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L’élection de Yassine Ayari, dont les excès, les revirements et la démagogie ne sont plus à démontrer, ne me réjouit pas.  En revanche, ce résultat permet de donner une image très précise de l’état de la classe politique. Une image certes nette, mais pas jolie à voir…

Rien n’est trop cher pour Monsieur le Prince

Pour commencer, l’existence même de l’élection prouve que la coalition au pouvoir a une conception bien particulière de l’intérêt national. Rappelez-vous, lors du dernier remaniement, Nidaa Tounes a proposé le seul député dont la nomination au gouvernement allait provoquer une élection législative partielle. L’intéressé, Hatem Ferjani, propulsé au rang de secrétaire d’Etat chargé de la diplomatie économique, a déjà enregistré son premier « succès » avec l’inscription par l’Union Européenne de la Tunisie sur la liste noire des Etats non coopératifs en matière fiscale. Le but initial de la manœuvre était de permettre à Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de Nidaa Tounes et fils de l’actuel président de la République, d’être élu député. Face au tollé suscité par ce scénario digne de House of Cards, le dauphin renonce à se présenter mais – loi électorale oblige –  l’élection  doit être organisée. Le coût est estimé à 500000 dinars, rien n’est trop cher pour les caprices de son altesse princière !

Les électeurs qui ont dit non (ou nein !)

Les principaux partis politiques constituent des listes, à l’exception d’Ennahdha et de l’Union Patriotique Libre (UPL), qui soutiennent le candidat « légitime » de  Nidaa Tounes et Al Harak, qui se range derrière Yassine Ayari. Des leaders politiques de premier plan font le déplacement en terre allemande pour soutenir leurs champions respectifs. Des meetings et soirées sont organisés, des milliers d’euros sont dépensés pour (presque) rien. La participation ne dépasse pas les 5% des inscrits (rappelons que depuis 2014, l’inscription sur les listes électorales est une démarche volontaire). L’immense majorité du corps électoral a dit nein. Les raisons sont sans doute multiples (4 centres électoraux sur tout le territoire allemand, le manque d’enjeu, la démonétisation de la classe politique…) mais le résultat est sans appel : seuls 1301 électeurs ont glissé un bulletin dans l’urne et Yassine Ayari a été élu avec  seulement 284 voix. Le candidat de la nouvelle troïka (Nidaa – Ennahdha – UPL) n’a eu quant à lui que 253 suffrages (moins que les participants au meeting de Hafedh Caïd Essebsi pour soutenir le candidat de Nidaa Tounes, un comble).

Incapacité de la classe politique

Les réactions des principaux partis n’ont pas fait dans la nouveauté. Ainsi, Nidaa Tounes a-t-il annoncé une réflexion sur ses stratégies d’alliance (comprendre vis-à-vis d’Ennahdha), rejetant la démobilisation de sa base électorale sur le parti islamiste, la paresse intellectuelle a de beaux jours devant elle ! Ennahdha a bien évidemment récusé cette accusation se bornant à défendre le statu quo actuel, seule assurance vie à ses yeux. Le camp du vainqueur, mené par Moncef Marzouki, a servi sa litanie habituelle sur la victoire de la révolution face aux forces de la réaction, ne craignant pas de bâtir une théorie politique sur un scrutin boycotté par 95% des inscrits. Le bloc social-démocrate a pour sa part lancé un énième appel à l’unité.

Mais  les réactions les plus inquiétantes sont à chercher du côté des dérivés de Nidaa Tounes. Ainsi, le parti Machrou’ Tounes de Mohsen Marzouk a tout simplement appelé à annuler le score de l’élection en ne lésinant pas sur la caricature (mention spéciale à la très médiatique Leila Chettaoui qui ne voit pas de différence entre un Yacine Ayari et un Abou Iyadh). Par ailleurs la candidate de Nidaa Attounissiin Bil kharej – dont le nom de la liste ressemble étrangement à celui de Nidaa Tounes – n’a pas craint le ridicule en accusant Ayari d’avoir trompé les électeurs. Elle compte utiliser cet argument pour demander l’annulation des résultats. Cette conception bien particulière de la démocratie est inquiétante et n’augure rien de bon si les personnes qui la portent arrivent au pouvoir. Loin d’être anecdotique, cette attitude peut constituer un véritable retour en arrière. Les exemples algérien et égyptien sont là pour nous le rappeler.