Les impacts néfastes sur l’environnement à Borj Chakir sautent aux yeux. Un impact olfactif en provenance des odeurs de la matière organique en décomposition et celles des lixiviats étant insalubres et désagréables, et, un impact visuel sur les sols corrompant la végétation et contaminant la nappe phréatique de la zone.

Témoignages recueillis par Nour El Houda Chaabane et Yassine Bellamine ; Images par Ahmed Akari et Tarek Chouiref ; montage Tarek Chouiref.

Le lixiviat est le liquide résiduel toxique résultant de la dégradation des déchets organiques et de leur percolation avec l’eau. L’enfouissement des déchets produit également du biogaz. Ces sous-produits sont chargés de substances organiques et minérales produisant des pollutions diverses. Ainsi, ces substituts, à l’origine des odeurs pestilentielles, sont réputés porteurs de composés aromatiques cancérigènes.

Dès la phase de dépôt, les mauvaises odeurs se dégagent du casier de déchets et des bassins de lixiviat et se font sentir dans un rayon de plus de 500 m de la décharge.

A l’intérieur de la décharge de Borj Chakir, il existe des bassins de lixiviat pour une capacité totale de 400 000 mètres cubes. Habituellement, les lixiviats doivent être traités, éliminés et strictement contrôlés étant donnée leurs effets funestes sur l’environnement. Cependant, à Borj Chakir les bassins de rétention de lixiviat se trouvent en pleine nature et à ciel ouvert. Et selon le témoignage d’un habitant, le lixiviat serait reversé directement dans les cours d’eau. De son côté, PDG de l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANGED), monsieur Habib Omran nous a affirmé :

Nous faisons le traitement de quantités énormes de lixiviat tous les jours, pour éviter d’éventuelles contaminations. Nous avons éliminé jusque-là 8 bassins. Les 5 restants seront définitivement éliminé d’ici le mois de Juin 2015.

Ostensiblement, depuis 2004, le nombre de bassin de lixiviat a augmenté considérablement (voir animation ci-dessous). Ainsi, aucun bassin n’a été éliminé. C’est à partir de l’an 2015 qu’on a commencé à s’en débarrasser efficacement.

Les casiers d’enfouissement devraient être équipés par des membranes de protection afin de préserver les sols et les nappes phréatiques. Habib Omran, nous a confirmé que « les casiers sont protégés par une géo-membrane étanche qui entrave la pollution des sols et de la nappe ».

Néanmoins, cette protection n’est pas durable. Elle n’est valable qu’au début de vie de la décharge, étant donné qu’il n’existe pas de matériaux synthétiques à durée de vie infinie. Ce qui veut dire que la pollution est juste déplacée dans le temps, et que la contamination est inévitable.

Morched Garbouj, le président de l’association SOS BIAA affirme la dialectique. Il nous assure également que depuis les années 2008 et 2009, des études sur les puits des zones environnantes ont été réalisées par le ministère de la Santé, et sur ce, ils ont condamné maintes puits.

Habib Omran, lors de son intervention nous a assuré qu’il y’a une couche imperméable d’argile de 120 m d’épaisseur, ce qui fait que la contamination de la nappe phréatique est improbable. Morched Garbouj de SOS BIAA présage que :

La nappe phréatique n’est pas profonde. Elle devrait être protégée. Elle est de 12 à 15 m de profondeur. La contamination de la nappe et des sols aux alentours de la décharge est indéniable.

L’étude d’impact avancée par l’ANGED semble être faite juste sur le périmètre restreint de la décharge. Les effets sur l’environnement et sur les habitants avoisinants ne sont pas mis en considération.

Lors de la période hivernale, ces bassins débordent sur les terres voisines, autrefois agricoles, et plongent tout le village dans les cours d’eau mélangés de lixiviat.

D’après Morched Garbouj, cette contamination est déposée sur un rayon de 3 kilomètres autour de la décharge.

A propos du déversement manifeste du lixiviat lors de la dernière période de crue, c’était un accident causé par la forte pluviométrie. Dès que les acteurs de la société civile nous ont prévenus, nous nous sommes intervenus directement sur les lieux pour arrêter ce flux. Nous avons exigé la remise en marche prompte de la station de traitement qui était en panne…A l’intérieur de la décharge il y a déjà une station de traitement des lixiviats, et nous avons renforcé sa capacité par une autre station mobile, Habib Omran.

De son côté, Morched Garbouj a affiché son scepticisme quant à l’efficacité des stations de traitement : « oui, il y’a toujours une station de traitement de lixiviat dans toutes les décharges. D’ailleurs pour nous c’est une boite noire que nous ne pourrons pas y accéder. Mais là il y’ a des points d’interrogation : Est-ce que ces stations sont fonctionnelles ? Si elles fonctionnent, à quelle capacité ? Quelles performances ? Quelle est la qualité des eaux traitées déversées ? »

Visiblement, la station de traitement ne couvre pas les quantités énormes de lixiviat déversées tous les jours. Les images satellites et les vidéos le prouvent clairement.

Technique d’enfouissement hors norme

D’après le cahier de charge publié en 1997, la décharge Borj Chakir est conçue pour les déchets solides.

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Morched Garbouj nous a précisé que l’examen des caractéristiques des déchets produits n’était pas adapté aux déchets typiques de notre pays. La quantité et le contenu des déchets ne sont pas les mêmes puisque rien n’est comparable : les modes de vie et de consommation, le climat, les zones urbaines, les technologies … toutes ces caractéristiques diffèrent.

Les documents de référence concernant la technologie et l’efficacité d’enfouissement des déchets étaient basés sur des expériences effectuées dans des pays européens. Ce qui fait que lors de l’exécution, tous les paramètres ont été bouleversés, notamment le taux d’humidité. Par conséquent, le processus de stockage n’a pas été fait de manière adéquate aux normes scientifiques d’enfouissement et il n’a pas obéit aux exigences du Cahier de charge.
Ainsi, l’ANGED n’a pas pu contrôler les quantités énormes de lixiviat découlées, ni les odeurs étouffantes, ni éventuellement les contaminations environnementales.

De surcroit, les quantités de déchets reçues sur le site sont supérieures aux quantités estimées. En absence de stratégies alternatives, on a opté pour les extensions qui ont été faites de façon aléatoire et rapide. Le seul souci était de se débarrasser du déluge de déchets.

Une étude ne peut qu’être approximative. Entre la théorie et la pratique il y’a toujours une marge d’erreur qui peut être réduite. C’est avec le monitoring continu qu’on pourra délimiter les dégâts et résoudre les problèmes techniques qui apparaîtront. Ceci nécessite seulement une bonne volonté institutionnelle.

Or, le cadre de l’institution lui-même n’est pas apte de faire le suivi et le contrôle dans la décharge étant donné que les travaux d’exploitation sont sous-traités à des sociétés privées. La nature de ces contrats limite la vocation de l’ANGED qui n’a pas d’autorité ni de prépondérance par rapport aux conditions et aux exigences techniques de cette exploitation par les sociétés exploitantes de la décharge.

Extensions contre la volonté des habitants

Outre l’enchevêtrement technique, l’approche participative des riverains ne parait pas être parmi les priorités des instituions environnementales.

Manifestement, les réclamations et les sonnettes d’alarme que les riverains de Borj Chakir ont tiré ne semblent pas suffire pour arrêter le projet ministériel qui a été confirmé par le ministre Nejib Derouiche, lors d’une conférence de presse, tenue le samedi 4 avril 2015, à la Kasbah. Il a annoncé ses intentions d’extension de la décharge de Borj Chakir.

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Les travaux ont été récemment entamés pour créer le 6ème et le dernier casier d’enfouissement.

Le PDG de l’ANGED, Habib Omran, s’est engagé à faire des immixtions urgentes, afin d’améliorer les conditions de vie des habitants de la région, d’ici le mois de juin.

Nous visons tout d’abord terminer l’évacuation totale des bassins de lixiviat, reconstruire le mur de la décharge et boiser les alentours par des plantes ayant la spécificité d’absorber les mauvaises odeurs, annonce Habib Omran.

Est-ce que la responsabilité de l’institution se limite à ces réformes purement techniques ?

A suivre …