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Plus d’un mois après son annonce officielle, l’OPA engagée par Tunisie Telecom sur Go Malta n’en finit pas de susciter les critiques. Après en avoir révélé grandes lignes, Nawaat revient sur le point le plus litigieux de cette affaire : la santé financière de l’opérateur maltais.

Lorsqu’il prend les rênes de Tunisie Telecom en août 2015, Nizar Bouguila est loin de se douter que, moins d’un an plus tard, il serait amené à courir les interviews. En ce début d’été, le polytechnicien de 44 ans est sur tous les fronts. Aux micros des radios grand public, dans les colonnes des magazines spécialisés, il défend l’OPA engagée par son entreprise sur l’opérateur maltais Go. Jusqu’à l’ARP, où il était auditionné lundi 27 juin par la Commission de la réforme administrative, de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et du contrôle de gestion des deniers publics. A grand renfort de slides powerpoint, le PDG s’est échiné trois heures durant à convaincre un parterre de députés pour le moins sceptiques.

« Une opportunité unique » ?

Un des éléments récurrent de l’argumentaire de M. Bouguila réside dans le caractère proprement « unique » de cette opportunité d’acquisition qui (sic) « ne se reproduira pas de sitôt ». En effet, la taille accessible, la proximité géographique, la possibilité de mettre un pied dans cet îlot de stabilité économique qu’est l’Europe, comment ne pas céder à une telle occasion ? A croire que la holding émiratie qui dispose de 60% du capital de l’opérateur maltais n’a aucun jugement en matière d’investissement pour se séparer d’un tel bijou. Ou bien que qu’Emirates International Telecommunications (EIT) – qui détient aussi 35% des parts de TT – déroule un plan de désengagement massif visant à se débarrasser de ses actifs les moins rentables. En 2013, EIT avait déjà essayé, sans succès, de revendre ses actions TT.

Lorsqu’on se penche sur la frise chronologique présentée aux députés de l’ARP, tout porte à croire que l’opération commence en janvier 2016. Il faut pourtant remonter à juillet 2015, comme le mentionne le quotidien maltais Times of Malta, pour voir EIT annoncer une première fois son intention de liquider l’intégralité de ses parts dans Go. Deepak Padmanabhan, PDG du groupe émirati, explique alors que cette décision est « conforme à sa stratégie commerciale globale visant à réaligner son portefeuille d’investissement sur l’immobilier ». L’annonce d’EIT tombe plutôt bien. Selon les mots du quotidien maltais, « elle intervient quelques jours après que les actionnaires GO aient approuvé le spin-off d’une filiale, Malte Properties Limited (MPL), axée sur la gestion de la propriété. »

Spin off

Dans le jargon financier, le spin-off n’est ni plus ni moins qu’une opération de scission visant à séparer en sociétés distinctes les branches d’activité d’une entreprise. Dans le cas de Go, c’est donc toute la partie immobilière qui se trouve désormais déconnectée de la maison mère. Une aubaine pour EIT qui souhaite justement concentrer ses investissements dans ce secteur. D’autant plus que le groupe émirati n’aura pas à dépenser un centime. Selon les termes de l’opération, tous les actionnaires de Go sont en effet assurés de recevoir une part équivalente au sein de la nouvelle société.

Deepak Padmanabhan peut sourire. Actionnaire majoritaire de Go, il se retrouve légitimement à la tête de Malta Properties et peut désormais vendre sans état d’âme ce qui reste de l’opérateur. Parallèlement, l’opération permet à Go de redorer à moindres frais ses bilans avant l’opération de vente. Comme le note Jean-Sébastien Lantz, professeur à l’Institut d’administration des entreprises d’Aix-en-Provence, « Il ne faut pas s’y tromper : pour les grands groupes, il s’agit souvent de nettoyer l’actif du bilan car les actionnaires recherchent une croissance rentable et stable ». C’est ce que l’on constate lorsqu’on se penche sur les bilans financiers de l’entreprise. Plutôt stagnant ces trois dernières années, les résultats marquent en effet une petite amélioration à la fin de l’année 2015.  Notons au passage que les chiffres présentés par M. Bouguila à l’ARP ne sont pas les mêmes que ceux diffusés par le site Capitalcube, spécialisé dans le recoupement de données pour investisseurs. Si tous deux décrivent une hausse de l’EBITDA [bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement, Ndr], la communication de TT aux députés fait état d’une augmentation de 8.1 millions de dollars entre 2013 et 2015 tandis que CapitalCube  ne relaye que  3.67 millions pour la même période.

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Les conséquences du spin-off se font également ressentir en bourse. Comme le relate Patrick Arnoux, journaliste au Nouvel Economiste, « une opération de détourage se traduit généralement par une augmentation substantielle des valorisations boursières. » Pour ce qui est de Go, l’entrée en bourse de la nouvelle société fin novembre 2015 coïncide effectivement avec la revalorisation de son l’action. Tombée à 2,90 dollars le 9 décembre 2015, elle n’aura de cesse de remonter pour culminer à 3,45 dollars le jour de l’annonce officielle du rachat par TT.
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A ce stade, EIT est en passe de réaliser le coup parfait. Après s’être assuré de garder la main mise sur la branche immobilière, le groupe émirati a revalorisé en un temps record l’image de l’opérateur maltais. Reste à savoir si le piège se refermera effectivement sur Tunisie Telecom. Au vu de la polémique engagée, on peut néanmoins espérer qu’elle y échappe. Après l’enquête commanditée par l’ARP, c’est au tour de l’UGTT de demander, dans un communiqué daté du 30 juin dernier, « l’arrêt immédiat de l’opération de rachat ».

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