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En endossant le costume de candidat, c’est un Marzouki à la langue déliée, relativement libéré du politiquement correct, qui s’exprimait samedi devant le siège de l’ISIE. Une fois énoncé un premier axe de campagne, la souveraineté décisionnelle nationale, sa deuxième priorité consiste en une mise en garde contre la corruption et l’argent politique, « plus dangereux que le terrorisme pour une démocratie naissante ». Deux messages subliminaux adressés à celui qui pourrait être son adversaire au second tour : Mustapha Kamel Nabli.

Arrivée à l’ISIE à bord de son propre véhicule, une modeste Renault, conférence de presse de son directeur de campagne dans un décor austère… Que cela émane d’une conviction spontanée ou soit le fruit d’une stratégie de communication, tout dans la démarche de Marzouki contraste avec l’ostentation pour laquelle a opté l’équipe de campagne de Nabli, dont on se demande si elle n’est pas passée à côté du message et de l’esprit de la révolution. Des pros de la com’ pourtant, à l’image de Najla Châar, ex-directrice de la communication de Ooredoo, et Amel Smaoui, ancienne directrice des programmes de Telvza TV et fille d’un ex PDG de Tunisair.

Le 17 septembre, l’ex gouverneur de la Banque centrale officialisait sa candidature à l’hôtel l’Acropole aux Berges du Lac dans un show aux standards occidentaux. Dans son certificat médical présenté en guise de pied de nez à Béji Caïd Essebsi, on apprend qu’il souffre depuis 21 ans d’hypertension artérielle, actuellement sous traitement médical. Le slogan révélé pour l’occasion, « la Tunisie entre de bonnes mains », fait tiquer, au moment où la polémique sur les 1,5 tonne d’or présumés disparus durant son mandat refait surface sur les réseaux sociaux, malgré les démentis de la BCT à l’époque et plus récemment.

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La droite intégrale

Lors de son grand oral quelques heures plus tard sur la TV nationale, Nabli dira que Nidaa Tounes, Afek Tounes et l’UPT correspondent à sa grande famille politique. C’est en soi révélateur d’un raisonnement qui oblitère les différences de programme économique, au profit d’un clivage modernisme / conservatisme sociétal, qui est donc le seul clivage pertinent dans le paysage politique tunisien pour le libéral Nabli.

La question qui lui est posée à propos de la Syrie de Bachar al Assad est cruciale pour comprendre ce qu’est le libéralisme transposé à la diplomatie : pour Nabli, rompre les rapports diplomatiques avec le gouvernement baathiste était « une erreur » parce que « cela n’apporte rien en termes d’intérêts à la Tunisie ». Pour ce pragmatique candidat aux présidentielles, au diable les idéaux, tout est conçu et pensé en fonction de l’idée d’intérêt.

Lors de la même prestation télévisée, pressé de révéler le coût global de sa campagne, il l’évaluera à « un minimum de quelques centaines de milliers de dinars », provenant essentiellement de ses revenus personnels. S’il ne dément pas le soutien du magnat Kamel Letaief, lobbying qu’il trouve naturel, il nie en revanche tout soutien financier direct à ce jour de la part de l’influent homme d’affaires.
C’est pourtant cette proximité, y compris familiale, entre les deux Kamel, qui était sans doute derrière le limogeage de « MKN » par Moncef Marzouki en 2012.

En authentique homme de droite, interrogé sur sa priorité numéro 1, Nabli évoque la sécurité en premier : « la lutte antiterroriste ». C’est probablement cet autre aspect de son programme qui lui vaut l’admiration et la présence le 17 septembre du nationaliste Touhami Abdouli. Au premier rang également, l’excentrique ex CPR Tahar Hmila, l’économiste Moez Joudi, quelques transfuges comme Maher Hanin (ex Joumhouri devenu Massar), en plus du directeur de campagne de Nabli, Zied Milad, ex Ettakatol devenu proche du Massar, ainsi que les « parias » de Nidaa Tounes Noureddine Ben Ticha et Tahar Ben Hassine.

Nidaa Tounes le frère ennemi

C’est en ce hold-up que réside sans doute le coup le plus cynique asséné par la candidature Nabli qui a phagocyté en un temps record quelques piliers de Nidaa Tounes, révélant au passage la fragilité de ce parti qui avait tout misé sur les présidentielles. En 2013, Nidaa Tounes, conscient de l’aura potentielle de Nabli, lui avait proposé la vice-présidence du parti, ce qui aurait pu contenir ses ardeurs.

Autre soutien de choix, celui de l’ex militant des droits de l’homme Kamel Jendoubi, qui dès 2012 défendait Kamel Letaief qu’il présentait comme un opposant à Ben Ali, comme si le contentieux entre les deux hommes ne résultait pas d’une brouille clanique entre le « faiseur de présidents » sahéliens et l’ex dictateur qui s’en était affranchi. Quoi qu’il en soit, ce précédent d’un ex président de l’ISIE reconverti en faire-valoir de candidat présidentiel de l’establishment fera date.

Face à cette mobilisation autour de Nabli, Ennahdha ne semble pas avoir donné de consignes particulières à ses élus de l’ANC en matière de parrainages. C’est en soi un choix de la politique politicienne : trois députés Ennahdha ont en effet parrainé Kamel Morjane, et cinq ont parrainé Hechmi Hamdi… L’objectif étant vraisemblablement de laisser faire en aidant à la multiplication des candidatures aux présidentielles, synonyme de dispersion des voix.

Cette semaine fut par ailleurs celle d’un triple sacrifice de Nidaa Tounes sur l’autel des présidentielles : outre une partie des instigateurs de la première heure qui n’ont pas supporté l’affranchissement de Béji Caïd Essebsi et le parachutage de son fils par excès de confiance, d’ex alliés de Nidaa confirmaient les velléités putschistes du parti durant le sit-in Errahil.

Enfin, Nidaa Tounes lui-même se débarrassait de Mohamed Ghariani, après l’avoir défendu bec et ongles, achevant de renvoyer l’image d’un parti sans principes qui se renie en permanence. Sans compter les services de sûreté de la présidence qui nient toute info de menace de mort contre Essebsi, achevant de discréditer le parti.

Repositionnement idéologique du CPR

Le décor est donc planté pour un duel Marzouki – Nabli aux présidentielles de novembre. Ce n’est pas pour déplaire au CPR, à nouveau dans son élément à la faveur de ce retour aux sources conforme à son ADN anti ancien régime et plus généralement anti ordre ancien auquel appartient Nabli qui n’avait démissionné de son ministère du Plan et du développement régional qu’en 1995, un an après les élections de 1994 où Ben Ali et le RCD avaient respectivement recueilli 99,91% et 97,73% des suffrages officiels.

Il s’agira de « faire barrage au front du 7 novembre en réhabilitant le front du 18 octobre », a martelé Adnène Mansar samedi, dans une allusion à d’autres candidats contre-révolutionnaires.

Hasard ou non du calendrier, le 17 septembre toujours, la Banque mondiale, dont Nabli fut le dirigeant de la section Moyen-Orient – Afrique du Nord, publiait un rapport intitulé « La révolution inachevée » invitant la Tunisie à lancer des réformes économiques profondes. Ainsi, après avoir glorifié le système économique tunisien sous Ben Ali, la World Bank se fait l’apôtre de la révolution de la dignité. Qui l’eût cru..?