L’été de tous les dangers

Le pouvoir tunisien répond à la révolte populaire massive du bassin de Gafsa par un quadrillage militaire, des arrestations et des tortures. Notre solidarité est indispensable.

Redeyef, Oum Larayes, Metlaoui, Feriana… La révolte des chômeurs, des jeunes et des populations, faisant suite à un résultat de concours jugé frauduleux, s’est étendue à tout le bassin minier de Gafsa, dans le sud-ouest de la Tunisie (lire Rouge n° 2249). La répression, seule et unique réponse du pouvoir aux revendications, a étouffé dans l’œuf toute velléité d’en découdre ouvertement : exécutions sommaires extrajudiciaires, blessures par balles, maisons éventrées, arrestations en série et, pour finir, le déploiement de l’armée à Redeyef.

Cette répression visible se poursuit maintenant par des détentions au secret, accompagnées d’aveux extorqués sous la torture. Les familles des personnes arrêtées sont elles-mêmes harcelées. Des dizaines de jeunes gens ont été déférés devant le tribunal de première instance de Gafsa, condamnés à des peines allant de la simple amende à quelques mois de prison. Mais, à l’arrivée de l’été, le juge a eu la main de plus en plus lourde. Le 3 juillet, quatre jeunes ont ainsi été condamnés à deux ans et sept mois d’emprisonnement. Cette escalade augure mal des condamnations qui attendent les syndicalistes de l’enseignement de base de Redeyef, tels Adnane Hajji, Béchir Labidi, Adel Jayar, Taïeb Ben Othman ou Tarek Halaïmi, arrêtés ces derniers jours. L’été pourrait être mis à profit pour les condamner à des peines beaucoup plus lourdes.

La solidarité avec les populations du bassin minier et les jeunes incarcérés vient des habitants eux-mêmes qui, en dépit de l’état de siège, multiplient les initiatives. Elle est le fait aussi des avocats, qui viennent, par dizaines, plaider au tribunal de Gafsa, et de la société civile, qui manifeste son soutien de manière dispersée. Enfin, des dizaines de syndicalistes ont manifesté à trois reprises, au mois de juin, à Tunis, devant le siège de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), exigeant de leur centrale un soutien réel aux syndicalistes. L’UGTT n’a toujours pas exigé leur libération. Les manifestants demandent la mise en place d’un comité syndical de soutien à la hauteur des exigences, des luttes et des sacrifices consentis par les populations du bassin minier. Ces exigences s’adressent aussi à l’opposition, qui ne s’intéresse qu’aux scrutins législatif et, présidentiel de 2009, à l’exception du Parti démocratique progressiste (PDP), du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) ou de quelques formations nationalistes arabes.

Le mouvement de masse du bassin de Gafsa dure depuis six mois. La population de cette région a une tradition de lutte qui remonte à la colonisation [1]. Le mouvement actuel est sans équivalent dans l’histoire récente de la Tunisie. Il faut remonter à février 2000, avec la mobilisation des lycéens et des jeunes chômeurs dans le sud du pays, pour trouver un mouvement d’une telle ampleur.

Ce mouvement est encore émietté. Sa réunification permettrait la jonction entre les luttes sociales et les luttes démocratiques dans le combat contre la dictature, et elle serait le seul espoir d’en finir avec cette dernière. La solidarité internationale, au moment où Sarkozy et Ben Ali s’apprêtent à renforcer leur collaboration criminelle lors du lancement de l’Union pour la Méditerranée, sera décisive. La première échéance est le meeting de solidarité avec les luttes au Maghreb, organisé le 10 juillet à la Bourse du travail à Paris [2].

1. En mars 1937, par exemple, une grève des mineurs a été violemment réprimée par le gouvernement de Front populaire, faisant dix-sept morts chez les mineurs.

2. De 18 h à 20 h 45 au 3, rue du Château-d’Eau, Paris 10e, M° République. Appelé par : Solidaires, FSU, CNT, AMF, ATMF, FTCR, CRLDHT, Cedetim, Attac, Syndicat de la Magistrature, ATF, Comité de soutien aux habitants du bassin minier de Gafsa-Paris, Les Verts, PDP, PCOT, PCF, LCR, Les Alternatifs…

Luiza Toscane | Rouge n° 2260, 10/07/2008