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« Cette loi n’aura aucun effet sur l’activité des banques », clame Mohamed Rekik, vice-gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, en réponse à une question d’un député lors de la plénière consacrée à la loi sur les banques et les institutions financières. Poussant plus loin le cynisme, il ajoute « Toutes les banques qui ne traversent pas de difficultés respectent le seuil capitalistique, je ne vois aucune raison pour retarder l’entrée en vigueur de la loi ».

Nawaat publie aujourd’hui des documents prouvant que le vice-gouverneur cachait sciemment la vérité aux représentants du peuple et qu’il savait pertinemment que la BFT ne respectait pas les ratios de solvabilité depuis au moins décembre 2015, date à laquelle la liquidation a été décidée par le gouvernement. Cette loi, passée en force et dans l’urgence en mai 2016, contient un volet qui a été pensé afin de mettre en oeuvre cette stratégie.

Depuis la publication des deux volets de notre enquête, la liquidation de la BFT s’accélère de la manière la plus discrète qui soit. Avec comme toile de fond une guerre sans merci entre la STB, la BCT et le ministère des Finances pour savoir qui payera les pots cassés. Levée de rideau sur les dessous d’un dépeçage au service de la mafia économique.

La liquidation à tout prix

Le gouvernement actuel est en train de mettre en place dans la discrétion la plus absolue la liquidation de la BFT. Nous publions le procès verbal du conseil des ministres daté du 15 décembre 2015 qui entérine cette décision. Nadia Gamha, directrice générale à la BCT, présente le cas BFT à un conseil des ministres présidé par Habib Essid, premier ministre et chef du gouvernement et où se trouvent Slim Chaker, ministre des Finances, Yassine Brahim, ministre du Développement, Chedly Ayari, gouverneur de la BCT, Mohamed Rekik, vice-gouverneur de la BCT ainsi que des représentants du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Justice.

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Le déficit de la BFT y est évoqué avec des tableaux à l’appui, mais, de manière étonnante et en contradiction avec la loi du 29 décembre 2003 relative au redressement des entreprises en difficultés économiques. Aucune responsabilité n’est évoquée. Cette loi énonce pourtant clairement la responsabilité civile et pénale des responsables de déficit. Aucune question ne sera soulevée quant aux responsabilités des autorités financières dont les principaux responsables sont pourtant présents.

En accord avec la décision du conseil des ministres du gouvernement Larayedh, datée du 13 décembre 2012, la solution choisie par les hauts responsables de la BCT et validée par ce conseil des ministres est la liquidation par étape et, pour paraphraser Slim Chaker, actuel ministre des Finances, ( page 6, paragraphe 6), « de manière non publique ».

Cette Liquidation va à l’encontre du principe de transparence puisque l’un de ses objectifs est d’éviter de révéler publiquement les responsabilités des uns et des autres dans ce scandale d’État. La solution de la liquidation va également à l’encontre de tout principe de justice puisque cela signifie que l’ensemble des bénéficiaires du système de corruption vont s’en tirer sans payer le moindre millime de ce qu’ils doivent. Ainsi, le contribuable tunisien payera l’addition pour des milliardaires qui se sont enrichis sur son dos.

La liquidation pour les nuls

Une fois la liquidation décidée, l’ordre a été donné à la BFT de cesser toutes ses opérations commerciales (Maghreb Confidentiel N°1185 DU 14/01/2016). Le ministère des Finances a annoncé qu’il ne reconduirait pas Sami Jebali, directeur général de la BFT, dans ses fonctions et que son mandat s’achèverait donc en juin 2016 (Maghreb Confidentiel N°1201 DU 12/05/2016). À partir de là, un administrateur provisoire sera nommé dans le but de constater que la BFT ne satisfait pas aux ratios de solvabilité[1] et d’exécuter la liquidation.

Rappelons que le CIRDI devra trancher prochainement sur la responsabilité de l’État tunisien dans la spoliation de la BFT à l’ABCI. C’est pourquoi Hatem El Euchi, ministre des domaines de l’État et du contentieux, approuve (page 7, deuxième paragraphe) la nomination d’un administrateur provisoire à la tête de la BFT, mais il précise que cette nomination ne doit surtout pas émaner de l’État. Nul doute que le tribunal d’arbitrage de la Banque Mondiale (le CIRDI) appréciera la manœuvre de dissimulation.

 Une nouvelle loi bancaire sur mesure

Les répercussions de cette liquidation sont présentées dans le document que nous publions. L’une touche à la question de la place financière, l’autre celle de la crédibilité du système bancaire tunisien et enfin la dernière concerne le contentieux avec l’ABCI.

Parmi les répercussions sur la place financière, il est noté que 9000 petits déposants seront touchés par cette liquidation. Cependant aucun participant à ce conseil des ministres ne relèvera cette répercussion là.

Par contre, Slim Chaker, soulève ( page 6), la question de la STB et explique que compte tenu de la recapitalisation récente de la STB, il était inimaginable que l’on défalque le passif de la BFT sur la STB. Semblant oublier que la BFT est la filiale de la STB et que cela signifie que son passif devrait légalement être pris en compte dans le bilan de la STB. Ce qui n’est pas le cas, ainsi qu’on le prouvait dans notre précédente enquête.

Le dispositif du « Fond de garantie des dépôts bancaires », institué par les articles 149-168 de la loi sur les banques et les institutions financières passée au forceps en mai 2016, est présenté dans ce conseil des ministres comme une première étape dans le processus de  liquidation de la BFT. Il est donc incroyable que le vice gouverneur de la BCT ait déclaré en réponse à une demande d’amendement de la loi du député Abderraouf El May (Al Horra) que cette loi ne concernait aucune banque actuelle. Et il est encore plus incroyable que ce mensonge se soit fait devant Slim Chaker qui n’a pas bronché. Le ministre des Finances accrédite le mensonge du représentant de la Banque Centrale devant l’Assemblée des Représentants en séance plénière.

La banque franco-tunisienne n’en finit donc pas de révéler le véritable visage des décideurs politiques et économiques de ce pays, loin de toute langue de bois, dans la nudité de leurs actes.

[1] Le rapport exprimé en pourcentage entre les fonds propres d’une banque et ses engagements. Diverses méthodes de définition des fonds propres sont mises à jour régulièrement par l’Autorité de contrôle prudentiel  et de résolution (Le Comité de Bâle) afin que ce rapport soit calculé de la manière la plus réaliste possible.