Quand on fouine dans l’Internet, je me demande si vous êtes comme moi. Moi, je trouve qu’on est sollicité et assailli de toutes parts; trop de choses à lire, à voir. Quand je trouve un article trop long et trop savant, je le rejette ou je le lis en diagonale. Le temps me manque, me presse et me compresse. Et à la fin de la journée, je me sens comme un fichier « zip », ou encore comme un mezoued dégonflé qui geint en sourdine, et personne ne l’entend. Alors, je vais essayer d’écrire court et simple, espérant vous faire passer la pilule sans que vous regrettiez de m’avoir lu.

« Aube de l’Odyssée », quel nom poétique ! Ceux qui baptisent les opérations militaires ont toujours un message derrière le nom. Dans leurs académies, les militaires étudient les guerres qui ont marqué l’histoire, et à leur tête les batailles et les stratégies de notre illustre Hannibal. Celui qui a accouché de ce nom a sans doute lu l’Odyssée d’Homère. À l’aube de l’Odyssée, il y a eu la guerre de Troie qui a duré dix ans. Ulysse, errant en méditerranée pendant dix autres années, a laissé derrière lui une ville détruite et une population massacrée. Et lorsqu’il est revenu à la maison, après vingt ans de déboires, seul, son chien l’a reconnu. Craint-on, prévoit-on un tel sort pour la mission des Occidentaux en Libye ? Certains auteurs post-homériques ont décrit Ulysse comme un fou, menteur, fourbe…, des qualités qui ressemblent à s’y méprendre au guide libyen.

Comme d’habitude, le conflit a commencé par une réunion de la Ligue des dirigeants arabes. Cette organisation de façade bien connue pour son impuissance et son inutilité a encore une fois lancé la patate chaude entre les mains du conseil de sécurité. Mais, un mois de manoeuvres dilatoires a fait perdre un temps précieux, permettant au dictateur de surmonter son hébétude, son désarroi, et reprendre le dessus sur les rebelles retranchés à Benghazi, faisant planer sur le pays le spectre d’un génocide.

Dès le départ, les Occidentaux ont exclu tout déploiement au sol, et ça laisse présager une guerre sans fin, car les attaques aériennes, à part celle d’Hiroshima, n’ont jamais mis fin à un conflit. Cette déclaration de non-déploiement au sol a certes rassuré le dictateur. Avant son fameux discours de zanga zanga, il était relax; il s’est même permis de se regarder dans la vitre, placer son collet, ajuster sa robe, ses cheveux broussailleux.

La guerre et la mort étaient devenues trop banales pour tout le monde; cette fois-ci, on n’a pas eu de compte à rebours jusqu’à minuit, pas d’attente, de stress, de feu d’artifice dans le ciel de Tripoli. Le dictateur a fait le dos rond, attendant que la tempête passe. Il faut dire aussi qu’il a déjà goûté à la terreur des missiles Cruise et Tomahawk. En 1986, il a été parfaitement dompté par sa bête noire, Ronald Reagan. Ce jour-là, il l’a échappé belle, car l’algérien Chedli Benjdid, informé par les Russes, lui a soufflé la date de l’attaque dans le tuyau de l’oreille. Sans état d’âme, le dictateur a même sacrifié sa fille adoptive pour se poser en « victime de l’impérialisme américain ». Aujourd’hui, les temps changent, son peuple change, et je suis sûr qu’il a plus peur de son peuple que de la coalition.

Voilà quarante-deux ans que le roi des rois, comme il veut se faire nommer, essaye de faire l’intéressant, baver les journalistes, ses confrères arabes. Pourtant, c’est lui qui a renversé le roi de Libye. Il prétend n’être que le guide de la révolution, mais il est prêt à exterminer son peuple qui ne veut plus de lui, engager des mercenaires, devenir un chef sans Indiens.

Mais, cette révolte l’a quand même agacé; il parait qu’il a annulé son rendez-vous avec le Dr brésilien Ribeiro pour sa prochaine chirurgie plastique. Eh oui ! Vous pensez que nos dictateurs font juste teindre leurs cheveux ? Vous vous trompez. « Kadhafou » craint moins l’usure du pouvoir que l’outrage du temps. Ces derniers mois, n’avez-vous pas remarqué sa laideur ? Rides comme une toile d’araignée, bajoues, poches sous les yeux… etc. C’est à cause de la validité de son lifting qui ne dure que cinq ans. Liposuccion du ventre, implants capillaires, injection de graisse dans les pommettes, les paupières, cicatrices gommées… Tout cela est expiré, comme un yogourt périmé. Une chance que sa bedaine et son cul sont cachés par ses burkas ou je ne sais quoi.

Cela me fait penser aussi à ZABA, la peau toujours tendue comme un bendir. On dirait que toutes ses rides sont rassemblées en chignon sur la nuque. Il nous a toujours harcelés et nargué avec sa jeunesse éternelle, artificielle, sa candidature de 2014, 2019… À la télé, il a toujours été parfait, sauf le dernier jour, le dernier discours. Il a vieilli, tout d’un coup, de cinquante ans.

ZABA, lui, au moins, il a compris vite le mot Dégage ! Il est plus vache que Kadhafi. Comment ? Je vais vous l’expliquer :

Aujourd’hui, dans une ferme laitière, si le fermier ne veut pas être esclave de ses vaches, il doit s’équiper d’un robot de traite. Ainsi, il peut disposer d’un temps précieux chaque jour, il peut naviguer pendant des heures sur Internet, jouer à la belote s’il veut ou aller au sit-in de La Kasba si ça lui tente.

Contrairement à la trayeuse électrique qui peut tirer douze vaches en même temps, le robot, lui, ne peut traire qu’une vache à la fois.

Et qui mène la vache au robot ? Personne. Elle y va toute seule, et à n’importe quelle heure de la journée. Même à 2 h du matin. Le robot opère 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Comment ça marche ? La vache se présente à la barrière du robot qui l’identifie grâce à la puce électronique qu’elle porte au cou. Le robot lui ouvre la barrière. La vache accède à une étroite plateforme. La barrière se referme. Un bras articulé portant des brosses passe sous le ventre de la vache pour laver délicatement les trayons, ou les pis, ou les tétons si vous voulez. Quand le lavage est terminé, un autre bras, guidé par un laser, vient poser les quatre manchons trayeurs sur les trayons. Le robot sait tout du dessous de la vache, il a en mémoire la géographie du pis de chaque vache, la longueur et la disposition particulière à chaque vache des trayons. Le robot sait aussi si la vache vient de vêler et envoie alors le colostrum dans un bac différent. Le robot trait la vache quartier par quartier, cesse de tirer sur le trayon quand un quartier est vide, distinction que ne faisait pas la trayeuse électrique. Plus calme, la vache donnera plus de lait, développera moins de mammites. Le robot détecte les mammites. Le robot analyse le lait trayon par trayon, son poids, sa couleur, sa teneur en gras, données qui sont instantanément consignées dans l’ordi du fermier, dans son bureau.

Quand la traite est terminée, une porte s’ouvre devant la vache, elle sort, si elle n’est pas sortie au bout de 20 secondes, un léger choc électrique la renvoie dans l’étable. Suivante.

Service 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Un problème ? Un imprévu ? Le robot téléphone au fermier. Après avoir su tout ça, une question principale s’impose à nous : qui pousse les vaches à se présenter toutes seules au robot et se faire traire ?

Finalement, toute cette technologie robotique hyperperformante ne serait d’aucune utilité sans le truc qui pousse les vaches à se présenter d’elles-mêmes à la porte du robot.

Le truc peut vous paraître idiot, mais, pendant qu’elles se font traire, le robot sert aux vaches de la moulée à la vanille. Elles raffolent. Certaines en veulent encore et encore, et se présentent jusqu’à dix fois dans la journée à la barrière du robot qui les renvoie bien sûr. Tu es venue cinq fois aujourd’hui, grosse gourmande, DÉGAGE !

À bien y penser, y’ a pas que les vaches. Nos dictateurs aussi marchent au bonbon. Vous restez au pouvoir, nous, on contrôle vos pays, siphonne vos richesses.

Choisissez le pays que vous voulez, USA, France, Angleterre…, et vous allez trouver ce robot qui nous saisit par la poche pour la vider.

Ce qui est étonnant, c’est que les vaches, au bout de deux mois, elles ont compris qu’il ne servait à rien de se présenter dix fois à la barrière. Mais nos dictateurs, leur gueule est toujours ouverte.

J’en veux encore. Un peu de moulée sucrée.

Mais le peuple sait maintenant que la liberté a un prix, qu’il faut faire des sacrifices, se priver de bonbon. Que chaque peuple mérite son dirigeant. Je rends hommage aux jeunes yéménites qui ont surmonté leur dépendance au Khat, une plante hallucinogène qu’ils chiquent régulièrement. Au début, leurs manifestations ne tenaient pas plus qu’une ou deux heures. Après, tout le monde s’évapore dans la nature, à la recherche de leur bonbon. Je n’avais jamais pensé que ça pourrait aboutir à quelque chose. Aujourd’hui, les gens sont là en permanence, et les jours de leur dictateur sont comptés.

Enfin, laissons les vaches dans leurs étables et revenons à nos moutons, les Occidentaux ont choisi volontairement d’attaquer le chef paria du monde arabe, le maillon faible des révolutions yéménite, syrienne, jordanienne et bahreïnie. Laissant surtout les enturbannés de la péninsule arabique mater leurs rebellions à huis clos. Les dirigeants occidentaux peuvent se permettre de faire de la politique coercitive sur le dos des Arabes afin d’améliorer leur capital politique. Mais d’un autre côté, soyons raisonnables, la chute de Kadhafi est vitale pour notre pays, et fait l’objet d’un consensus mondial. Les arabes sont encore hors du cercle de l’histoire et des décisions. Alors, il nous reste une seule chose : espérer une victoire expéditive des révolutionnaires libyens pour éviter une intervention des marines américains qui attendent déjà sur les côtes libyennes, prêts à envahir nos voisins.