Sans le schéma classique de l’employeur et de l’employé, ces derniers sont dans un circuit de rôles et de charges vitales, et sont à la fois vecteurs et moteurs de la société, au même titre que n’importe quel citoyen tunisien.

Lors des séances plénières de l’Assemblée Nationale Constituante, l’on ne parle jamais (ou presque jamais) de culture et, surtout, de son évolution et de son devenir, autant législatif qu’intellectuel. Cependant, le citoyen est en droit, depuis un certain 23 Octobre 2011 d’exiger une culture de valeur et une culture des valeurs. Chaque citoyen tunisien, lors des premières élections « démocratiques » du pays, étaient en droit d’attendre et d’espérer autre chose que l’habituel pain rassis et l’habituel plat réchauffé auquel les précédentes dictatures l’avaient habitué.

La culture comme tous les autres éléments qui régissent et mouvementent notre vie a besoin de stabilité politique et sécuritaire pour réussir à évoluer dans un climat « normal », et s’épanouir dans un environnement sain.

Aujourd’hui, alors que les constituants n’ont toujours pas rédigé de constitution, et que cela tarde réellement à venir, du moins à s’annoncer comme action concrète et non comme une vague exhortation, où en est la Culture ?

Comment se porte le secteur des Arts et des Lettres, des artistes, des auteurs et des créateurs ? Où en sommes-nous par rapport aux réformes ? Actuellement, quelle est la perception du Ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine par les artistes, hommes et femmes de culture, et quelle est la perception des artistes par le public et le citoyen « lambda » ?

Mr Mehdi Mabrouk, 47 ans, Ministre de la Culture du gouvernement provisoire, a tout fait pour paraitre déterminé à faire bouger les choses, disons à purifier un système de corruption qui a touché jusqu’aux profondeurs de la culture. Un système mafieux qui a malheureusement fini par structurer pour diriger les nobles enseignes dédiées à l’Art, aux Lettres et à la Culture d’un pays.

Mehdi Mabrouk ministre de la culture. Crédit photo melekher.com

Quelques mois après la constitution du gouvernement et de sa troïka, suite aux résultats du scrutin du 23 Octobre 2011, Mr Mehdi Mabrouk, universitaire issu d’une liste « indépendante » mais d’affiliation et de sensibilité clairement islamiste, a délibérément fait parlé de lui, apparaissant sur divers plateaux de télévision, multipliant les entretiens journalistiques, affichant fièrement et non sans vergogne son intention, par exemple, de déclassement des terrains situés à Carthage par le clan de l’ex-président Ben-Ali à son profit, afin de les rendre constructibles.

Un Ministre apposant également son désir d’installer une politique culturelle dirigée principalement vers la décentralisation des manifestations artistiques, afin d’offrir aux régions oubliées de la Tunisie un droit : l’accès à la Culture. Etc…

Mr Mehdi Mabrouk alors plein de bonne volonté à casser les rouages d’un système injuste et archaïque. Pourtant, après l’écoulement de cette année post ANC, comme la plupart des Ministres qui forment le gouvernement provisoire de la Tunisie postrévolutionnaire, en perdant de sa légitimité et en s’essoufflant suite à une multitude de prédictions surréalistes voir mensongères, Mr Mehdi Mabrouk donne le sentiment à l’acteur culturel, artiste et citoyen tunisien, que tout n’est finalement qu’une histoire de rapt du pouvoir. L’appropriation accouchant obsessionnellement de l’usurpation.

De « Sit-in » restés ignorés jusqu’aux procès de société gratuits et infondés

Galerie Ammar Farhat. Une porte close de l'extérieur. Crédit Image : Salima Karoui | www.nawaat.org

Une des aberrations qu’a connue la société culturelle et intellectuelle tunisienne, reste celle de l’Université et de l’Académie touchée au plus profond de son essence. Le procès du Doyen de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, Mr. Habib Kazdaghli, reste une véritable ignominie pour la recherche scientifique, le développement de la pensée, l’évolution des connaissances et du savoir.

Sans entrer dans des bagarres intestines, sans mettre la faute sur telle ou telle partie, depuis les faits qui ont secoué la Faculté de la Manouba la précédente année universitaire, ceux qui opposaient les défenseurs du port du « Nikab » dans l’enceinte institutionnelle et ceux qui rejetaient cette possibilité, ces événements n’avaient et n’ont pas lieu d’être, car ils ont progressivement émietté l’objectivité, la neutralité et l’impartialité de l’Université Tunisienne, porteuse en son sein de futurs hommes et femmes de culture.

Justement, en vis-à-vis de tout ça, devant ce procès honteux qu’une justice injuste intente aux Arts et à la Culture, comme étant une branche siamoise à celle de l’Université, où se trouve la réaction et le positionnement du principal intéressé, le Ministre de la Culture ? Son conseil des sages ne se sent-il pas assez concerné par le devenir d’une réputation nationale : celle de l’Université ? La question se pose.

Pour ne pas passer du “coq à l’âne”, car les questionnements sans réponses relient ces volets d’apparence différente, le rassemblement et « sit-in » de protestation des architectes tunisiens, n’est pas passé inaperçu, sauf pour le Ministère de la Culture, qui doit sûrement se dire pour se rassurer que « l’Architecture » est un domaine qui concerne uniquement le Ministère de l’Equipement. Malheureusement et/ou heureusement pour lui, « l’Architecture » fait entièrement partie de ce que nous pourrions globalement appelés les « Beaux-arts ». De plus, le « Ministère de la Culture » est également « Ministère de la Sauvegarde du Patrimoine », et l’architecture est la génitrice de tout patrimoine quand s’opère l’héritage de cette dernière.

Alors, comment se fait-il que le Ministre de la Culture n’est pas été solidaire avec la cause des architectes tunisiens quand ceux-ci ont fait leur « sit-in » le 29 aout 2012, et ce même si le « sit-in » en question s’est mis en place devant le siège du Ministère de l’équipement. Encore une fois, la culture d’un pays et donc ses responsables étatiques, quand ils travaillent leurs dossiers en profondeur, en espérant et en projetant leurs réformes, se doivent de sortir de leurs sentiers battus afin de collaborer avec leurs branches certes comparables, mais complémentaires. .

Le 29 Août dernier, les architectes tunisiens, comme beaucoup de corps de métiers qui font la « Culture » de notre pays en cultivant l’un de ces piliers comme fondement et acquis, se sont retrouvés certes soutenus par la société civile, mais, abandonnés par le gouvernement.

Réunis sous un collectif avec pour tête organisationnelle, les architectes Ilyes Bellagha, Samir Ben Ayed, Med Sadok Chaieb, Mohamed El Ouaer et Lyes Zahaf, devant le siège du Ministère de l’Equipement, ces derniers protestaient contre la non-transparence du marché d’appel d’offre de construction des logements sociaux, en tant que logements préfabriqués, au total 20.000, et contre la mise à l’écart des compétences nationales dans le domaine, celle des architectes tunisiens, dans l’élaboration et l’assistance de quelques 10.0000 logements destinés aux situations les plus précaires.

Le principal désaccord entre le gouvernement étant que l’argumentation de celui-ci ne correspond aucunement avec la contre-argumentation du corps des architectes protestataires : d’un côté le gouvernement affirme qu’un état d’urgence (la Tunisie, état d’urgence ?) exige des réponses rapides voir immédiates avec des coûts maitrisés, et de l’autre côté les architectes rétorquent d’abord que l’état d’urgence reste à démontrer et qu’une telle réponse a été proposée en Algérie suite au séisme de 2003 et en Irak à la fin des affrontements.

Ils ajoutent, de plus, qu’ « un meilleur coût [puisque le gouvernement cherche le moindre coût…] ne peut découler que d’une étude comparative sérieuse, entre le procédé préfabriqué et le produit dit classique qui portent sur plusieurs paramètres dont la fiabilité et la durée de vie, l’adéquation avec la demande qualitative dans la catégorie ciblée (3 fois le SMIG), la flexibilité et la souplesse propices aux besoins de réaménagement et extensions futures ». Ce qui permettrait en somme de choisir selon des rapports fondés entre qualité et prix et non pas sur la base du prix uniquement.

Les objectifs de ses architectes, bâtisseurs de l’avenir et tunisiens engagés dans cette lutte, étaient de faire pression sur le gouvernement, à travers leur sit-in de protestation, afin qu’il transmette un dossier constitué d’argumentations objectives devant les commissions de la constitution, lors de la prochaine rentrée parlementaire. Evidemment, nous étions fin Août 2012 et chaque citoyen « normal » attendait alors une échéance constitutionnelle et électorale avant Octobre 2012….

Le dossier des constructions architecturales, en virevoltant entre secteur public et secteur institutionnel concerne la Culture et donc son Ministère de tutelle. Rappelons-nous, par exemple, cette « Cité de la Culture », indéfiniment en chantier sur l’Avenue Mohamed V restée plantée au milieu de notre paysage urbain quotidien et nous questionnant par là-même sur des faits et paramètres qui stagnent, demeurant comme pétrifiés par une fatale immobilité. Pour la « Cité de la Culture », comme pour la « Culture », rien ne change ou très peu.

Le Ministère de la Culture qui collabore et s’associe continuellement avec les mêmes structures, entre « Union », « Front », « Organisation », ou semblant de « Syndicat », systèmes circulaires dont certains pourris depuis le temps de Ben-Ali, devrait revoir ses fiches pour saisir que l’époque mauve est révolue et qu’elle a laissé place à une large palette chromatique. Au lieu d’organiser des réunions mensuelles pour cacher la vérité et contenter les esprits suspicieux, au lieu de signer des subventions et toutes sortes d’aide matérielle qui vont toujours aux mêmes personnes, il devrait regarder d’un peu plus près les factures artistiques émergentes, nouvelles et/ou confirmées, qui proposent autre chose que du « prêt à consommer », et qui sont surtout le vrai reflet des acquis de la révolution.

Considérons à ce sujet le cas du « Théâtre » tunisien. Depuis le 14 Janvier 2011, et progressivement, il s’est avéré critique, moderniste, progressiste, et un « ton » nouveau fut déclaré. Comme à l’accoutumée, et c’est ici le point le plus regrettable, le théâtre ne jouit pas ou peu de l’aide de l’état. Que ce soit sous forme de subventions, de parrainage, de collaboration ou de partenariat, c’est la vacuité totale et absolue de ce côté. Ce, pour les projets dits « différents », ou « alternatifs ». En somme, ce sont toujours les mêmes pratiques consensuelles et systématiques qui profitent du soutien ministériel.

Idem pour la « Danse », où ce que nous découvrons de partis pris intelligents restent de l’ordre de l’autofinancement, comme si c’était obligatoirement dans la continuité des choses. L’ensemble des chorégraphies tunisiennes contemporaines, accompagnées d’écriture scénique engagée, décloisonnée et iconoclaste, s’abreuvent dans les caisses des privées, des fondations, des mécènes et des amateurs de spectacles vivants.

Sur la même lignée, la « Musique » et ses festivités ont traversé les intempéries ministérielles avec beaucoup de surprises et d’inconvenances. Ici, la montagne a accouché d’une souris, car mis à part quelques festivals dits alternatifs (et heureusement) mis en place dans une Tunisie « nouvelle », avec une musique dite alternative, la réelle perdition et les vrais manques et besoins restés inassouvis, sont ceux de l’organisation réelle et palpable d’événements culturels dans les régions intérieures, les régions profondes d’une « Tunisie » qui ne les voient toujours pas.

A Rgueb, à Sidi-Bouzid, à Thala, ou à Kasserine, les quelques manifestations performatives et artistiques, comme une vraie possibilité d’un souffle pur, à travers « x » concerts et exhibitions, aux lendemains d’un 14 Janvier 2011 porteur, du moins prometteur, d’une délocalisation des énergies, n’ont pas perdurées. Elles n’étaient finalement que le fruit de volontés personnelles d’individus, (pour la plupart issus de la région où ils organisaient l’événement). Des régions où le chômage lourd et pesant se poursuit et augmente, où la haine de l’indignité se fait croissante. Multiples déséquilibres régionaux de nos régions oubliées.

Arts-Plastiques et Arts-Visuels : immersion en territoire inconnu

Le secteur des Arts plastiques et visuels est sans nul doute le secteur culturel qui a été le plus touché cette dernière année. En son sein, dans sa moelle. Fait certes anormal, mais quelque part logique et prévisible ; Nous sommes dans les arts dits « plastiques » ou « visuels », il s’agit directement de l’ « Image », soit du visuel concret. De facto, l’identité de la « Soura » (Image) est celle qui dérange et offusque le plus les fondamentaux religieux et/ou obscurantistes.

Rappelons nous de l’ « Abdellia », une affaire surréelle où l’artiste tunisien s’est carrément retrouvé en danger de mort, et sans aucune protection, mais également une situation où le citoyen tunisien qui n’a jamais visité une exposition, un musée, ou même tout simplement réfléchi sur l’art avec ses tenants et ses aboutissants, s’est retrouvé projeté de plein fouet en milieu étranger (artistes, création, expression, sacré, profane…) avec une terminologie ignorée jusqu’ici, et dans l’incapacité de l’utiliser pour déceler, ou décoder, le vrai du faux, le juste de l’injuste.

C’était le dimanche 10 Juin 2012, jour de la clôture du « Printemps des Arts Fair Tunis », dans la matinée, un huissier notaire mandaté par une association « salafiste », accompagné d’un avocat et d’individus d’apparence « salafiste », se présentent au « Palais Abdellia », à La Marsa, où a lieu la clôture de l’exposition, comme à l’accoutumée, et demandent expressément le décrochage d’œuvres exposées, sous prétexte que celles-ci portent « atteinte au Sacré ». Suite à cela, galeristes, artistes et société civile se rassemblent pour résister à ces inhabituelles menaces, et résistent devant ce nouvel ennemi : ils ne décrochent pas les dites œuvres.

Contre coup immédiat, un incroyable embrasement s’empare de la cité Marsoise, et de différents quartiers du grand Tunis, les ghettos extrémistes se permettent des violences et des saccages inouïs, sous couvert de la « défense et de la protection du Sacré ». Le couvre-feu est décrété.

Devant tout cela, face à cette désastreuse situation, Mr le Ministre de la Culture publie un communiqué où il se désolidarise complètement des artistes et se déresponsabilise totalement du « Printemps des Arts ». L’opinion publique s’appuyant sur les « raisonnements » des dirigeants gouvernementaux, accusent de manière infondée « les artistes-mécréants qui ont porté atteinte à l’Islam ».

Le porte-parole du Ministère de l’Intérieur continuera à soutenir ses mêmes propos, lors de la conférence de presse du mardi 12 juin 2012, appuyé dans son argumentation par le Ministre de la Culture, qui une fois de plus, lors de cette conférence, sème par ces dires la division au sein des acteurs culturels, au sein des artistes, au sein de citoyens tunisiens. Lors de cette conférence de presse le Ministre de la Culture va donc clairement condamner les artistes. Ce même Ministre qui n’a cessé de déclarer lors d’entretiens antérieurs:

« Aujourd’hui pas de tutelle sur la culture en Tunisie. La politique culturelle ne reflétera les orientations d’aucun parti et d’aucune idéologie. Pas question de restrictions concernant les créateurs et les acteurs culturels» (Décembre 2011).

Le Syndicat des Métiers des Arts-Plastiques a par la suite appelé à une mobilisation générale des artistes. Un rassemblement de protestation s’est alors organisé devant le Ministère de la Culture. Après deux heures d’attente, le Ministre de la Culture à daigné recevoir dans son cabinet une dizaine de représentants de la Culture, dont trois membres du bureau du Syndicat des Métiers des Arts-Plastiques.

Il niera par la suite avoir reçu le « Syndicat » alors que photos et vidéos de journalistes et de particuliers attestent du contraire. Lors de cette réunion voulue et exigée par les artistes pour rétablir la juste vérité, le Ministre de la Culture s’est engagé auprès de l’assistance présente de réparer publiquement l’ensemble des préjudices verbaux et moraux attentés aux artistes ayant exposés à l’Abdellia, ainsi qu’ à la totalité des autres artistes des différents corps de métiers artistiques, car c’est bien tous les secteurs artistiques qui ont été lésés.Le Ministre de la Culture, jusqu’à ce jour, n’a réparé aucun préjudice, et n’a présenté aucune excuse.

L’avancement négatif de la situation, la non-assistance et la non-protection du gouvernement actuel aux personnes agressées et menacées de mort, devant l’indifférence générale face à la propagation de la violence à l’encontre des artistes et acteurs culturels, prouve encore une fois, que ses membres actifs n’ont pas changé depuis la Révolution du 14 Janvier.

Ces mêmes individus qui ont promptement encouragé les manifestations artistiques passées de la Tunisie dictatoriale, et qui ne représente aucunement la sphère artistique tunisienne contemporaine et postrévolutionnaire. Celle qui défend un Art affranchi de ses geôles antérieures. Un Art non partisan, non gouvernemental, un Art apolitique. Un Art dont le maitre mot est la création pour la création, et non la création pour le pouvoir.

Il est donc malheureusement « normal » que lors de l’épisode de l’exposition au Palais Abdellia, extrêmement regrettable pour les artistes tunisiens, les figures responsables de la « culture », à travers différentes déclarations aux médias, et autres, n’ont pas défendu la cause des artistes menacés de mort, mais bien au contraire, s’est rangé du côté des associations islamistes et du gouvernement actuellement en place pour accuser les dits artistes d’ « atteinte au sacré », alors que ces derniers ainsi que leurs familles étaient dans une situation plus qu’angoissante, éprouvante et difficile.

Nous pensons qu’une organisation et/ou une structure artistique nationale, qui plus est gouvernementale et étatique, doit défendre ses artistes, contre vents et marées, et ne pas se rapprocher du pouvoir en vigueur pour s’en accorder les bonnes faveurs. C’est d’ailleurs pour cela que nombre de nos artistes ont totalement perdu confiance en de telles figures, « responsables », et estiment que ces dernières ne sont plus représentatives de leurs causes et besoins.

Surtout qu’à ce jour, multitude de dossiers restent indéfiniment ouverts et inconsidérés, comme une cicatrice qui ne se referme jamais. Par exemple, l’éternel problème de la commission d’achat liée au marché et à la redéfinition de la scène plastique, où les fragiles problématiques des questionnements autour des critères de choix et autour de la traçabilité et transparence des acquisitions de la commission d’achat restent des volets houleux, que le Ministère de la Culture tente inlassablement de dévier de sa ligne de route. Il y a une réelle remise en cause du mode de fonctionnement de cette commission d’achat, la majorité des plasticiens et galeristes l’affirment, et pourtant, une prochaine commission comme toutes les précédentes se prépare à faire sa rentrée 2013…

Autre contestation, celle de faire le tri entre les œuvres dites « muséables » (destinées à un Musée) et celles acquises pour « encourager les jeunes », sous forme de subventions et/ou d’aide à la « première œuvre » ou au « premier projet ».

La proposition de création d’un site ou blog où seraient inscrites toutes les informations concernant ces acquisitions (date, nombre d’acquisitions, nature de l’œuvre acquise, nom de l’artiste et du lieu d’exposition, montant exact, etc.) paraît également nécessaire, à l’instar du CNFAP (Centre National Français des Arts-Plastiques), ou d’autres centres de par le monde. Ce site pourrait également être un genre de portail où l’ensemble des œuvres des artistes tunisiens seraient visibles et retrouvables par le grand public, national comme international. Pareillement, dans un souci de transparence, avec un rôle de vigilance, l’on veillerait à l’écoulement illicite des toiles de Maîtres.
Malheureusement de ce côté-là aussi, le Ministre de la Culture et son staff paraissent comme atteints de profonde surdité.

Les volontés sont pourtant légitimes, l’on voudrait simplement créer des liens, des réseaux, des rapports avec ce Ministère, qui représente la Culture et tous les actants de la scène artistique. Il se doit d’être médiateur, d’assurer le relais, la coordination, et le lien entre ses protagonistes, en identifiant les points sur lesquels chacun trouve son intérêt.

Par ailleurs, le Ministère n’aide aucunement à passer l’information pour coordonner les vernissages, et encourager les professionnels afin que leurs vernissages n’aient pas lieu le même jour. Cela ne crée aucune dynamique, bien au contraire, les territoires finissent par empiéter les uns sur les autres.

Le Ministère de la Culture n’a pas su jeter les bases de pistes de réflexions d’intérêts communs, avec des actions concrètes dans l’intérêt de l’Art et de la Culture. Il n’a pas su rompre définitivement avec les méthodes et mécanismes du passé, en mettant en place des projets iconoclastes et inhabituels, comme celui d’expositions avec des artistes émergents lors de la révolution : vidéastes, street art, taggers, caricaturistes, rappeurs, etc., afin de leur donner une visibilité dans l’espace artistique, être dans l’investigation de ces jeunes artistes au lieu de s’atteler à diaboliser ces derniers.

A l’orée d’une année 2013 qui s’annonce encore plus éprouvante pour la Tunisie, l’Art et la Culture, comme tout autre secteur professionnel, a un réel besoin de liberté, dénué de toutes stratégies politico-médiatiques. Ici, il ne s’agit pas seulement de « liberté d’expression » qui, In fine, ne garantit absolument pas les droits et les libertés tant individuelles que collectives, et en dehors des décrets-lois 115 (liberté de la presse, de l’impression et de l’édition) et 116 (la haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle) qui restent toujours bloquées par Ennahdha, il y a la liberté de création des artistes et de réflexion des protagonistes culturels, qui ne se pose même pas.

De plus, les débats politico-culturels qui fleurissent de nos jours sur les supports médiatiques tunisiens, n’encouragent pas à la responsabilisation d’une liberté d’opinion car ils tombent, le plus souvent, dans une vision liberticide dénuée de tout fondement.

Comme pour cet état qui s’est auto-inculqué une mission, celle de protéger le sacré, et qui n’a fait que mettre en place, doucement et sournoisement, l’introduction de l’idée de « criminalisation de l’atteinte au sacré », sans définir au préalable la notion de « sacré ».

Un constat s’impose : le Ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine, a complètement lâché ses artistes car son rôle premier reste, et restera, celui de les protéger.

Une évidence : les associations culturelles à but culturel et à but non lucratif et les composantes de la société civile travaillent. Nous aurions justement attendu que l’actuel Ministère, comme de n’importe quel Ministère avant lui, nous aurions attendu une réelle prise de risque pour inventer ou réinventer des néo- structures capables de mettre en forme les aspirations post révolutionnaires des créateurs tunisiens. Bien au contraire, ce dernier s’est reposé sur des acquis pour la plupart erronés, et s’est encore plus stigmatisé en s’éloignant, exagérément, des artistes qu’il est censé défendre.

Pire, les artistes qui sont dans les régions intérieures de NOTRE pays sont encore plus marginalisés qu’avant ; la révolte du peuple tunisien n’a-t-elle pas mis en avant, comme une réalité indubitable, cette intolérable séparation entre les citoyens tunisiens ? Entre les artistes tunisiens ? Nous aurions voulu que le Ministre de la Culture donne l’exemple dans ce sens, au lieu de s’avérer être un soldat du lobby Nahdhaouiste.

Au final, malgré les actions politico-politiques du Ministère de la Culture, la culture tunisienne se porte bien, dans le sens où d’autres perspectives d’expression sont possibles, du moins dans l’intentionnalité des artistes. Leur désir de changement n’a rien à voir avec le Ministère et ce dernier, à fortiori, ne fait rien pour les y encourager, à part dans ces discours pompeux, et les réunions trimestrielles « pantomimes » qu’il organise pour chaque secteur.

Certes, quelques structures ont bougé, permettant au créateur d’évoluer vers des mentalités décloisonnées, libérées de leurs idéologies négatives. Toutefois, les artistes et créateurs ressentent perpétuellement un danger pour leur (notre) liberté de penser et le droit que nous avons à la mettre en application, partout et tout le temps.

Avec la menace extrémiste qui rôde, il s’agit surtout de batailler pour une « démocratie » tant souhaitée. L’extrémisme n’aura (peut-être) pas la peau de notre liberté. Soulevons ce point, durant toute cette année et des poussières qui nous séparent de la nomination d’Ennahdha au pouvoir, la pensée traditionaliste et religieuse n’aura pas eu son équivalent dans le domaine de la création, ce au niveau de l’intention des artistes et l’idée qu’ils se font de leurs pratiques et les droits qu’ils se donnent à la mettre en œuvre. Malgré les attaques verbales et physiques répétées des « salafistes », dans l’indifférence voir la totale complaisance d’un gouvernement trop permissif et trop indulgent face à leur violence, la religiosité et la politisation de la société n’aura pas eu raison des artistes tunisiens, dont certain d’entre eux se sont révélés plus subversifs que jamais.

L’artiste comme le citoyen tunisien veut définitivement rompre avec les méthodes du « passé ». Car, à l’instar de notre révolution populaire, nous souhaitons fortement une révolution culturelle. Et ce n’est que par la porte de la réelle transformation, de l’innovation et du revirement situationnel que cela pourra se faire dans une Tunisie… qui se cherche, encore.

Selima Karoui.