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Développement durable et énergie solaire

Dans un récent article paru sur Nawaat, sous le titre : « Tunisie : Et la révolution du développement durable, c’est pour quand ? », Mehdi Oualha présente les réformes essentielles à adopter par la Tunisie en matière de développement durable. Ces réformes ont pour but de se conformer aux standards internationaux de 1987 formulés par le rapporteur des Nations Unies Brundtland. Brundtland définit le développement durable comme un «développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ».

Indépendamment de ses aspects environnementaux, sociaux et économiques, le secteur de l’énergie est l’attrait principal des investisseurs étrangers en Tunisie intéressés par l’exploitation des ressources naturelles du pays, principalement le gaz, le pétrole et, plus récemment, l’énergie solaire.

Stratégie énergétique : le gisement du solaire à explorer

L’énergie solaire, dont le potentiel en Tunisie est important, doit être beaucoup plus valorisée qu’elle ne l’est aujourd’hui…Un encouragement ou imposition des installations photovoltaïques et de chauffe-eaux solaires dans les bâtiments collectifs est aussi à envisager. Ceci permettra notamment de contrer les pics de consommation observés, en été, à cause des climatiseurs individuels et la hausse de la consommation des réfrigérateurs. Des projets pilotes doivent, également, être encouragés dans les établissements publics.
« Tunisie : Et la révolution du développement durable, c’est pour quand ? » Mehdi Oualha, Nawaat.

La Fondation Desertec et le projet TuNur

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« Le soleil tunisien éclairera les foyers européens, d’ici à 2016 » Desertec Foundation

Dans son article, Oualha cite l’intérêt particulier porté par l’Allemagne dans le développement de la production énergétique en Tunisie, et ce, dans un but d’approvisionnement du marché européen.

La fondation Desertec, en collaboration avec l’association allemande du Club de Rome, est un réseau à but non lucratif basé à Berlin et composé de « politiciens, universitaires, et économistes ». Cette fondation a développé le concept d’ « énergie propre tirée des déserts », concept qui semble être aujourd’hui la source des projets énergétiques développés en Tunisie. Le 14 janvier 2012, la Fondation Desertec, annonce, d’ailleurs, dans un communiqué de presse que : « le soleil tunisien éclairera les foyers européens, d’ici à 2016 ».

La vision de la fondation Desertec pour un avenir où les déserts du monde fournissent de l’énergie propre et durable à l’ensemble de l’humanité est en train de prendre forme. L’avenir commence dans le désert du Sahara de la Tunisie avec un projet intitulé TuNur.

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« La fondation Desertec prend en charge le projet TuNur et estime qu’il peut servir de modèle pour le développement éolien et solaire au Sahara ». Alors que le langage du communiqué de presse peut paraître assez familier (tel que la phrase d’accroche rappelant les amorces des contes des “Mille et une nuits”), le communiqué de presse de la fondation Desertec s’écarte de la dimension classique de la communication sur les sujets énergétiques, dans le sens où il détaille les perspectives d’implications économiques locales d’un tel projet, s’éloignant des vagues allusions auxquelles de telles sociétés nous ont habitués.

L’investissement bénéficiera principalement aux régions du sud et de l’intérieur du pays, qui sont un secteur prioritaire de développement pour le gouvernement tunisien.
Le nombre d’emplois créés directement et indirectement à travers les projets de construction et d’exploitation sur toute la période est estimé à environ 20 000 emplois. En s’appuyant sur des partenaires, des gestionnaires et des sociétés d’ingénieurs locaux, ce projet permettra la création de nouvelles industries manufacturières. Par exemple, quelques 825 000 plaques plates de miroirs et structures en acier seront nécessaires pour un projet de 2 Gigawatt. Tout ce matériel peut être fabriqué localement.

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Fondée en novembre 2011, TuNur Ltd. est un réel partenariat sud-nord entre un groupe d’investisseurs tunisiens dirigé par TOP Group et Glory Clean Énergie (50%) et la société britannique Nur Énergie qui vise à développer le premier projet d’exportation d’énergie solaire entre la Tunisie et l’Europe.
Site de TuNur Ltd.

Entre les sites web de la TuNur fondation Desertec et de Nur Énergie, un trop-plein d’informations nous parvient, que ce soit sur les actionnaires, le projet de développement ou encore les aspects techniques. Cependant, depuis la publication du communiqué de presse de la fondation Desertec en 2012, repris en cœur par les médias tunisiens (la Presse, le Maghreb, Tunisialive, Nawaat…) et internationaux, rien de nouveau n’a filtré sur ses réalisations et son développement futur.

L’article le plus récent, publié en février 2013 par «The Energy Industrie Times » avance :

« Selon le calendrier actuel, l’ingénierie du projet ainsi que son consortium seront prêts pour la seconde moitié de 2014, et une clôture du budget total pour la première moitié de 2015. » Le même article rapporte que « L’apport en investissement de plusieurs banques sera la pierre angulaire de ce projet. Ainsi, la Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale se sont d’ores et déjà engagées, activement, dans l’évaluation du projet. Il est à noter que des discussions ont commencé avec les banques commerciales et des investisseurs intéressés ».

Ces deux points d’une importance capitale concernant l’évolution, mais aussi le financement du projet, amènent plusieurs interrogations. Nawaat a contacté, à la fois, la fondation Desertec et la Nur Énergie afin d’avoir plus d’informations. Voici les questions que nous leur avons posées et les réponses que nous avons reçues de la part de TuNur :

1 Quelles sont les évolutions du projet depuis que la Fondation DESERTEC a annoncé son approbation du projet en janvier 2012 ? Selon l’article « Énergie Outlook », sur le site Nur Energie, «l’ingénierie et le consortium du projet seront prêts dans la seconde moitié de l’année 2014, avec une clôture du budget prévue pour la première moitié de 2015». Où en est-on aujourd’hui ?

– Depuis 2012, TuNur a achevé des étapes significatives dans le projet :

La fondation Desertec a réétudié le projet TuNur et a confirmé que celui-ci répondait à ses principes, et l’a donc pris en charge en 2013. De plus, le projet a été, tout d’abord, validé par la Commission des grands projets du ministère du Développement et de la coopération internationale. Par ailleurs, un nouveau projet de loi sur les énergies renouvelables autorisant leurs exportations a été approuvé par la commission de l’énergie au sein de l’Assemblée et doit passer sous peu en plénière. Cette loi permettra l’implémentation du projet TuNur, à travers un contrat de concession avec le gouvernement tunisien.

Concernant le côté financier, la Banque Africaine de Développement a exprimé son intérêt pour un projet de co-développement, dont elle souhaite être une facilitatrice dans le financement. De plus, le projet est soutenu par un des plus grands fonds britanniques pour l’énergie solaire, la Low Carbon Ltd, qui est l’actionnaire principal de Nur Energie.

Concernant le côté commercial, nous avons reçu une offre d’achat de principe d’électricité d’une des plus grandes compagnies européenne dans le domaine pour 500MW.

Enfin, concernant le volet technique, nous avons 7 firmes qui sont intéressées pour être nos partenaires, que ce soit en matière d’ingénierie ou de gestion.

Il est à noter qu’au vu de la situation politique en Tunisie et du changement de gouvernement ayant été opéré, le calendrier a rencontré quelques retards. Ainsi, la construction a été retardée à 2016 et les opérations commerciales débuteront en 2018.

2 Pourquoi choisir l’exportation de l’électricité vers l’Europe au lieu de la destiner aux Tunisiens ? De toute évidence, le fait que «la loi tunisienne empêche toute entreprise, autre que le fournisseur d’électricité de l’État, de la vente d’électricité dans le pays » répond à cette question. Mais cette perspective d’exportation de l’électricité produite aurait-elle été une priorité, si la loi était différente ?

– TuNur est intéressée par la production d’énergie solaire pour le réseau énergétique local, et nous avons même proposé d’offrir un pourcentage de la production destiné à approvisionner le réseau local. Sauf que la loi tunisienne ne le permet pas, la STEG ayant un monopole sur la question.

L’électricité solaire est encore plus chère que l’énergie traditionnelle. En s’insérant dans le paysage énergétique tunisien, TuNur contribuera à faire baisser sensiblement les prix de l’électricité solaire, à travers des offres plus compétitives et meilleurs marchés pour les habitants.

3 Dans quelles mesures le climat incertain entourant la transition démocratique a-t-il affecté l’évolution du projet ? Dans plusieurs projets impliquant des investisseurs/entreprises étrangères en Tunisie, les développements de projets sont gelés ou retardés en raison de l’inefficacité bureaucratique/administrative. Est-ce aussi une raison expliquant les retards de la mise en place dudit projet ?

– Nous sommes persuadés que la révolution a eu un impact positif sur le pays, principalement en ce qui concerne le développement régional, mais aussi au niveau du dialogue et de la transparence avec de nombreuses institutions étatiques. Nous comprenons que le processus démocratique est un long cheminement, et restons confiants dans le fait que la Tunisie réussira à passer cette étape et fera tomber les barrières qui minent les investissements, comme la bureaucratie et la lenteur administrative. S’il y a eu des retards, cela est dû aux changements de gouvernements successifs et donc à l’absence de continuité et d’un interlocuteur fixe.

4 En ce qui concerne le financement du projet : la Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale sont-elles encore actives dans le projet ? Y a-t-il d’autres institutions impliquées dans le projet ?

– La Banque Africaine de Développement nous a récemment démontré son intérêt pour être co-développeur du projet et contribuera à trouver des financeurs à travers les 50 fonds africains à sa disposition.

La Banque Mondiale a toujours encouragé ce projet, particulièrement, à travers une de ses institutions : l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements.

Nos principaux partenaires sont : Nur Energie (développeur de projet en énergie solaire britannique), la Top Oilfield company (groupe d’investisseurs tunisiens dans le domaine du pétrole et du gaz) et Low Carbon (un des plus grands fonds britanniques d’énergie solaire). Nous sommes encore en discussion avec d’autres sociétés afin qu’elles rejoignent ce consortium.

La Krannich Solar Maghreb

Malgré le fait qu’elle soit le plus petit pays du Maghreb, l’énergie photovoltaïque est l’une des plus précieuses ressources de la Tunisie. Grâce à sa situation géographique, cette région d’Afrique du Nord reçoit un rayonnement solaire élevé. (1.600kWh/kWc à El Menzah, 1650kWh/kWc à Carthage et 1.720 kWh / kWp à Djerba), ce qui la rend un véritable paradis pour les entreprises spécialisées dans l’énergie photovoltaïque.
Communiqué de presse, le 14 Juillet 2014, Krannich Solar

Plus récemment, une autre entreprise allemande, la Krannich Solar a mis en avant le potentiel photovoltaïque de la Tunisie.

Selon le communiqué de presse publié par la société à travers sa section Maghreb, installée en Espagne :

« Quatre installations d’énergie solaire pour autoconsommation photovoltaïque ont été inaugurées récemment par la société Fayzer North Afrique en Tunisie. Le fournisseur de matériel photovoltaïque Krannich Solar s’est chargé de distribuer les panneaux solaires LuxorEcoLine 60/250W et les onduleurs photovoltaïques SMA utilisés. »

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Fayzer North Africa/Krannich Solar Photovoltaic Installations in Tunisia (as of 14 July 2014)
Données : Communiqué de presse de Krannich Solar en date du 14 Juillet 2014
Lieux Energie Production solaire annuelle Emissions annuelles de gaz carbonique
El Menzah 5kW 6.930kWh 6.8 tonnes
Carthage 3kW 4.200kWh 4 tonnes
Djerba 2.2kW 17.560kWh 17 tonnes
Medenine 2kW 17.560kWh 17 tonnes

La différence notable entre le projet Desertec/Nur Énergie et celui de la Krannich Solar en Tunisie est l’adresse de la production d’énergie solaire. Alors que les premiers affirment, explicitement, que l’énergie solaire servira à alimenter les pays européens, les seconds, eux, semblent vouloir répondre aux besoins de croissance en énergie de la Tunisie. Citant des données de l’Office de l’Économie et du Commerce de l’ambassade d’Espagne à Tunis, Krannich solar rapporte que le gouvernement tunisien vise à installer 36MW de puissance photovoltaïque d’ici 2016. Il faut rappeler qu’en 2011, la première usine génératrice d’énergie, à travers les panneaux photovoltaïques, a vu le jour avec une capacité de 25 MW.

Un manque de transparence et de collaboration :

Ce qu’ont en commun ces deux projets (mis à part le fait que les deux sociétés sont allemandes, ce qui est normal quand on sait que l’Allemagne est le premier pays a avoir développé l’énergie photovoltaïque), c’est la visibilité et la transparence offerte au public, à travers des sites internet détaillés, des vidéos explicatives, des informations concises et claires, et cela mis en avant par une stratégie de communication, savamment, orchestrée. Par contre, là où il y a un souci de transparence, c’est au niveau des sociétés tunisiennes impliquées dans ces projets : Top Oilfield Service n’apparaît même pas comme contributeur du projet TuNur, tandis que Global Clean Énergie ne semble même pas avoir de site internet.

Ce manque de transparence explique à n’en pas douter l’inefficacité bureaucratique et administrative, le manque de coopération et surtout l’absence de réponse à des partenaires potentiels que peuvent être les investisseurs et les consommateurs.

En se référant à la Desertec Industrial Initiative (DII), Mehdi Oualha écrit dans son article sur le développement durable :

La lenteur administrative, dont souffrent les industriels et que mentionne la Dii, doit être combattue pour promouvoir ce genre de projets innovants. Cependant, il a été étonnant de voir l’UGTT pousser à des réclamations d’exclusion du secteur privé, dans le cas particulier des énergies renouvelables, sans réelle prise de recul ni démarche scientifique d’évaluation dans un semblant de bras de fer pour montrer qui commande.

Lors de son approbation du projet TuNur en 2012, la Fondation DESERTEC a identifié la même qualité d’exclusion, qu’elle a attribuée, spécifiquement, à la Société «publique et non administrative» Tunisienne de l’Électricité et du Gaz (STEG) qui est affilié au ministère de l’industrie, de l’Énergie et des Mines : « Le rôle de la STEG, comme un monopole public de l’électricité, doit être de mieux collaborer avec les initiatives privées. »

Au cours des dernières années, les partenariats dans le secteur de l’énergie, en Tunisie, se sont souvent caractérisés par une opacité grandissante. Entre manque d’informations, absence de rapports détaillés et défaut de couverture médiatique, c’est tout un secteur qui vit, aujourd’hui, dans une certaine forme de fantasme, plus ou moins avérée. In fine, tel que décrit par Mehdi Oualha dans son article, la production d’énergie solaire, aujourd’hui, la Tunisie gagnerait à mieux s’inspirer des préceptes du développement durable afin de parvenir à un équilibre rationel entre exportations et autoconsommation. De plus, et comme le rappelle fort justement Mohamed Samih Beji Okkez de Nawaat, dans un précédent article, cela contribuerait fortement à développer une industrie et un marché générateur d’emplois dans des régions économiquement et socialement marginalisées du pays. En offrant leurs expertises et leurs savoir-faire en matière d’énergie renouvelable, Desertec, Nur Énergie et Krannich Solar insufflent une dynamique nouvelle, à la Tunisie, dans ce secteur faisant du pays « la source lumineuse du monde arabe », avant de devenir bientôt « la source lumineuse des pays européens ».