Lors de sa dernière apparition, sur la chaîne privée Nessma, le président de la République, Béji Caid Essebssi a critiqué la loi 52 relative à la consommation des stupéfiants et a promis de donner des ordres pour ne plus arrêter les consommateurs. Alors que le nouveau projet de loi est discuté depuis début janvier 2017 au sein de la Commission de la législation générale, le débat public est relancé, de la mauvaise manière. Fausses informations, imprécisions et instrumentalisation politique. Décodage.

Le teasing viral de Nessma a laissé entendre un moratoire présidentiel sur la loi 52. N’ayant pas ce pouvoir, le président de la République essaye quand même de se justifier par rapport à ses promesses électorales à coup de mensonges et de promesses farfelues. Dans une interview où il était très rarement contre-dit ou interrompu, Béji Caid Essebssi, a affirmé que le projet de loi n°79 – 2017, déposé l’année dernière à l’ARP est le projet de la présidence de la République. « Mes prérogatives me permettent de le faire. Je l’ai fait et le gouvernement n’a pas le droit de bloquer mes propositions de loi et ça été effectivement approuvé et déposé au parlement » affirme-t-il.

Le président oublie que la version déposée à l’ARP a été préparée par le ministère de la Justice depuis au moins deux ans. Nawaat l’avait leaké en décembre 2015 où nous avons décortiqué la plupart de ses articles. En réalité, le projet de loi a pris des années de traitements, de négociation et d’études entre le ministère de la Justice, celui de la Santé, celui de l’Intérieur et même celui de l’Éducation. Mehdi Jomaa, chef du gouvernement provisoire, avait déclaré, en mai 2014, que son gouvernement « [était] en train de travailler sur la loi 52 /1992 car elle n’est plus en synchronisation avec la réalité de la société ».

La promesse du président de la République de convoquer le Conseil de la sécurité nationale est un amalgame qui s’ajoute à ses approximations. Car, bien que le président de la République soit le président de ce Conseil, il n’a aucune prérogative pour suspendre l’application de la loi. En effet, le Conseil de la sécurité nationale crée par le Décret gouvernemental n° 2017-70 du 19 janvier 2017 n’a pour fonction que « la veille à la sauvegarde des intérêts vitaux de l’État dans le cadre d’une vision stratégique ayant pour but la préservation de la souveraineté de l’État, de son indépendance, et la garantie de l’intégrité de son territoire, la sécurité de son peuple et la protection de ses ressources naturelles ».

Pour Bassem Trifi, avocat et membre du bureau exécutif de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, la promesse de Béji Caid Essebssi « n’a aucune valeur juridique. Le Conseil de la sécurité nationale n’a pas le droit d’annuler les arrestations et les jugements d’un an de prison des consommateurs de cannabis. C’est un conseil chargé uniquement de la sécurité nationale ». Et d’ajouter « la solution facile et faisable aurait été de proposer au Parlement l’annulation de l’article 12 de la loi 52 qui interdit aux juges d’appliquer les dispositions de l’article 53 du code pénal. Cet article permet au juge d’atténuer les sanctions selon son appréciation et en restant conforme à la loi ».

Lorsque les circonstances du fait poursuivi paraissent de nature à justifier l’atténuation de la peine et que la loi ne s’y oppose pas, le tribunal peut, en les spécifiant dans son jugement, et sous les réserves ci-après déterminées, abaisser la peine au-dessous du minimum légal, en descendant d’un et même de deux degrés dans l’échelle des peines principales énoncées à l’article 5 du présent code Article 53 du code pénal

Un nouveau collectif « Non à la prison » [الحبس لا] est lancé par des artistes, journalistes, juristes et psychologues pour une abrogation immédiate de la loi 52. Concernant la dépénalisation de la première consommation, le collectif appelle le ministre de la Justice à appliquer l’article 115 de la Constitution. « Conformément à l’article 115 de la constitution, le ministre de la Justice peut déterminer la politique pénale de l’État. Et donc il a le droit de suspendre l’article 4 et l’article 8 de la loi 52-1992 qui criminalisent la consommation des stupéfiants en attendant l’abrogation de la loi » précise le collectif sur sa page facebook.
Article 115 : « […] Le ministère public fait partie de la justice judiciaire et bénéficie des mêmes garanties constitutionnelles. Les magistrats du ministère public exercent les fonctions qui leur sont dévolues par la loi et dans le cadre de la politique pénale de l’État, conformément aux procédures fixées par la loi. […] ».

Selon Bayrem Kilani ( Bendir Man ), porte parole du collectif, des réunions auront lieu cette semaine avec les présidents des différents blocs parlementaires. « Le succès populaire qu’a rencontré notre collectif Habs La a intéressé certains groupes parlementaires, et nous pensons que cela corrobore notre raisonnement, à savoir que beaucoup d’entre eux attendaient un soutien populaire pour être plus offensifs dans leur position quant au nouveau projet de loi » affirme l’artiste. Le collectif prépare, en parallèle, une grande mobilisation qui réunira plus de 30 associations travaillant sur la lutte contre la toxicomanie et la dépénalisation de la première consommation de cannabis.