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Alors que la Tunisie présente son rapport périodique aux Nations Unies concernant le respect des droits de l’homme, des Tunisiens élèvent la voix pour dénoncer la torture et les violences policières. « Cinq ans après la révolution, nous n’arrivons toujours pas à mettre un terme à l’impunité de la violence policière et à la torture. Aucun procès n’a abouti jusque là, sauf dans une seule affaire où deux policiers ont été condamnés à quelques mois de prison avec sursis en 2012  », déplore Halim Meddeb de l’OMCT.

Entre le 19 et le 21 avril, la Tunisie a présenté et discuté son rapport périodique au Comité des Nations Unies contre la torture, à Genève. En tête de la délégation tunisienne, Kamel Jendoubi, ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l’homme, a mis l’accent sur la difficulté de dépasser le lourd héritage de Ben Ali. Le ministre, ex-militant des droits de l’homme, s’est félicité de la création de plusieurs instances chargées de protéger et de diffuser la culture des droits humains en Tunisie. À Genève, la « bonne volonté » du gouvernement n’a pas convaincu les représentants du Comité des Nations Unies contre la torture ni ceux de la société civile.

« Presque tous les volets de la lutte ou la prévention contre la torture sont traités ou abordés par les autorités (incrimination de la torture, réparation et réhabilitation des victimes, mécanismes de préventions, etc.), mais ils ne le sont que de façon sporadique laissant un grand fossé entre la théorie et la pratique. Les défis de la transition démocratique sont énormes : lourdeur de l’héritage de l’ancien régime, absence de politique gouvernementale déterminée à lutter contre la torture, résistances au changement des corps institutionnels, et menaces de terrorisme et de sécurité basculant soudainement les agendas et les priorités politiques » dénonce un collectif de 13 associations de la société civile, parmi lesquelles la LTDH et l’OMCT dans un rapport transmis à l’ONU durant cette session.

Ali Jedidi, 55 ans, portier dans un club de nuit à Hammamet a été violemment passé à tabac dans la nuit du 27 février 2016.

Trois policiers en civil voulaient entrer au club avec six autres personnes. Mes collègues ont refusé parce que le club s’apprêtait à fermer. Les trois mécontents reviennent avec un renfort de sept policiers. Ils font irruption dans le club et terrorisent les clients avec leurs armes. Deux d’entre eux étaient cagoulés. Mes collègues prennent la fuite. j’étais seul devant la porte d’entrée. Ils s’acharnent contre moi avec des coups de poing et des coups de pieds. Après, ils m’ont fait monter dans leur fourgonnette. Sur la route, ils m’ont fait descendre en continuant à me tabasser. Un des policiers a pissé sur ma tête.

Arrivé au poste de police, le calvaire de Ali n’a pas fini. « Ils m’ont tabassé violemment devant le chef du poste ». Il s’en sort avec deux côtes fracturées et une dépression post traumatique.

Convoqué une seule fois par le procureur de la République, un mois après son agression, Ali attend toujours une date pour un procès contre ses agresseurs. « Libres de leurs mouvements, ils reviennent régulièrement au club de nuit où je travailles. Certains d’entre eux m’ont menacé si je continue je ne retire pas ma plainte. J’ai informé le procureur qui m’a conseillé de prendre soin de moi » ironise Ali.

Soutenu par l’OMCT, Ali et des centaines d’autres victimes attendent encore que leurs dossiers soient ouverts par la justice ou qu’ils soient, au moins, écoutés par le gouvernement. « D’habitude et même à l’époque de Ben Ali, le gouvernement fait une petite trêve à l’approche de l’examen de son rapport devant l’ONU. Mais cette année, ce n’est pas le cas. Les victimes sont de plus en plus nombreuses. Le ministère de l’Intérieur ne répond même pas à nos questions. Le conseiller des droits de l’homme au ministère de l’Intérieur, Maher Gadour, n’informe pas le ministre des plaintes déposées. Nous sommes revenus aux vieilles pratiques en si peu de temps » constate Halim Meddeb.

Après la présentation du rapport du gouvernement tunisien, le Comité des Nations Unies contre la torture a pointé, mercredi 20 avril, plusieurs manquements. Parmi lesquelles, l’encombrement dans les prisons, l’indépendance de la magistrature, l’indépendance du conseillé en droits de l’homme auprès du ministre de l’Intérieur, le test anal et la condamnation des homosexuels, l’impunité de la torture, la non conformité de la loi de 2015 sur la lutte contre le terrorisme avec les normes internationales, les procédures d’asile et d’extradition des criminels et les violences faites aux femmes.

« Depuis 2014, nous attendons des réponses de la part de l’État membre [ la Tunisie ] concernant les cas d’agression policière dont étaient victimes des militants de droits de l’homme et des manifestants. Nous sommes inquiets quand à l’engagement de la Tunisie dans la protection des militants de l’intimidation et des agressions répétitives. Ceci est le devoir de l’État et nous espérons avoir une réponse à nos questions » réclame, Felice Gaer, vice présidente du Comité des Nations Unies contre la torture. En guise de réponse, la délégation tunisienne s’est contenté de rappeler toutes les réformes en cours et les lois déjà votées.